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Chapitre II : Le traître
ОглавлениеLe père et la fille étaient demeurés sur place tout interdits.
L’officier s’avançait, les mains tendues et, saisissant en même temps celles de Jean Aubry et de Germaine :
— Oui, la bonne nouvelle !… accentua-t-il.
L’aviateur militaire était un homme de trente ans environ, à la figure martiale, ouverte, au front haut, dégagé, pénétrant.
— Les mauvaises heures sont finies, expliqua-t-il d’une voix vibrante de joie. Je viens de voir le ministre de la Guerre ; il m’a chargé de vous dire, mon cher monsieur Aubry, qu il vous attendra demain matin à dix heures à son cabinet.
— Est-çe possible ?… interrompit l’inventeur en chancelant.
— Attendez, je n’ai pas fini poursuivit le capitaine Comme je vous l’avais promis, j’ai explique au ministre tout le mecanisme de votre merveilleux aéro de combat.
— Et qu’a-t-il dit ?… interrogea fiévreusement Germaine.
Après m’avoir écouté avec la plus grande attention, il m’a posé de nombreuses questions qui m’ont prouvé à quel point j’avais réussi à l’intéresser. Je lui ai répondu de mon mieux et j’ai fini par le convaincre, car il a décidé que dès demain il mettrai à la disposition de M. Aubry tous les fonds nécessaires pour la construction d’un appareil d’épreuve que je suis chargé d’expérimenter en sa présence. Et il a ajouté que si, comme il le souhaitait de tout cœur, cet appareil réalisait pratiquement les espérances qu’il donne en théorie, il était prêt non seulement à vous acheter cinq cent mille francs votre brevet, mais encore à vous nommer directeur de l’usine qu’il fera édifier pour la construction d’une une flottille d’avions de combat dont le commandement me serait confié.
— Père !… s’écria alors Germaine, tu vois bien que j’avais raison quand je te disais de ne pas désespérer.
— Eh bien ! mon cher monsieur Aubry, êtes-vous content ?… demanda l’officier.
— C’est-à-dire… répondit l’inventeur, tout étourdi par cette nouvelle si inattendue et à laquelle il avait peine à croire encore… c’est à dire que je ne trouve pas de mots pour vous exprimer ma reconnaissance…
Réconforté, transfiguré, il serrait avec effusion les mains de l’officier aviateur, tandis qu’il s’écriait, s’adressant surtout à sa fille qui, haletante, ne quittait plus des yeux le jeune capitaine :
— Enfin, on me rend justice !… Je veux que, dans quelques mois, la France possède une quatrième arme qui, pendant longtemps sera pour elle le gage de la victoire, et j’oublie à l’instant toutes mes déceptions et toutes mes souffrances… Je me sens tout grisé de joie… Je ne sais plus… Je ris… Je pleure… Je suis trop heureux… oui, trop heureux !…
En effet, des larmes mouillaient les yeux de l’excellent homme qui poursuivait, le cœur débordant d’émotion et de reconnnaissance :
— Mon bon ami, nous vous remercions de tout notre cœur, ma fille et moi. Sans vous, jamais je n’aurais réussi à arriver jusqu’au ministre… Sans vous, jamais mon œuvre n’aurait vu le jour.
— Ah ! capitaine… dit à son tour Germaine d’une voix toute tremblante… mon pauvre père était désespéré… aussi je vous… je vous…
Sa gorge ge se serrait ; et toute pâle, elle chancela, prête à defaillir.
— Chère enfant !… fit Jean Aubry en la recevant dans ses bras.
Et comme tout en larmes, la fille de l’inventeur appuyait sa tête sur l’épaule de son père, celui-ci reprit :
— Pourquoi pleurer ? Tu dois être heureuse comme moi maintenant…
— Oui, père… Je suis heureuse… très heureuse… balbutia la belle créature à travers ses larmes… mais…
— Quoi donc, ma chérie ?…
— Je n’ose pas… je ne peux pas…
— Parle… voyons…
— Eh bien ! il se mêle à ma joie une grande amertume… causée par le regret… d’avoir fait du chagrin au capitaine…
— A moi, mademoiselle ?… demanda l’officier tout ému.
Faisant alors appel à toute son énergie, la jeune fille, embellie par l’expression de pureté céleste qui se répandait sur ses traits, continua :
— Avant que vous n’arriviez, monsieur Evrard, mon père me disait combien mon refus d’être votre femme vous avait causé de la peine…
— En effet, mademoiselle… dit l’aviateur dont la voix énergique s’était mise à trembler… ce refus a été pour moi plus qu’un chagrin… une véritable douleur… Mais, profondément respectueux de votre volonté, jamais je ne me serais permis devant vous la moindre allusion à un désespoir qui ne doit pas avoir d’autre confident que moi-même…
Cependant puisque vous me donnez le droit de rompre le silence, laissez-moi vous dire que, plus que jamais, mon cœur est à vous… pour toujours…
— Ainsi, malgré mon dédain, s’écria Germaine, vous avez continué à défendre mon père… Vous avez réussi à mettre au jour son idée… et vous êtes prêt à exposer votre vie pour assurer le triomphe de son œuvre !…
— Je n’ai fait que mon devoir de soldat… D’ailleurs, je vous aime trop pour vous garder rancune On ne force pas une âme… Et puis, il y a là un homme de génie… un homme admirable dont j’ai fait mienne la cause sacrée entre toutes… Et enfin, planant au-dessus de toutes les considérations humaines, au-dessus de tout, il y a la Patrie pour laquelle tous doivent être prêts à saçrifier leur existence… leurs rêves !
— Ah ! pardonnez-moi, capitaine… pardonnez-moi !… s’écria la noble enfant, cédant à l’élan irrésistible qui s’emparait d’elle.
— Vous pardonner ?… Pourquoi ?…
— Parce que tout à l’heure, j’ai affirmé à mon père que vous aimais pas… que je ne vous aimerais jamais… Eh bien je mentais… oui, je mentais…
— Germaine !… s’écrièrent simultanément les deux hommes.
— Il fallait bien donner une raison à mon refus, expliquait elle à l’inventeur ; car je ne voulais pas te quitter au moment où tout s’écroulait autour de toi… Je voulais rester pour soutenir ton courage, pour ranimer ta foi et surtout pour réchauffer ton cœur…
— Ah, mes pauvres enfants, exclama M. Aubry. quand on pense que c’est moi qui ai retardé votre bonheur !…
— Il n’est que plus complet aujourd’hui !… fit la jeune fille en tendant sa main à l’officier qui s’empressa de la saisir et de la porter à ses lèvres avec une ferveur respectueuse.
— Vous comprenez le motif sacré qui m’a imposé cette conduite, reprenait Germaine… Vous m’avez comprise, n’est-ce pas ?… Je ne pouvais pas agir autrement…
— Ne vous défendez pas, dit l’officier. Le sentiment si pur qui a dicté votre attitude augmente encore mâ tendresse qui ne date pas d’hier… mais de l’an passé.
— De l’an passé ?…
— Oui… du jour où, pour la première fois, je suis monté au dessus des nuages… là-bas…
— Au champ d’aviation de Vincennes !… compléta Germaine toute radieuse à ce souvenir. J’étais là, moi aussi, perdue dans la foule , appuyée au bras de mon père… et tous deux nous ne quittions pas des yeux un tout petit point noir, à peu près gros comme une hirondelle et qui diminuait vite, très vite, pour disparaître bientôt tout à fait… Oh ! qu’elles m’ont paru longues ces minutes où l’on ne distinguait plus rien… rien !… Et quel cri de joie lorsque j’ai revu le tout petit point noir, la toute petite hirondelle qui revenait, grandissait et reprenait peu à peu sa forme première de libellule aux grandes ailes… Enfin l’aéro descendant plein de grâce et de majesté jusqu’au milieu de la piste… tandis que les applaudissements, les cris, les vivats succédaient au silence angoissé qui nous étreignait tous et que, de toutes parts, des gens s’évadaient des tribunes pour courir vers vous…
— Et qu’une jeune fille, adorablement belle, achevait le capitaine Evrard, se précipitait, arrachant de son corsage pour la donner à l’aviateur, une fleur, une simple rose dont j’ai toujours gardé en moi le parfum…
— Allons, à table !… dit Jean Aubry, plus ému qu’il ne voulait le paraître, en voyant apparaître Victoire, la cuisinière, qui donnait des marques d’impatience… Car vous restez dîner avec nous, capitaine.
— Oh ! c’est entendu, insista la jeune fille en voyant l’officier esquisser un geste de protestation. Ce seront nos fiançailles…
— Par exemple, avertissait Jean Aubry, vous allez faire un bien piètre repas.
— Parbleu ! dit Victoire qui ajoutait déjà un couvert, tout est trop cuit… non seulement vous arrivez en retard, mais vous vous mettez à causer…
— Nous nous rattraperons le jour de la noce !…
Et, tout en s’asseyant, l’inventeur ne put s’empêcher de dire :
— C’est égal… Le président de la commission technique va faire une drôle de tête quand il apprendra que le ministre a accepté mon aéro…
— Il ne sera pas le seul… dit l’officier.
— Mais j’en connais un, par exemple, qui va être joliment content… c’est notre ami Jacques Müller…
— Ah oui, ce jeune Alsacien qui a pour vous tant d’affection et de reconnaissance.
— Un brave garçon, souligna Germaine.
— Il me disait dernièrement combien tous les deux vous l’avez entouré d’attentions et de soins quand il était malade.
— C’était un enfant d’Alsace, sans famille, exposa Jean Aubry, sans ressources, sans appui moral, perdu en quelque sorte dans Paris… Je l’ai rencontré au cours que je fais chaque semaine à l’université populaire du faubourg Saint-Antoine… Tout de suite, je l’ai distingué des autres par son attention et ses bonnes manières… Il me paraissait heureux de s’instruire par les questions intelligentes qu’il me posait… Quand j’ai su qu’il était tombé malade dans une. mauvaise chambre d’hôtel, je suis allé le voir. Il était là, tout seul, abandonné. Je lui ai envoyé un médecin et j’ai veillé à ce qu’il ne manquât de rien…
« Je vois que je n’ai pas obligé un ingrat… Il va venir ce soir, car il demeure aux environs et il vient me prendre chaque fois que je vais à mon cours.
— Je serai très heureux de me rencontrer avec lui… déclara l’officier. De quelle ville est-il donc ?
— De Strasbourg… Il appartient à une très vieille famille de là-bas !… Son grand-père a été fusillé en 70, comme franc-tireur, par les Prussiens… Quant à son père et à sa mère, ruinés par des spéculateurs allemands, ils sont morts, il y a quelques années, de chagrin et de misère.
— Voilà M. Müller !… annonça Victoire en revenant pour son service.
— Je suis un peu en retard ce soir, dit Jean Aubry en consultant la pendule.
Et s’adressant à la domestique, il ajouta :
— Qu’il entre !… Il trinquera avec nous, n’est-ce pas Capitaine ?
— Très volontiers !
Un jeune homme de haute stature, à la moustache soyeuse, aux cheveux blonds partagés sur le milieu du front par une raie impeccable, gardant, sous la simplicité de sa mise, une élégance naturelle, s’avançait, le chapeau à la main, très à son aise, en familier de la maison.
— Nous étions justement eu train de dire du mal de vous, attaqua l’inventeur en lui tendant la main.
— Le capitaine Maurice Evrard, présenta-t-il ensuite, au moment où le jeune homme échangeait un salut avec l’officier. Comme je sais que vous êtes vraiment notre ami, j’ai le plaisir de vous apprendre qu’il est le fiancé de ma fille.
— Oh! mon cher capitaine, s’écria Jacques Müller avec un élan tout spontané, je vous félicite de tout mon cœur… Et vous aussi, mademoiselle… Croyez que je forme pour vous les vœux les plus ardents…
— Mais ce n’est pas tout !… poursuivait l’inventeur radieux. Mon aéro de combat, dont je vous ai parlé si souvent…
— Eh bien ?… interrogea vivement le nouveau venu.
— Il est accepté en principe, et demain j’en remettrai les plans au ministre de la Guerre, qui m’attend…
— Vous dites ?… tressaillit l’Alsacien en s’efforçait de maitriser le trouble qui s’était emparé de lui.
— Je dis, reprit Jean Aubry en s’animant, que, dans un an, la France possédera une véritable éscadre aérienne du haut de laquelle nous pourrons, grâce à un engin de mon invention, c’est à dire à l’aide d’un projectile d’un tout petit volume et d’une force d’expansion prodigieuse, non seulement détruire en quelques heures toute la ligne de défense de nos adversaires, mais encore anéantir leurs armées en marche.
Et comme l’Alsacien gardait le silence, le père de Germaine ajouta :
— Cela doit réjouir votre cœur de patriote !… Hein ! Mon cher Müller, quelle belle revanche !…
— Oui, quelle belle revanche… répéta sourdement l’homme à la moustache blonde.
Et, la voix angoissée, il reprit :
— Pardonnez-moi, monsieur Aubry, si je ne vous exprime pas comme je le voudrais tous les sentiments qui m’agitent… mais le mot que vous venez de prononcer me rappelle de tels souvenirs… là-bas… les miens… toutes ces tombes…
— Je vous comprends, mon bon ami, dit le patriote.
« Allons, Victoire, ordonna-t il joyeusement à la cuisinière. Apportez-nous cette bouteille de champagne, la dernière qui me reste afin que nous la vidions au bonheur de ces enfants et à la santé du ministre qui me rend enfin justice !
Jacques Müller avait pris place entre Aubry et Germaine, en face du capitaine qui, tandis qu’on débouchait le champagne, s’entretenait avec lui de l’Alsace qu’il connaissait bien.
Les coupes remplies furent choquées.
— A l’aéro de combat, dit Maurice Evrard.
— A l’aviation militaire !… et à votre bonheur, mes chers enfants, dit Jean Aubry.
Jacques Müller semblait avoir complètement chassé de son âme les souvenirs attristants que les déclarations enthousiastes de l’inventeur y avaient éveillés et il avait trinqué avec allégresse.
Mais, par instant, un nuage rapide passait sur son front ; une expression d’inquiétude chargeait son regard et un pli amer contractait sa bouche. Tout à leur joie, l’inventeur, Germaine et le capitaine ne pouvaient remarquer le trouble réel qui, de temps en temps, s’emparait de l’Alsacien et que celui-ci, d’ailleurs, parvenait à dominer presque aussitôt.
— Eh ! mais, l’heure passe !… s’écria tout à coup Jean Aubry en levant les yeux sur la pendule. Diable ! et mon cours !
Et, se levant, il ajouta :
— Je ne voudrais pas faire attendre ces braves gens qui prennent sur leur sommeil pour s’instruire.
Müller s’était levé aussi, se disposant à accompagner le professeur.
— Moi, dit l’officier, il me tarde d’aller annoncer nos fiançailles à ma chère maman… Je veux que, ce soir, elle ait aussi sa bonne nouvelle …
— Vous l’embrasserez bien pour moi… murmura la fille de l’inventeur en se penchant vers son fiancé.
— Je vous le promets.
— En route ! s’écria rondement l’inventeur.
— N’oubliez pas, cher monsieur Auhry, fit observer le capitaine, que vous êtes attendu demain matin à dix heures au ministère.
— Soyez tranquille, répondit l’inventeur de l’aéro de combat, je serai exact.
Et s’adressant à sa fille, il recommanda :
— Range tous mes dossiers et ma serviette dans le secrétaire, afin que je trouve tout prêt demain matin.
Puis prenant dans la poche de son gilet un petite clef nickelée, il la remit à Germaine en lui disant :
— Surtout ne l’égare pas.
— N’aie pas peur !… affirma la jeune fille, en passant la clef à une chaîne d’or qu’elle portait au cou et qui soutenait un médaillon contenant les cheveux de sa mère.
Alors embrassant son enfant, Jean Aubry lui dit :
— Je rentrerai entre onze heures et minuit, comme d’habitude. Surtout ne te crois pas obligée de m’attendre… Allons, bonne nuit, ma chérie.
— Bonsoir, père.
Germaine reconduisit les trois hommes jusqu’à la porte grillée, serra de nouveau tendrement la main de son fiancé et les regarda s’éloigner sur la route jusqu’à ce que leurs ombres, puis leurs pas se fussent perdus dans la nuit.
Revenant à la maison, tandis que Victoire desservait la table et rangeait la vaisselle, elle passa dans le bureau et enferma avec soin dans le secrétaire la serviette et les précieux dossiers de son père.
Comme la femme de ménage, son ouvrage terminé, venait lui demander avant de se retirer si elle n’avait besoin de rien, la jeune fille la remercia gentiment et la pria d’être là le lendemain matin de bonne heure, M. Aubry ayant à sortir pour ses affaires.
Demeurée seule, Germaine s’en fut fermer la porte d’entrée de la maison ; puis, retournant dans le cabinet de son père, elle prit un livre dans la bibliothèque, s’assit sur un fauteuil, près du guéridon, sur lequel une lampe à abat-jour vert était allumée, et distraitement elle commença à feuilleter les pages du volume.
Mais la pensée de la fiancée du capitaine Evrard était ailleurs… son esprit était absorbé par le bonheur que cette journée inoubliable lui avait apporté. Le succès désormais assuré à l’invention de son père, dont la gloire et la. fortune couronneraient bientôt les inlassables travaux… L’amour, cet amour si bien caché en elle depuis plusieurs mois, et enfin permis à son cœur…!
Longtemps, Germaine demeura ainsi songeuse. Un sourire de félicité illuminait son adorable visage…
Tout son être débordait d’une joie surhumaine, presque divine et, se levant, elle fut vers le portrait d’une femme encore jeune et jolie qui s’appuyait à un vase où ’épanouissaient quelques roses. Elle s’empara de l’image et la porta à ses lèvres en disant :
— Ma chère maman, pourquoi n’es-tu plus là pour partager notre bonheur ?..
Mais tout à coup, Germaine s’arrêta.
Il lui avait semblé qu’on heurtait discrètement à la porte du pavillon.
— Ce ne peut-être mon père qui rentre, se dit-elle ; il est trop tôt… D’ailleurs, il a sa clef.
Mais presque aussitôt, un coup plus fort retentissait.
Germaine ne s’était donc pas trompée… il y avait quelqu’un à la porte…
Du vestibule, elle questionna :
— Qui est là ?
— C’est moi, mademoiselle Germaine, répondit la voix connue de Jacques Müller.
Germaine se hâta pour traverser le jardin.
— Est-ce que mon père ?… interrogea-t-elle subitement angoissée.
— Rassurez-vous… Il n’est rien arrivé de fâcheux à M. Aubry, répondit l’Alsacien en pénétrant dès que la grille fut ouverte.
— Bien vrai ?… demanda la jeune fille en l’accompagnant dans l’antichambre. Il n’est rien arrivé à papa ?
— Je vous l’assure…
— Alors ?…
— M. Aubry a oublié des notes qui lui sont nécessaires pour sa conférence… expliqua Jacques Müller. Il voulait rebrousser chemin… mais il était déjà en retard… et j’ai voulu lui éviter cette peine en venant à sa place…
— Ah tant mieux !… J’ai eu peur !…
— Ce sont des notes qu’il a laissées dans sa serviette ajouta le jeune homme, en montrant le secrétaire.
Mais si Germaine, encore alarmée, n’avait pas été mise en éveil par la voix agitée de Jacques Müller, l’éclair qu’elle vit briller en ses yeux au moment où ses regards se dirigèrent vers le meuble lui inspira une soudaine défiance.
Instinctivement elle porta la main à son cou où pendait la petite clef.
Le jeune homme crut qu’elle allait la prendre pour ouvrir le meuble, et d’un geste trop prompt, il tendit la main, en disant :
— Donnez… Je sais, où les papiers se trouvent…
Germaine se recula d’un pas.
— Dépêchez-vous, mademoiselle… insista l’Alsacien. Il faut que je rejoigne M. Aubry… Il m’attend.
Envahie tout à coup par une atroce inquiétude. Germaine recula, balbutiant :
— Je vous assure que mon père avait sur lui les documents… et je ne comprends pas…
Elle n’acheva point…
En un geste brutal, rapide, imprévu, Jacques Müller s’était précipité sur elle, saisissant tout à coup la chaîne d’or que la jeune fille portait au cou ; de la main gauche, il l’arracha violemment, la brisant et traçant sur le cou de la malheureuse un rouge et douloureux sillon.
Germaine demeura un instant comme pétrifiée, fixant d’un œil hagard cet homme qu’elle avait jusqu’alors considéré comme un ami, cet homme qui était le protégé et l’obligé de son père et qui maintenant, farouche, haineux, terrible, l’enveloppait d’un regard de menace et de mort !…
— Misérable !… s’écria-t-elle en un cri de colère et de douleur.
— Pas un mot… ou je vous étrangle !… rugit le traître tandis qu’une flamme de crime s’allumait dans ses prunelles.
— Cette clef… Rendez-moi cette clef !… clama d’une voix furieuse Germaine qui avait déjà deviné les intentions criminelles du faux Alsacien.
Alors, harcelé par le danger que les cris de la jeune fille rendaient imminent, Jacques Müller lui sauta à la gorge et il allait la serrer, implacable, lorsque tout à coup il sentit le corps de Germaine glisser entre ses mains, tandis que la tête se renversait en arrière et que les paupières, après avoir battu deux ou trois fois, se refermaient lourdement sur les yeux.
— Evanouie !… murmura le bandit, en considérant froidement la jeune institutrice qui gisait inanimée sur le parquet.
Et cyniquement, il ajouta :
— C’est préférable !…
Puis, courant au secrétaire de Jean Aubry, il introduisit dans la serrure la clef qu’il venait si lâchement de voler à la jeune fille sans defense, ouvrit le meuble et se mit a fouiller parmi les dossiers que la serviette contenait.
Au bout d’un instant sa figure prit une expression de triomphe.
— Aéro de combat… murmura-t-il. C’est cela… Je tiens mon affaire !…
Et glissant les plans secrets de l’inventeur dans une vaste poche pratiquée à l’intérieur de son veston, il s’élança au dehors…