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Chapitre IV : L’embuscade

Le jour commence à poindre.

Une auto à la carrosserie longue, basse et peinte en gris, file à toute vitesse sur la route de Lunéville à Avricourt.

L’homme qui la pilote est seul. Un pare-poussiere tout taché l’huile et de graisse recouvre ses vêtements ; une casquette est enfoncée sur sa tête jusqu’aux oreilles ; de grosses lunettes noires cachent la moitié de son visage… Ses mains nerveuses se crispent sur le volant. De temps en temps, Jacques Müller, complètement transformé, les cheveux coupés ras, la moustache entièrement raisée, murmure d’une voix saccadée :

— Enfin, je les tiens, ces plans… ces dossiers que mes chefs voulaient à tout prix posseder !… Je les rapporte a mon pays !…

Quel coup de maître !… Quel triomphe m’attend la-bas !…

Mais tout à coup, un cri s’échappe de la poitrine de l’espion. A lueur de l’aube naissante, il vient d’apercevoir, barrant la route à cinquante mètres devant lui, un attelage chargé de fumier, comme les paysans en laissent parfois dans les champs… Müller empoigne aussitôt son frein ; l’auto obéit, ralentit, et s’arrête à quelques centimètres de l’obstacle. A ce moment, cinq hommes correctement vêtus se précipitent sur le conducteur qui n’a pas eù le temps de se mettre sur la défensive, tant l’attaque a été brusque et inattendue.

— Pas un cri ou tu es mort !… menace l’un des bandits, son revolver à la main.

Mais l’espion prussien, d’un bond, s’est dégagé. Il saute de l’autre côté de la voiture, tire un browning de sa poche et, par trois fois, fait feu sur ses agresseurs. Deux hommes tombent, les autres ont déjà riposté.

Müller, atteint en pleine poitrine, bat l’air de ses mains et s’effondre sur la route… Alors les trois bandits, s’acharnant après lui, martèlent son visage à coups de talon de botte en grondant :

— Tu as touché deux des nôtres, mais au moins tu as ton compte !…

Sans perdre un instant, les trois voleurs d’auto reIèvent ensuite les corps de leurs camarades, les couchent dans la voiture puis repoussant sur la banquette du chemin la charrette qui obstrue la route, ils sautent dans l’auto, s’y entassent comme ils peuvent près de leurs complices dont l’un râle et l’autre vient d’expirer et ils s’élancent à toute vitesse pour tourner bientôt à gauche dans la direction de Nancy…

Jacques Müller est resté inanimé sur le chemin, au milieu d’une mare de sang.

Une petite pluie fine et lancinante commence à tomber sur la campagne déserte.

Bientôt un léger frisson secoue le blessé qui semble se ranimer. Ses paupières s’entrouvrent un instant. Un crié touffé vient expirer sur ses lèvres… Il a un geste instinctif… Il ramène sa main sur sa poitrine qu’une balle a trouée ; mais il ne cherche pas sa blessure… Ses doigts tremblent, palpent, tâtent, furettent ; soudain un cri de joie monte à ses lèvres :

— Les papiers sont là !… murmure-t-il. Ils ne me les ont pas volés… Mais comment faire pour les sauver puisque je suis encore en France ?… Si je meurs ici, on les trouvera sur mon cadavre… et je ne veux pas qu’on me les reprenne !… Ils sont à moi… à moi !…

Alors, se raidissant, faisant appel à tout ce qui lui reste encore de force et d’énergie, l’espion se traîne vers un tas de cailloux fraîchement cassés et dont la blancheur se détache sur l’herbe humide.

Il n’a que quelques mètres à parcourir… Pourtant il s’arrête trois fois et, malgré toute sa volonté de dompter la douleur, des plaintes lui échappent…

J’ai mal… Je souffre… C’est horrible !… Pourvu que je ne meure pas avant !…

Mais il se reprend… il rampe encore, sur les genoux et sur les coudes… Il avance… il atteint le but… il est là, penché au-dessus du fossé… ses mains, à tâtons, s’emparent d’un couteau qu’il ouvre avec ses dents… Au milieu de la boue, dans la terre détrempée, il creuse un trou… sa blessure saigne ; le sang coule sur ses mains ; ses oreilles bourdonnent… Il creuse encore, il creuse toujours… et quand la cachette lui paraît assez grande, il déboutonne son vêtement et tire de sa poitrine rougie un paquet mince et taché de sang qu’il enfouit dans la terre… Ce sont les plans de l’aéro de combat volés à Jean Aubry.

Il n’y a que la moitié de la besogne faite… Il faut combler le trou… L’espion est à bout de forces.

Au loin, éclate une sonnerie de clairon. Ce sont des soldats qui arrivent.

— Tout est perdu !… râle le blessé.

Cependant, en un effort suprême, il se ressaisit.

— Non ils ne les auront pas !… pense-t-il rageusement.

Se redressant, il s’agenouille ; il prend des pierres au tas de la route ; il les entasse sur le trésor… Il a encore la force de ramasser ensuite de la terre, des brindilles, des touffes de gazon qu’il arrache, dissimulant ainsi la place où sont enfouis les plans de l’aéro de combat.

Alors, une grimace atroce contracte son visage meurtri, défiguré, et il exhale une dernière plainte qui est comme un soupir de détente et de joie.

Tandis que le chant du clairon français s’approche, l’espion se renverse en arrière et roule dans le fossé détrempé, au milieu des hautes fougères, dans lesquelles il disparaît, subitement enseveli…

Coeur de Française (Chantecoq)

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