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Chapitre VI : Frida

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En voyant la blonde et douce Frida s’évanouir subitement dans ses bras, Germaine Aubry, nos lecteurs l’ont reconnue, dans l’élan spontané de son cœur généreux, avait complètement oublié le but de son voyage, pour ne plus accorder qu’une touchante compassion à cet être frêle et charmant qui semblait si douloureusement blessé.

Tout de suite, la jeune institutrice avait lu, sur ce front si pur et à travers ce regard si clair, la plus indicible des tristesses.

Elle avait deviné que, dans cette mélancolie qui enveloppait la fille du général comme d’une brume sombre et presque impénétrable, il y avait autre chose que le réel et profond chagrin causé par la disparition prématurée d’une mère chérie.

Lorsqu’elle s’était trouvée seule avec Frida, dans une chambre toute tendue de bleu tendre, et qui, par son ameublement plein de goût donnait plutôt l’impression de l’intérieur élégant d’une jeune Parisienne de l’avenue du Bois que celui d’une Berlinoise de la Wilhelmstrasse, tout naturellement, tout sincèrement, Germaine lui avait demandé :

— Mademoiselle… voulez-vous que je sois votre amie ?…

Et la petite « sauvageonne », qui, jusque-là, se montrait si réfractaire à toute effusion amicale, lui avait gentiment tendu la main en lui disant :

— Je veux bien, car vous me semblez bonne.

— Vous aussi, mademoiselle.

— Je ne sais pas… déclara Frida en secouant négativement la tête.

— C’est si triste, soupira la fille de l’inventeur, de n’avoir plus de mère !…

— Ah ! vous aussi !… s’exclama Melle von Talberg.

— Hélas ! ll y a plus de six ans…

— Moi, il y en a cinq.

— Mais vous, répondit la fausse Bertha Stegel, vous avez au moins la consolation… que dis-je ?… la joie de rester auprès de votre père.

— Je le vois si peu, déclara Frida. Ses fonctions de chef de l’Etat-major général l’absorbent à un tel point que c’est à peine s’il a le temps de m’embrasser furtivement le matin et pas plus longuement le soir…

« Presque tous les jours, je déjeune et je dîne toute seule… Souvent mon père s’en va en inspection, en mission, en manœuvres… Alors, moi j’ai peur dans cette grande maison…

— Mais vous avez des distractions ?

— Des distractions !…soupira la fille du general.

« Des réceptions officielles où mon père m’emmène avec lui, et où tout le monde est comme en représentation, les hommes sanglés dans leurs uniformes de gala ou figés dans leurs habits noirs, les femmes hautaines et même agressives dans leurs toilettes criardes et prétentieuses…

Ah ! quand je me rappelle mon voyage en France… à Paris… et surtout ce mois passé dans un petit coin de la Côte d’Azur, à Beaulieu, au bord de la Méditerranée et au pied des Alpes blanches !…

S’interrompant soudain, Frida demanda :

— Vous ne connaissez pas la France ?

— Non… mademoiselle… répondit Germaine Aubry en dominant le trouble qui, au nom de son pays, s’était emparé d’elle.

— C’est un si beau pays !… poursuivit la jeune Berlinoise devenue songeuse.

— Vous l’aimez donc bien ?… insinua la fille de l’inventeur.

— Oh! oui, s’écria la blonde créature avec une vivacité étrange…

« J’aime tout ce qui vient de lui, ses écrivains, ses poètes, ses musiciens, ses artistes, ses modes et jusqu’à ses fruits savoureux qui ne pourraient pas mûrir sous le ciel gris de notre Allemagne…

— Et cela n’a rien d’étonnant, car je suis d’origine française…

— Vraiment !…

— Oui… Mes ancêtres, qui demeuraient dans les Cévennes, au dix-septième siècle, ont dû se réfugier en Prusse, afin d’éviter les persécutions qu’après la révocation de l’Edit de Nantes Louis XIV avait ordonnées contre les protestants.

— J’en avais l’intuition, laissa échapper Germaine.

— Comment cela ?… interrogea Frida surprise.

— Tout à l’heure, en attendant l’honneur d’être reçue par monsieur votre père, j’ai eu le loisir de regarder dans votre salon les beaux portraits qui le décorent… et mon attention a été surtout attirée par celui d’une dame au regard plein de mélancolie…

— On dit que je lui ressemble, fit doucement la fille du général.

— En effet, approuva Germaine. Vous lui ressemblez même beaucoup.

— C’est mou aïeule… la Française !…

Baissant la voix, Frida poursuivit :

—Ah ! que de fois je l’ai contemplé, ce portrait !… Elle a dû avoir, elle aussi, bien du chagrin, ma pauvre aïeule !… C’est ma seule confidente… Lorsque je me sens le cœur trop gros, je vais la voir et il me semble, quand je lui ai parlé tout bas, bien bas, qu’elle penche la tête et qu’elle, pleure avec moi…

— Il ne faut pas vous attrister ainsi, conseilla la fille de Jean Aubry.

« Vous êtes jeune, vous êtes jolie, très jolie… Vous portez un nom illustre, vous avez de la fortune… Un jour, bientôt peut être, vous rencontrerez sur votre route un cœur qui battra bien doucement près du vôtre…

— Oh ! ne me dites pas cela !… s’écria Frida en pâlissant.

— Vous ne voulez donc pas être aimée, aimer vous-même ?… s’étonna la fiancée du capitaine Evrard.

Alors, en un geste tout d’élan, la jolie Berlinoise, s’emparant des mains de son institutrice, dit :

— Mademoiselle… il n’y a qu’un instant que je vous connais… et chose étrange, il me semble que j’ai déjà en vous une amie… Non… je ne vous le cacherai pas, vous qui êtes pour moi une inconnue, vous m’inspirez une confiance que je n’ai jamais pu accorder à personne…

« Moi qui ai toujours renfermé mes pensées comme dans un coffret que je cachais à tous et dont je gardais jalousement la clef, j’éprouve comme un irrésistible besoin d’étaler devant vous mes souffrances.

— Vos souffrances ?…

— Oui, mes souffrances !… Cela vous surprend de m’entendre vous parler ainsi !… Mon père, en effet, a dû me présenter à vous sous l’aspect d’un petit être sauvage et rétif à toute effusion… Moi-même, je suis tout étonnée, toute stupéfaite… Je ne me reconnais plus !… Pourquoi suis-je ainsi avec vous ?… Je me le demande… Est-ce parce que vous me parlez avec une douceur, une bonté et surtout un tact que je ne suis pas habituée à rencontrer autour de moi ?…

Et tandis que sa voix se brisait en un sanglot, la fille du général poursuivit :

— Est-ce enfin parce que vous êtes arrivée au moment où j’allais apprendre…

Frida n’acheva pas.

Cette fois, terrassée par une douleur qu’elle cherchait vainement à contenir, la jeune fille laissa retomber sa tête sur l’épaule de l’institutrice ; et, incapable de prononcer un mot, elle se mit à pleurer comme un enfant.

— Voyons… Qu’y a-t-il ? questionna affectueusement la fille de l’inventeur qui, devant la détresse touchante de sa gracieuse élève, avait complètement oublié la mission qu’elle s’était assignée.

Et elle continuait, caressant de sa main très fine les boucles soyeuses et blondes de Frida :

— Calmez-vous, chère demoiselle… Puisque vous vous sentez attirée vers moi par une très réelle sympathie, pourquoi ne pas me dire toutes vos peines… dont je crois, d’ailleurs, deviner le secret ?…

— Vraiment !… murmura Frida en relevant la tête. Vous avez deviné ?

— Peut-être !

— Alors, dites… Cela m’aidera tant.

La jeune Française, plongeant son regard dans les yeux de la douce Allemande, dit lentement :

— N’est-ce point la nouvelle que tout à l’heure cet officier est venu annoncer à Mr votre père qui vous a ainsi plongée dans l’émoi ?…

— Oui, avoua tristement Frida en se remettant à sangloter. Vous aimez ce lieutenant ?

La jeune Berlinoise eut un simple signe de tête qui en disait à lui seul plus long que bien des aveux.

— Et lui vous aime aussi sans doute ?… insinua doucement la Française.

Décidée à parler, la fille du général reprit, s’interrompant presque à chaque phrase pour comprimer les sanglots qui montaient à sa gorge:

— Nous nous étions connus l’an passé, en France, à Beaulieu, chez des amis… dans une villa dont le beau jardin tout ombragé d’arbres exotiques, tout parfumé de mimosas et de roses semblait naturellement appeler aux confidences. Comme deux écoliers en vacances, nous nous promenions sur un terrain à mi-côte dominant la mer, dont le murmure berçait doucement notre rêverie…

Nous nous tenions par la main, nous étions silencieux… Seules nos âmes parlaient… Nous nous aimions…

Et comme, de plus en plus gagnée par ces révélations touchantes, Germaine mettait sur le front de la jolie Frida un fraternel baiser, la fille du général continua :

— A notre retour à Berlin, j’en fis l’aveu à mon père, qui me déclara que j’étais encore beaucoup trop jeune pour me marier…

Il ajouta que, si cet officier appartenait à une excellente famille prussienne et s’il était doué de certaines aptitudes militaires, son manque presque absolu de fortune devait lui interdire tout espoir de m’épouser… Alors, Wilhelm Anbasch, désespéré, demanda un congé… Il partit sans me dire où il allait…

« Depuis son départ, je n’en avais plus entendu parler… Tantôt je me disais « il souffre !» tantôt je pensais: « il oublie !»

Et voilà que tout à coup j’apprends qu’il a disparu… qu’il s’est peut-être tué de désespoir…

« C’est épouvantable, mademoiselle, et si un pareil malheur est arrivé, je sens bien que je ne m’en consolerai jamais !…

— Rien ne prouve que vos terribles pressentiments soient justifiés.

— Quand même… mon rêve est condamné pour toujours… mon père ne reviendra pas sur sa décision…

Et se levant, pour faire diversion à sa douleur, Frida prit son institutrice par la main et lui dit:

— Venez… je vais vous montrer mes reliques.

Conduisant Germaine jusqu’à un petit secrétaire Louis XV, véritable merveille d’art qui rappelait encore la France dans ce joli coin fleuri et parfumé que Frida avait su créer au milieu du grand hôtel sombre, elle ouvrit un tiroir à secret et en retira d’abord une rose de Nice, toute fanée, mais gardant jusque dans la mort un peu de cette senteur radieuse qui semble née sous les baisers du soleil.

— C’est Wilhelm, reprit la jeune fille, qui me l’a donnée.

« Ceci, ajouta-t-elle en montrant une petite étoile d’or pailletée et entourée d’un flot de rubans multicolores c’est le souvenir d’un cotillon au carnaval de Nice.

Tirant enfin d’une enveloppe une photographie, elle la passa à la jeune Française, en lui révélant.

— C’est lui !…

Germaine étouffa un cri…

Dans le bel officier de uhlans à la moustache blonde, elle venait de reconnaître l’homme qui avait volé les plans de l’aéro de combat, Jacques Müller, le faux Alsacien, l’espion infâme !

Tout d’abord Germaine avait frémi de tout son être.

— Si cet homme revient ici, avait-elle songé, s’il me trouve dans cette maison… chez le chef de l’Etat-major, il me reconnaîtra… il me démasquera… et tout sera perdu…

Mais, la vaillante Française se reprit aussitôt.

— Non, se dit-elle avec une résolution implacable, tout ne sera pas perdu, car, ainsi que je l’ai dit à mon père, s’il le faut… je le tuerai… sans pitié !…

— N’est-ce pas… qu’il est bien ?… questionna timidement la jolie Berlinoise.

— Oui, répondit Germaine en se faisant violence, il est très bien.

Mais tout en reprenant son empire sur elle-même, la Française sentait un tourbillon de pensées envahir son cerveau.

A présent, elle était sûre que les plans de l’aéro n’étaient pas entre les mains de l’ennemi, et prête au sacrifice, au martyre, elle raisonnait :

— Maintenant que je suis dans la place, en admettant que ce Wilhelm Ansbach, attardé en route pour des raisons que j’ignore, apporte ici les documents qu’il nous a volés… qui sait si je ne pourrai pas l’empêcher de les remettre à ses supérieurs ?…

« Non, mille fois non, je ne fuirai pas devant lui… Il peut venir, le misérable… je l’attends !…

Tandis que Frida, d’une voix dolente, lui parlait de son Wilhelm, Germaine se disait:

— Et moi qui m’attendrissais sur cette jeune fille… moi qui, en la plaignant, oubliais la raison de ma présence en cette demeure !…

A quoi bon m’apitoyer ainsi ?… Au moment où la lutte s’engage, je ne dois pas faiblir… Après tout, ce n’est pas cette jeune fille que je vais combattre… C’est mon pays que je défends !… On ne choisit pas ses adversaires, et, quels qu’ils soient… on frappe.

La porte s’ouvrait, livrant passage au général von Talberg qui, l’air soucieux, venait s’enquérir de l’indisposition de sa fille.

D’un geste rapide, Frida avait rejeté la photographie dans le tiroir du secrétaire.

Le général, comme s’il ne s’était aperçu de rien, s’approcha de son enfant, et l’attirant dans ses bras, il lui dit :

— Console-toi, ma douce Frida… J’ai compris, tout à l’heure, combien tu étais malheureuse… Je te promets que si nous retrouvons le lieutenant Wilhelm Ansbach, tu seras sa femme.

— Père !… s’écria la jeune fille en un mouvement de reconnaissance éperdue.

Debout, immobile, la Française regardait et un frisson terrible la secoua.

— Non, non !… songea-t-elle farouche, cet ange ne sera pas à ce démon !… car je l’aurai tué avant !…

Coeur de Française (Chantecoq)

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