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VI : Le sacrifice.

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Atterré, les mains crispées, l’œil rivé sur le corps de son frère, qui, dans la mort, semblait encore le défier, M. de Rhuys répétait avec épouvante : — Je l’ai tué ! Je l’ai tué !

Il n’y avait pas un instant à perdre.

En effet, si l’on découvrait ce cadavre, le comte Robert aurait beau déclarer que c’était celui d’un cambrioleur qui avait pénétré dans l’hôtel pour voler et que c’était en se défendant contre ses attaques qu’il lui avait donné la mort, il n’en resterait pas moins le fait évident et troublant entre tous que le malfaiteur ressemblait au maître de la maison à un tel point qu’il était impossible de ne pas confondre l’un avec l’autre, le mort avec le vivant. La justice, alarmée, enquêterait. Il lui serait facile de découvrir la véritable identité de Poker d’As ; et bien que ce dernier n’eût jamais été condamné en France et n’eût donc ni casier judiciaire ni fiche anthropométrique, rien ne serait plus aisé à la Préfecture de police que de reconstituer son passé et le scandale éclaterait dans toute sa tristesse !

Il fallait donc, à n’importe quel prix, éviter un tel désastre.

Mais de quelle façon ?

Faire disparaître le corps ?

A cette pensée, M. de Rhuys eut un frisson d’horreur… D’ailleurs, comment le transporter ?… Où le cacher, sans éveiller l’attention de personne ? Il était quatre heures du matin… Bientôt il ferait jour… En une sorte d’hallucination, le comte Robert se vit, traversant un couloir en tenant son frère mort dans ses bras… Des pas de domestiques annonçaient leur arrivée… Des lumières s’allumaient… Des silhouettes de laquais ironiques, insolentes, quelques-unes épouvantées, s’avançaient vers lui… Non, non, c’était trop affreux… trop épouvantable !

— Pas ça !… pas ça !… fit-il.

Et, se retournant vers sa mère qui venait de fermer les yeux du réprouvé, il lui demanda d’une voix étranglée : — Que faire, mon Dieu, que faire ?

La marquise eut un geste d’incertitude… Les yeux épouvantés de son fils se reportèrent sur Poker d’As.

La mort avait déjà fait disparaître de son visage les stigmates de l’avilissement dans lequel il était tombé. Il n’y avait plus aucune différence entre le faciès du bandit et celui de l’honnête homme… Les deux frères n’en faisaient plus qu’un.

S’emparant de la main glacée de la marquise, Robert reprit : — Je crois que j’ai trouvé le moyen de préserver notre nom d’une honte ineffaçable.

— Comment cela, mon fils ?

— Je ne puis vous le dire maintenant… car j’ai besoin de réfléchir encore. Veuillez retourner dans votre chambre !

Tout en parlant, M. de Rhuys entraînait la marquise vers son appartement. Lorsqu’il la vit chez elle, effondrée sur une bergère, incapable, quant à l’instant du moins, de réagir et même d’avoir une volonté, il l’embrassa pieusement au front et regagna le petit salon dont il s’en fut fermer d’abord toutes les portes, sauf celle qui donnait accès chez Mme de Rhuys.

Ensuite il se dirigea vers la fenêtre et regarda au-dehors. A travers la grille qui clôturait la propriété, il aperçut, se promenant patiemment sur le trottoir, deux individus aux allures louches.

— Ses complices, se dit-il. Il faut que je me hâte !

Il revint vers son frère. Alors, en une nouvelle hallucination, il crut apercevoir, étendu à ses pieds, Poker d’As revêtu de ses propres habits. Cette vision, au lieu d’augmenter son désarroi, parut, au contraire, lui apporter la certitude qu’il allait pouvoir s’épargner, et, avant tout, éviter aux siens, l’opprobre d’un scandale inoubliable. Et lentement, très lentement, ses mains s’approchèrent et commencèrent, en tremblant, à déboutonner le veston du criminel.

*

Une demi-heure après, quel n’était pas l’étonnement de Mme de Rhuys, qui n’avait pas quitté sa chambre, de voir reparaître le comte Robert en costume de voyage, une valise à la main.

— Tu pars ?… s’exclama-t’elle.

— Oui, mère.

D’un geste saccadé qui semblait vouloir dire : « Eh bien ? » la marquise lui désigna la porte du salon où gisait Poker d’As.

Soulevant une tenture, le comte Robert désigna le corps de son frère.

En voyant celui-ci revêtu des habits de Robert, et comprenant les intentions de ce dernier, elle s’écria, tout en lui étreignant les mains : — Non ! je ne veux pas !…

Mais M. de Rhuys lui déclarait avec l’accent d’une volonté profonde : — Pour l’honneur de notre nom, pour le bonheur d’Huguette, il faut que l’on croie que c’est moi qui ai été assassiné par un cambrioleur.

Mme de Rhuys, broyée de douleur, interrogeait : — Et toi, mon pauvre Robert, que vas-tu devenir ?

Je n’en sais rien encore… L’essentiel est que je disparaisse.

Tu ne peux pas t’en aller pour toujours.

— Si, il le faut !

— Tu veux te tuer ?

— Non, car ce serait lâche !

— Mon Robert !

— Je veux me créer une personnalité nouvelle grâce à laquelle personne, sauf vous, ne pourra soupçonner que je suis vivant.

— Alors, je ne te verrai plus ?

— Si… peut-être.

— Et Huguette ?

— Le secret ne doit être connu que de nous deux.

— Songe à son désespoir.

— Huguette aime et est aimée, posait M. de Rhuys. Et c’est cet amour-là que je veux aussi sauver… non pas que je craigne la moindre défaillance du côté d’Hervé… Quoi qu’il arrive, il épousera celle qu’il aime !… Mais je connais Huguette. Si le scandale éclatait, elle refuserait ce mariage avec la noblesse, la dignité, la fierté qui sont en elle. Et ainsi que vous me l’avez dit, mère, elle en mourrait.

La marquise eut un sanglot…

Pour épargner l’existence de sa petite-fille, son fils brisait la sienne, au lendemain d’un triomphe, en plein bonheur, en splendide lumière.

Le comte Robert poursuivait :

— Vous lui parlerez souvent de moi, comme si je n’étais plus… Vous lui laisserez croire, lorsqu’elle s’en ira prier sur la tombe de l’autre, que c’est sur la mienne devant laquelle elle vient s’agenouiller.

— Aurai-je le courage de lui mentir ainsi ?

Oui… car il le faut… et vous serrez d’autant plus forte que vous saurez que je suis toujours là.

— Mon fils, mon Robert, que tu dois être malheureux !

— Non, puisque je fais mon devoir.

— Adieu, mon Robert…

— Non, pas adieu. Dès que j’aurai choisi ma retraite, je vous la ferai connaître.

— Quelle consolation tu me donnes là dans ma détresse !

— Et vous, quel réconfort vous m’apportez dans l’efficacité de mon sacrifice !

— Mon fils, je t’admire et je te bénis !

Tous deux s’embrassèrent longuement.

Le comte Robert s’en fut.

La marquise fit quelques pas vers la petite porte par laquelle il avait disparu… Elle voulait le revoir… l’embrasser encore… Mais, à bout de forces, elle chancela et s’écroula au pied de son lit.

Tout doucement, M. de Rhuys traversa un couloir obscur qu’il longea jusqu’au moment où il arriva devant une porte, celle de la chambre de sa fille… Il s’arrêta… Ses yeux étaient pleins de larmes… Une tentation s’empara de lui : celle de revoir une dernière fois l’être adorée qu’il allait quitter pour toujours, et qui, demain, à son réveil, apprendrait qu’il avait été assassiné pendant la nuit.

Avec des précautions infinies, il entrebâilla la porte. Huguette reposait. Une expression de calme et de bonheur était répandue sur ses traits qu’éclairait la lueur d’une lampe électrique encapuchonnée d’un épais abat-jour, ce qui en faisait une discrète veilleuse…

M. de Rhuys contempla d’un dernier regard douloureux et fervent sa fille endormie ; et il referma la porte avec le même souci de silence.

Gagnant un escalier de service, il sortit de la maison par une porte qui donnait sur les communs, et, introduisant une clef dans la serrure d’une petite porte grillée, il gagna une ruelle déserte, parallèle au boulevard Richard Wallace. Après avoir adressé un dernier regard à la demeure où il laissait tous ses souvenirs, toute sa tendresse, toute son âme, il s’en fut, sa valise à la main, son chapeau rabattu sur les yeux, un foulard noué autour du cou, se dissimulant dans l’ombre, lui, le héros de l’honneur, comme un bandit de grand chemin.

*

Sur le boulevard, devant l’hôtel, Aryadès et Soreno continuaient à attendre Poker d’As près d’une auto qui stationnait à une cinquantaine de mètres environ de l’hôtel de Rhuys.

Le jour commençait à poindre… et le bandit ne paraissait toujours pas…

— Pourvu, grommelait Soreno, qu’il ne soit pas laissé « fabriquer » !

— Non ! affirmait Aryadès avec autorité… D’abord, il est trop malin pour ça… Et puis, s’il avait été surpris, on aurait certainement téléphoné à la police… et l’on aurait vu rappliquer les « bours »*(Agents de police en argot de l’époque)… Tandis que, regarde… tout est calme, là-dedans… On ne voit même plus de lumière.

— C’est vrai.

— Sais-tu ce que je pense ?

— La même chose que moi, sans doute.

— Dis un peu, Soreno.

— C’est que Poker d’As, son coup fait, a dû cavaler avec le magot.

— Il en est bien capable…

Rappelle-toi qu’il n’a pas voulu que nous entrions avec lui dans la maison. Il disait même que c’était inutile de faire le guet.

— Parfaitement !

— Conclusion : il nous a plaqués…

— Et si jamais nous le retrouvons…

Les deux bandits eurent un geste significatif. Persuadés qu’ils avaient été joués, ils venaient de condamner Poker d’As à mort.

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