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Chapitre VII : Le secret

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Germaine Aubry, dans un costume tailleur sombre, suivait d’un pas alerte la Leipsigerstrasse, et seule, comme perdue dans la foule, elle redevenait elle-même, affranchie pour quelques instants de la contrainte que son rôle lui imposait.

Mais en s’approchant de l’hôtel du général von Talberg, la fille de l’inventeur s’était composé instantanément une physionomie toute différente de celle qu’elle avait reprise en ces quelques instants de liberté…

Copiant avec beaucoup de vérité, ainsi qu’elle le faisait depuis son arrivée à Berlin, les attitudes, les gestes, le maintien et les intonations des institutrices berlinoises que, pendant les longs séjours qu’elle avait faits dans la capitale de l’Allemagne, elle avait pu observer et retenir jusque dans leurs moindres détails, sans se douter alors qu’elle aurait un jour à utiliser le fruit de ses observations.

Néanmoins, malgré tout son talent d’assimilation, Germaine n’avait pu arriver à effacer d’elle cette grâce et cette distinction naturelles dont elle était douée ; et sous ses attitudes froides et volontairement guindées, elle demeurait essentiellement femme, conquérant malgré elle tous ceux qui l’approchaient, depuis sa douce élève, la blonde Frida, et le général von Talberg, jusqu’aux officiers d’ordonnance, qui subissaient inconsciemment, eux aussi, le charme de la Française.

Il n’y avait pas jusqu’à Ulrich, le fameux planton du général, molosse sans cesse de garde à la porte de son maître, qui ne s’inclinât avec une sorte de respect attendri devant l’adorable créature,qui, lorsqu’elle passait, laissait derrière elle comme une traînée de soleil et de printemps.

Enfermée dans sa chambre, Germaine déchiffra lentement les quatre pages de la lettre écrite en langage convenu et qu’elle avait été chercher à la poste de la Spandauerstrasse. Le capitaine Evrard lui disait sa surprise douloureuse quand il avait appris son départ subit, et son admiration pour l’œuvre qu’elle avait entreprise.

Il lui apprenait que son père avait fait preuve d’une grande énergie morale et s’était entièrement ressaisi, depuis, surtout qu’il avait appris que les plans volés de son aéro de combat n’étaient pas arrivés à l’Etat major de Berlin.

Le ministre de la Guerre, touché par le courageux dévouement de Germaine, avait vivement engagé l’inventeur à se remettre à l’œuvre, lui affirmant que l’homme de génie qu’il était ne tarderait pas à reconstituer un nouvel aéro de combat, grâce auquel on n’aurait plus à redouter les conséquences du vol commis par les ennemis.

L’officier donnait surtout, en terminant, à Germaine, des conseils de prudence, regrettant de ne pouvoir la rejoindre pour lutter avec elle, et il exprimait l’espoir que bientôt elle serait rendue à son père et à lui.

A peine lue, cette lettre fut brûlée ; et refoulant au plus profond de son cœur les tendres sentiments qui le gonflaient en songeant à ces deux êtres chéris, son père et son fiancé, l’institutrice rejoignit son élève.

Ce jour-là, Frida et la Française devaient dîner seules, le général von Talberg ayant été appelé au dehors pour les nécessités du service.

De plus en plus, la jeune Berlinoise prenait son institutrice en amitié.

Depuis qu’elle lui avait fait ses confidences et qu’elle avait reçu d’elle les plus délicates consolations, elle en était arrivée promptement à la considérer comme une sœur aînée et commela meilleure des amies.

De son côté, Germaine se sentait s’attacher chaque jour davantage à la douce jeune fille. Elle avait beau lutter contre ce sentiment qui l’envahissait, se disant qu’elle n’avait pas le droit d’aimer cette enfant, dont le père synthétisait pour elle l’ennemi, le raisonnement de l’esprit ne pouvait tenir contre l’entraînement du cœur… et elle aussi se sentait pour Frida une affection toute fraternelle.

Ce soir-là, la fille du général avait été tout particulièrement mélancolique. Durant le repas, c’est à peine si elle avait prononcé quelques phrases.

Germaine avait respecté ce silence, éprouvant elle-même le besoin de s’isoler et de laisser sa pensée s’en aller vers ceux dont elle était séparée, lorsque, brusquement, en se levant de table, Frida s’approcha d’elle, et, passant son bras sous celui de l’institutrice, elle lui murmura à l’oreille :

— Venez dans ma chambre… J’ai quelque chose à vous dire.

Docilement, Germaine suivit son élève et, dès que la porte fut refermée, la jeune Berlinoise commença :

— Promettez-moi, mademoiselle, de ne jamais révéler à personne et surtout à mon père ce que je vais vous confier.

— Vous pouvez être tranquille, ma chère petite, répondit la Française très intriguée par ce mystère.

Lorsqu’il y a cinq ans, poursuivit Frida, ma pauvre maman nous a quittés pour le ciel, mon père, dans son désespoir, car il adorait ma mère, — a donné l’ordre de fermer hermétiquement les portes de son appartement et de le laisser dans l’état où il se trouvait, afin que personne autre que lui ne pût y pénétrer… A chaque anniversaire, il s’y rend avec des fleurs et s’y enferme pendant de longues heures… Plusieurs fois, je lui ai demandé de l’accompagner et il a toujours refusé. Il ne veut pas que je le voie pleurer, sans doute.

« Mais moi, qui adorais tant petite mère, il me semble que cela me ferait du bien, surtout en ce moment où j’ai tant de peine, de passer quelques instants dans cette chambre que je ne quittais guère quand j’étais enfant et où j’ai entendu de si douces paroles, reçu de si tendres caresses.

Baissant la voix, un peu gênée, comme si elle allait avouer une faute, Frida déclara :

— Longtemps j’ai cherché la clef de cet appartement ; mais papa la cachait avec tant de soin que je ne pouvais arriver à la découvrir… Tout à l’heure, avant de dîner, étant montée dans la chambre de papa pour dire bonsoir au portrait de maman, j’ai aperçu sur la cheminée une clef brillante… Je l’ai reconnue tout de suite… c’est très mal, mais je m’en suis emparée… la voici !…

Dites, mademoiselle Bertha, voulez-vous venir avec moi dans la chambre, parce que, toute seule, j’aurais peur ?…

Germaine hésita et essaya de dissuader son élève de ce projet ; mais Frida y mit une si douce et si pressante insistance qu’elle finit par consentir.

Dans la maison silencieuse, les deux jeunes filles accomplirent ensemble, avec mille précautions, le pieux pèlerinage.

Frida lui montrait tous les souvenirs de la chère morte, la chambre où elle avait vécu, véritable sanctuaire aujourd’hui de piété et de douleur…

Germaine essayait d’abréger cette visite douloureuse et s’efforçait d’entraîner Frida, lorsque la fille du général, s’arrêtant soudain, souleva une tenture qui cachait une porte garnie d’une vieille serrure en fer forgé.

— Cette porte donne dans le bureau de mon père, révéla t-elle.

A ces mots, Germaine tressaillit ; mais réprimant aussitôt son trouble, quoique toute haletante de curiosité, elle écouta Frida qui poursuivait :

— C’est par cette porte que maman allait rejoindre mon père quand il travaillait tard dans la unit Alors moi, souvent, je faisais semblant de dormir… puis je me levais et, sur la pointe des pieds, j’allais ouvrir tout doucement la porte Je m’avançais sur la galerie qui fait le tour du cabinet, je me penchais sur la balustrade et j’apercevais papa devant une grande table, penché sur des dossiers, tandis que maman, assise près de lui sur un fauteuil, faisait de la broderie Je restais la un moment a les contempler, et tout a coup, je m’ecriais « Bonsoir, papa ! Bonsoir, maman ! » Ils relevaient la tête tous les deux en même temps. Papa grondait… oh ! pas bien fort… « Petit démon ! »… tandis.que mère souriait en disant: « Mon cher ange ! »… et je me sauvais vite….

« Aujourd’hui cette porte est condamnée, acheva la jolie Berlinoise… personne ne passe plus par là, comme personne ne vient plus par ici.

— Partons, allons-nous-en !… dit fiévreusement l’institutrice. En voilà. assez, ma chère enfant… Vous allez, vous rendre malade. Que dirai-je a votre père demain, s’il me questionne ?…

Avec un dernier regard, un baiser envoyé au portrait de la morte, Frida se laissa emmener.

*

Une semaine après.

Il est deux heures du matin. Tout est silencieux dans l’hotel de l’Etat-major, que le général von Talberg a quitté la veille pour partir en tournée d’inspection du côté de la frontière française.

Dans l’antichambre qui précède le bureau du grand chef, Ulrich, le colossal uhlan, étendu sur un lit de sangle, veille, un revolver à portée de sa main, prêt à bondir au premier bruit suspect.

A l’étage supérieur, Frida dort paisiblement.

Seule de toute la maison, Germaine Aubry ne s’est pas enfermée dans sa chambre, elle examine a la lueur de la lampe deux clefs, l’une de dimension ordinaire, l’autre très grande et bizarrement ouvragée.

Elle les fait disparaître dans sa poche, tire d’une pile de linge caché un revolver de faible volume qu’elle glisse dans son corsage, éteint sa lampe, en allume une autre toute petite, électrique, et elle s’apprête à ce qu’elle a résolu.

Mais elle s’arrête, hésitante. Elle est pâle. Un combat terrible se livre en elle.

— Ai-je bien le droit de faire cela … se demande-t-elle prise de scrupules. Le général von Talberg m’a accueillie chez lui avec bonté… Il a confiance en moi… Il semble loyal, généreux même… Sa fille est si charmante et si douce… et c’est elle qui, en me choisissant pour confidente de ses peines, en me faisant pénétrer dans ce sanctuaire fermé à tous, m’a pour ainsi dire indiqué la voie que je devais suivre pour pénétrer jusqu’au bureau du général… N’est-ce pas elle qui m’en ouvre aujourd’hui la porte, puisque c’est par elle que j’ai eu l’idée de relever d’abord à la cire l’empreinte de la première serrure, de m’en aller trouver cet agent secret avec lequel la Sûreté française m’a mise en rapport et de lui demander de me faire fabriquer une clef, grâce à laquelle j’ai pu m’introduire de nouveau dans l’appartement de la comtesse et prendre cette fois l’empreinte de la seconde serrure fermant la porte qui donne accès dans le bureau du général ?…

« Maintenant que j’ai presque atteint mon but, maintenant que je suis sur le point de pénétrer dans cette pièce qui cache tant de secrets utiles à mon pays, je sens en moi se glisser… non pas la peur… mais le remords… j’en arrive à me demander si j’ai le droit d’agir de la sorte…

Mais tout à coup, nerveusement, Germaine Aubry relève la tête. Une vision terrible vient de frapper ses yeux. Elle revoit la scène effrayante où, seule, dans le pavillon de Saint-Mandé, elle a failli être assassinée… Elle aperçoit Jacques Müller entrant dans la maison, lui arrachant la clef du secrétaire et cherchant à l’étrangler… l’infâme !…

Puis c’est ce père désespéré… ce grand honnête homme qui, croyant enfin toucher son but, exultait de joie et qui, à présent se désespère et s’effondre au milieu des ruines de son bonheur à jamais écroulé… Il lui semble qu’une voix lui crie

« A quoi bon ces scrupules ?… En a-t-il eu, Jacques Mûller, pour tout saccager chez toi… pour duper honteusement ton père ?… Et puis, n’y a-t-il pas derrière toi toute une nation qu’il faut défendre, tout un pays qu’il faut sauver ?…

« France d’abord !… comme l’a dit le poète. Va, courage !… tu n’es pas l’espionne qui trahit et qui ment… Tu es le soldat envoyé en reconnaissance et qui cherche à surprendre l’ennemi… Tu es l’extrême avant-garde d’une armée qui attend de toi les renseignements qui vont éclairer sa route !… En avant, Française !… En avant toujours et quand même !…

Le sort en est jeté… Elle quitte sa chambre… se glisse dans le couloir… Elle pénètre sans bruit dans l’appartement condamné… L’une après l’autre, les deux clefs, habilement exécutées fonctionnent… La Française s’introduit dans le bureau du chef de l’Etat-major allemand.

La voilà penchée sur la balustrade de la galerie, d’où elle regarde le vaste cabinet… Elle descend l’escalier d’un pas ferme, assuré… Tout son être ne se tend plus que vers un seul désir dde prendre sa revanche.

Elle depose la lampe qui l’eclaire et elle cherche autour d’elle, sur la table… les dossiers importants sont enfermés sans doute…

Rien. Ce vaste coffre-fort qui est là lui dérobe tout ce qu’il y a de précieux pour elle, de secret…

Germaine s’irrite de son impuissance. Elle fouille la corbeille à papiers, n’y découvrant que quelques fragments de papiers couverts d’écriture, dont elle s’empare et qu’elle cache dans sa poitrine.

Mais là, sur le sous-main garni de buvard, elle voit des traces de lettres, imprimées à l’envers… Elle le prend, l’approche d’une glace… les caractères se redressent… les mots se précisent… elle lit :

« Ordre au colonel Hoffmann, chef du Bureau des renseignements, d’envoyer le capitaine Kefnerr le plus tôt possible en France avec mission d’étudier le materiel des batteries lourdes de campagne”

Alors Germaine, radieuse, note ce nom dans sa mémoire, et elle se dit triomphante :

— Enfin, j’en tiens un !…

Avec des précautions infinies, elle regagne sa chambre, non sans avoir jeté un dernier regard sur le cabinet en se disant :

— Je reviendrai !… Oh oui, je reviendrai !…

Coeur de Française (Chantecoq)

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