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VII : Rencontre sur un pont.

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Accablée à la pensée qu’elle ne reverrait plus jamais Hervé de Kergroix, Simone, après avoir quitté la petite maison où elle s’était bercée de l’illusion d’être toujours heureuse, était partie au hasard… tout droit devant elle… se demandant :

— Où aller ?… Où aller ?

Dans sa hâte de mettre tout de suite une certaine distance entre elle et le passé, elle avait gagné le pont de Suresnes qu’elle avait traversé d’un pas nerveux, saccadé… et, franchissant la grille de l’octroi où elle avait dû, formalité si pénible pour elle en un pareil moment, ouvrir sa valise et en soumettre le contenu à l’examen du représentant de cette institution aussi vexatoire qu’inutile, elle s’était dirigée vers la station du tramway dit du « Val-d’Or ». Son intention était de se rendre à Paris. Grâce aux ressources qu’elle possédait (elle avait touché, l’avant-veille, à l’usine, sa mensualité), il lui était possible, en attendant un emploi que, plus que jamais, elle désirait de tout son être, de descendre dans une pension de famille modeste, mais bien fréquentée et bien tenue. Elle se sentit un peu réconfortée à la pensée qu’elle n’allait pas être réduite, du moins quant à présent, à ces promiscuités fâcheuses qu’elle redoutait par-dessus tout, et qu’elle aurait le temps d’organiser cette existence laborieuse à laquelle elle s’était vouée désormais.

Posant sa valise à terre, elle attendit donc que le tramway du Val-d’Or parût. Plongée dans ses pensées, elle ne songeait même pas à regarder les gens qui se trouvaient autour d’elle… lorsqu’un timbre vibra à plusieurs reprises, en même temps que s’élevait le bruit caractéristique d’un tramway en marche qui, à travers les arbres, s’apprêtait à gagner le point terminus.

Simone se baissa pour prendre sa valise… Mais, bousculée par deux individus qui se trouvaient à ses côtés, elle roula à terre… Lorsqu’elle se releva, sa valise et son sac à main avaient disparu. Un moment, elle resta abasourdie et, lorsqu’elle voulut faire part au contrôleur du double vol dont elle avait été victime, les deux gredins, juchés sur une motocyclette, filaient à toute allure dans la direction de la cascade. Il était trop tard pour les rattraper…

Simone se trouvait donc sans la moindre ressource… Mais ce qui lui faisait le plus de peine, c’était la disparition de la photo d’Hervé, seul souvenir qu’elle avait tenu à emporter… Découragée, elle murmura :

« Décidément, je suis née pour être malheureuse ! »

De nouveau, la question : « Où aller ? » se posait à elle, d’autant plus poignante qu’il ne lui restait plus rien, pas même un bijou de minime valeur qui lui eût assuré la sécurité de la nuit et du lendemain.

Etreinte d’angoisse, elle songeait :

« Je ne puis pas retourner là-bas… dans ma petite maison… car maintenant je n’aurais plus la force d’en partir ! »

Elle se rappela les paroles pleines de gratitude et de bonté que Mme de Rhuys avait eues pour elle. Mais elle songeait :

« Je lui ai dit que je ne voulais rien accepter… je ne peux donc revenir sur ma décision et m’en aller lui demander l’aumône… sous prétexte que des voleurs m’ont pris ma valise et mon sac. Elle ne me croira pas et se figurera que je lui joue une vilaine comédie. Or, je tiens avant tout à son estime ; et je ne veux pas surtout qu’Hervé, mis au courant d’une pareille démarche, se figure un seul instant que mon sacrifice n’est pas aussi désintéressé que mon amour.

Et elle se prit à murmurer :

« La Seine est là, tout près… Si je n’avais pas fait le serment de vivre, j’irais vite m’y précipiter. »

La nuit était venue. Avec résignation, la pauvre enfant se dit :

— J’attendrai le jour sur un banc, puis, dès demain matin, je m’en irai à l’œuvre des « Femmes sans travail » demander de l’ouvrage en attendant qu’on me vienne en aide. Car il ne faut pas que je m’éloigne du programme que je me suis tracé et que j’oppose un démenti à la lettre d’adieu que j’ai écrite à Hervé.

Réconfortée par la résolution énergique qu’elle venait de prendre, Simone s’engagea dans un chemin qui descendait au bord de la Seine… qu’elle suivit d’un pas lourd, hésitant. Elle n’en pouvait plus. Si les émotions de la journée n’avaient pas entamé son courage, elles avaient brisé ses forces physiques… Une invincible torpeur l’envahissait peu à peu… Elle chercha à lutter… mais en vain… Ce n’était pas le sommeil qui la gagnait, mais un engourdissement progressif, symptôme d’une de ces prostrations qui abattent les plus robustes.

A plusieurs reprises, pour ne pas glisser sur le sol, elle dut s’appuyer contre un arbre… Mais, reprenant haleine, elle se remit en route.

Après un nouvel arrêt contre un gros peuplier qui, trop lourd pour ses racines, commençait à s’incliner vers le fleuve, elle allait continuer son chemin de croix nocturne, lorsqu’un bruit léger de pas sur la terre battue du sentier, en même temps qu’un murmure très doux de voix que l’on eût dites tendrement enlacées, telles que devaient l’être celles que Roméo et Juliette échangeaient amoureusement, frappa les oreilles de l’errante.

Simone aperçut deux ombres qui s’avançaient lentement… Lui avait passé son bras sous la taille de l’aimée.

Elle posait langoureusement sa tête sur l’épaule de son amant…

L’amie d’Hervé devina qu’ils chantaient ou plutôt qu’ils modulaient la même chanson, celle dont tant de fois elle avait répété le refrain à l’unisson de celui qu’elle ne devait plus jamais revoir.

Ils passèrent près de Simone, qui s’était dissimulée derrière le peuplier… Ils s’arrêtèrent… A la clarté de la lune, Simone aperçut leurs visages… Celui de l’amant était quelconque, sans caractère, sans personnalité… Celui de l’aimée avait la même banalité… Et pourtant, ils étaient beaux tous les deux, beaux par les sentiments qui embaumaient leurs âmes, beaux par l’échange de leurs cœurs divinement attachés !

Les amoureux s’éloignaient à petits pas…

Simone se laissa glisser à genoux au pied de l’arbre auquel elle s’appuyait.

Une plainte lui échappa :

— Aurai-je la force de tenir la promesse que j’ai faite à Mme de Rhuys ?

Elle regarda la Seine, long ruban d’argent miroitant sous le reflet de la lune… Un vaste chaland tout noir en suivait le cours, entraîné par un remorqueur dont la sirène, avant d’arriver à l’écluse, laissa échapper des hululements sinistres. Il lui sembla que ce bateau était comme un immense cercueil au fond duquel, étendue sur la planche très dure, elle reposait au milieu de ses espérances, mortes comme elle…

Pour ne pas succomber à la tentation qui l’envahissait, elle se cacha la tête entre les mains… A plusieurs reprises, son buste oscilla et elle finit par tomber sur le sol où, écrasée de la fatigue, elle s’endormit…

Ce sommeil lourd, fiévreux, prolongé, ne fut interrompu que par un bruit de pas rapprochés. Un promeneur, attardé sans doute, qui était passé près de la malheureuse sans l’apercevoir, tant elle se confondait avec la nuit, devenue maintenant obscure… Le temps de se réveiller, de se soulever, Simone n’entrevit plus qu’une ombre… Mais sous l’influence du rêve auquel elle venait d’échapper et dans lequel elle se figurait voir son Hervé cherchant à la retenir, à l’attirer dans ses bras, à la couvrir de baisers, elle eut ce cri :

« Hervé, c’est lui ! … C’est toi !… »

Alors, elle se leva… L’ombre avait disparu. Cependant elle s’élança sur sa trace avec les allures d’une hallucinée… Elle atteignit ainsi, sans s’en rendre compte, le pont de Puteaux… Et, désillusionnée, elle s’appuya contre le parapet et se mit à pleurer.

*

À la même heure, M. de Rhuys venait de dépasser le château de Madrid qui s’élève en bordure du bois de Boulogne. Son intention était de gagner à pied la gare de banlieue la plus rapprochée, d’y prendre le premier train pour Versailles et, de là, de se rendre, sous un déguisement, à l’abbaye des trappistes de Thymadeuc, en Bretagne, dont le père abbé était un de ses amis d’enfance. A lui, mais à lui seul, sous le sceau du secret le plus absolu, il dirait toute la vérité… et il trouverait, dans cet asile de paix, un sûr refuge.

Tout en cheminant, il évoquait la haute et puissante silhouette du vieux couvent… Il respirait avec ferveur son atmosphère de sécurité… et il lui semblait qu’il était déjà là-bas, dans la chapelle austère, parmi les moines prosternés au pied de la croix, et qu’il voyait apparaître, à travers les vitraux, une douce aurore qui apportait l’apaisement à son cœur déchiré… Mais non, c’était le jour qui commençait à naître à travers les sombres frondaisons du Bois.

S’évadant de sa rêverie, il pressa le pas, atteignit rapidement le pont de Puteaux. Comme il le traversait, il lui sembla entendre des plaintes vagues. On eût dit une voix d’enfant qui appelait au secours… Il regarda avec plus d’attention et aperçut, pliée en deux, une femme qui sanglotait, affalée sur le parapet… Vite, il s’approcha d’elle et dit :

— Que faites-vous là, ma pauvre enfant ?

Simone ne lui répondit pas… Le comte Robert lui prit la main… Elle leva la tête et le regarda. Son visage eut aussitôt une expression étrange et un cri inouï, formidable, lui échappa :

— Mon père ! Mon père !…

M. de Rhuys demeura un instant interdit. Puis, doucement, il reprit :

— Vous vous trompez, mademoiselle.

— Non, non, protesta Simone… C’est vous, c’est bien vous… Je suis votre fille… Vous ne me reconnaissez pas ? Je comprends… J’étais une enfant quand vous êtes parti… Mais moi, je suis sûre que vous êtes bien mon père.

Au comble de la stupéfaction, le comte Robert contemplait la malheureuse qui dirigeait vers lui ses yeux dans lesquels il y avait à la fois toutes les craintes et toutes les prières.

Tout à coup, la lumière se fit dans son esprit… Cette désespérée, c’était la fille de Poker d’As, la fille de son frère que, sans le vouloir, il venait de tuer de sa main.

Bouleversé, il interrogeait :

— Quel est mon nom ?

— Jean Servat… mais on vous avait surnommé…

Robert l’invitait à continuer et elle acheva avec embarras :

— Poker d’As ! Maintenant, M. de Rhuys ne pouvait plus en douter… C’était bien la fille de l’autre qui était devant lui !… Une expression de douleur contracta son visage et, en une sorte de réflexe involontaire, il voulut dégager sa main que Simone n’avait pas lâchée.

— Ne m’abandonnez pas… supplia-t-elle. Je suis si malheureuse !… Il y a maintenant trop de douceur dans vos yeux, trop de noblesse dans votre visage pour que vous n’ayez pas pitié de moi.

Profondément ému, le comte Robert sentit qu’il n’aurait plus le courage de poursuivre seul sa route…

Déjà se précisait en lui l’impression que le destin, en plaçant la fille de son frère sur sa route, lui imposait le devoir de lui venir en aide.

Cédant à l’immense générosité qui avait toujours été le guide de ses actes, il releva Simone et l’emmena vers un banc sur lequel il la fit asseoir ; et il demeura près d’elle, troublé, silencieux.

Elle avait repris sa main, sur laquelle il sentait la pression de ses doigts tremblants et qui semblaient ne réclamer de lui que de la tendresse…

— Vous avez sans doute appris, dit-elle, que maman était morte… Vous vous rappelez combien elle était bonne… J’ignore pourquoi vous l’avez quittée… Elle ne me l’a jamais dit… et je ne le lui ai jamais demandé. Tout ce que je puis vous dire, c’est que, quand elle me parlait de vous, elle disait toujours : « Ton pauvre père », et jamais elle n’a eu un mot méchant pour vous. C’était une vraie sainte… Aussi quand elle est morte, j’avais douze ans et que j’ai dû aller vivre chez les autres… Mais je vous raconterai tout cela plus tard…

Et, en un sanglot, elle murmura :

— Si vous saviez combien j’ai souffert… combien je souffre encore !

M. de Rhuys s’assit près de Simone qui, en un geste d’abandon filial, laissa retomber sa tête sur son épaule.

— Je veux tout dire… fit-elle. Oui, je veux que vous n’ignoriez rien de moi.

— Oui… parlez.

— Pour une jeune fille seule, la vie est très dure et je désespérais, lorsque je rencontrai un jeune homme auquel, sans calcul, sans arrière-pensée, je vous le jure, je me suis donnée… Je lui dois trois années de bonheur… C’était trop sans doute, puisque…

Elle s’arrêta, la voix éteinte.

M. de Rhuys questionnait :

— Il vous a abandonnée ?

— Non ! Protestait Simone… C’est moi qui suis partie.

— Pourquoi ?

— Il croyait m’aimer… il se trompait… Il en aimait une autre… Je n’ai pas voulu briser sa vie… Alors…

Elle désigna la Seine…

— Vous avez voulu mourir !… s’écriait le comte Robert, haletant.

— Oui, mais je me suis rappelé à temps que j’avais fait le serment de vivre.

— À qui ?

— A la marquise de Rhuys, la grand-mère de celle pour qui je me suis sacrifiée.

En un irrésistible élan, le comte Robert attira Simone contre lui.

Il ne pouvait plus en douter : celle qui avait sauvé son Huguette, il la tenait dans ses bras, frémissante de douleur, de confiance et de suprême espoir…

Désormais Simone était pour lui sacrée… Et, d’un long baiser paternel, il scella l’engagement qu’il venait de prendre envers lui-même d’être pour cette noble enfant le père qu’elle réclamait et qu’elle était prête à chérir. Ce n’est donc pas dans un monastère qu’il irait s’enfermer en tête à tête avec son sacrifice, mais dans quelque retraite isolée, paisible et souriante, avec celle qui serait deux fois son enfant.

Pas un instant, il ne songea aux conséquences que pouvait avoir pour lui cette décision que lui dictaient à la fois sa conscience et son cœur. Pas une minute il ne réfléchit qu’en reconnaissant pour sienne la fille de Poker d’As, c’était son frère indigne qui allait revivre en lui…

Cédant à une impulsion irrésistible que son âme de croyant attribuait à la volonté de la Providence, il n’avait plus qu’un désir : consacrer son existence, qui lui semblait sans but, au salut et au bonheur de cette âme.

Et, tout en attirant Simone vers lui, il fit simplement :

— Viens, ma fille !…

*

Le jour se levait… éclairant de cette clarté grise et maussade qui, trop souvent, même à la belle saison, caractérise la région parisienne…

Des ouvriers attendaient sur le quai auquel aboutit le pont de Puteaux le passage du premier tramway destiné à les conduire à leur travail.

A la devanture d’un café, un garçon en tablier bleu, une serviette blanche nouée autour du cou, tournait la manivelle d’un rideau de fer qui s’élevait en grinçant.

Au moment où l’armature finissait de découvrir la façade vitrée de l’établissement, le comte de Rhuys apparut, soutenant Simone Servat exténuée.

D’un coup d’œil rapide, il examina le petit café ; puis, passant devant le garçon étonné de voir des clients aussi matinaux, il pénétra avec la jeune fille dans une salle dont les tables en faux marbre supportaient des chaises cannées aux montures en bois noir recourbé.

Le garçon, tout en débarrassant rapidement une table, demanda, tout en donnant un petit coup de serviette :

— Qu’est-ce que Madame et Monsieur veulent prendre ?

— Deux cafés-crème, lançait le comte Robert.

— C’est que le laitier n’est pas encore passé.

— Alors, deux cafés noirs.

Le garçon disparut dans une sorte d’officine où il se contenta de faire réchauffer dans une casserole, au-dessus d’un réchaud à gaz, ce qu’il appelait : le jus de la veille… Simone, qui s’était assise près de M. de Rhuys sur une banquette en moleskine, regardait avec tendresse celui qu’elle croyait être son père.

Il lui prit les mains pour les réchauffer… Elle se mit à tousser… Il s’inquiéta… Elle eut un faible sourire et murmura :

— Ce n’est rien !

Le garçon revenait avec la cafetière… En passant devant la caisse, il prit deux soucoupes, deux verres et un petit plateau en métal sur lequel il y avait plusieurs morceaux de sucre et, après avoir déposé le tout devant les deux consommateurs, tranquillement, il se mit à balayer la salle.

Simone but quelques gorgées ; puis, avec beaucoup de douceur, elle dit au comte Robert :

— Il me semble que j’ai déjà oublié beaucoup de mes peines.

M. de Rhuys ripostait :

— Il faut pourtant que nous demeurions quelques jours séparés.

Simone, alarmée, interrogeait :

— Pourquoi ?

— C’est indispensable, déclarait le père d’Huguette.

Et, tutoyant pour la première fois la fille de son frère devenue la sienne, il ajouta :

— Ne m’interroge pas… je ne pourrais pas te répondre.

Simone, instinctivement, se rapprocha.

— Fais-moi confiance, invitait le comte Robert avec un bon sourire, je te jure que mon absence ne sera pas de longue durée.

Mais elle s’écriait, toute tremblante :

— Me retrouver seule avec mes hantises, mes souvenirs !…

— Ne crains rien, affirmait M. de Rhuys. Je reviendrai vite et nous ne nous quitterons plus jamais.

— Père ! si vous saviez combien je suis heureuse de prononcer ce nom.

— Et moi, combien il m’est doux de t’entendre me parler ainsi.

Les cafés terminés, M. de Rhuys, tirant de sa poche son porte-monnaie, appela le garçon qui, abandonnant son balai, s’en vint toucher le prix des consommations… Puis il demanda :

— Ne connaîtriez-vous point, monsieur, une pension de famille bien tenue ?

— Parfaitement, monsieur… répliquait l’employé. La pension Norbert, à cent mètres sur la droite, sur le quai. Il y a une plaque de cuivre sur le mur, près du portail. C’est une très bonne maison.

— Je vous remercie.

M. de Rhuys et Simone longèrent le quai et se dirigèrent vers la pension Norbert. Ils avaient à peine fait quelques pas que Simone s’arrêtait, se retournait et fixait son regard sur une vaste usine dont les hautes cheminées se profilaient dans le ciel à l’entrée de Courbevoie.

C’était l’usine d’Hervé de Kergroix.

Surpris de voir une subite tristesse envahir le visage de sa compagne, le comte Robert lui demanda :

— Qu’as-tu donc ?

Elle secoua la tête et, sans rien répondre, elle se mit en marche… Mais M. de Rhuys avait tout deviné.

« La pauvre enfant, se dit-il… Je serais vraiment le dernier des ingrats si je ne faisais pas tout pour la guérir. »

Silencieusement, ils arrivèrent devant la pension de famille. Elle avait vraiment bon aspect. A travers la grille d’entrée, on apercevait un petit jardin avec une pelouse bien entretenue ; puis, au fond, un grand pavillon dont les murs venaient d’être recrépis et les volets repeints. Tout cela respirait la propreté, l’honnêteté, et inspirait immédiatement confiance.

— Je crois, déclarait M. de Rhuys, que ce garçon nous a donné un utile renseignement. Je n’ai malheureusement pas le loisir de te présenter moi-même à la directrice… J’ai un rendez-vous important, à cent kilomètres de Paris, et je n’ai que le temps de prendre mon train.

Et, tout en sortant de son portefeuille une liasse de billets de banque qu’il lui glissa dans la main, il dit :

— Je tiens à ce que tu ne manques de rien pendant mon absence.

— Merci, père… mais que dirai-je à cette dame Norbert ?… Comment me présenterai-je à elle ?… On m’a volé ma valise… mes papiers…

Sans la moindre hésitation, le comte répliquait :

— Tu n’auras qu’à lui dire la vérité… sauf que tu m’as rencontré… Cependant… mais ne t’inquiète pas… tu sauras bientôt pourquoi.

Et si Mme Norbert ne se contente pas de mes affirmations ? Si elle exige de moi des références ?

Le père d’Huguette réfléchit un instant, puis il fit :

— Tu n auras qu’a lui dire de s’adresser a la marquise de Rhuys. Après ce que tu as fait pour sa petite-fille, cette dame ne peut que se porter garante de toi.

— Alors, au revoir, père.

— Au revoir, mon enfant. A bientôt.

— Oui, à bientôt, je le jure.

Tandis que M. de Rhuys s’éloignait, Simone appuya sur le bouton d’une sonnerie électrique, tout en murmurant :

— Pourquoi ne m’a-t-il pas dit où il allait ?… Et pourquoi, surtout, ne veut-il pas que je dise à Mme Norbert que je l’ai rencontré cette nuit ?

Mais aussitôt elle se reprit :

— J’ai tort de m’inquiéter. Quand on a un regard tel que le sien, on ne peut être qu’un honnête homme.

Poker d'As

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