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VIII : L’enquête.

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L’usine Fulgor, quoique de création récente, n’en était pas moins devenue l’une des plus importantes fabriques d’automobiles de Paris.

Chaque jour, de ses ateliers en pleine activité, il sortait un nombre considérable de voitures qui donnaient satisfaction à la clientèle, tant par la robustesse de leur matériel que par l’élégance de leur carrosserie et la modicité relative de leurs prix.

Ce matin-là, Pierre Boureuil, l’associé d’Hervé de Kergroix, après avoir passé l’inspection des ateliers, s’était enfermé dans son bureau. C’était un homme de trente-cinq ans environ. De haute stature, taillé en athlète, l’air grave, réfléchi, il exerçait sur tout le personnel, employés et ouvriers, un très grand ascendant.

Après avoir décacheté et parcouru quelques lettres, il appuya sur le bouton d’une sonnerie électrique…

Dans un bureau voisin, M. Anselme Trincard, caissier-comptable, absorbé dans l’étude d’un journal de courses, tressaillit au coup de sonnette.

Promptement, il saisit une « chemise » qui contenait une certaine quantité de papiers, et il se rendit auprès de l’ingénieur… Celui-ci, sans dire un mot, s’empara du dossier, l’étala devant lui, et, pièce par pièce, il se mit à l’étudier avec une fébrile attention.

Bientôt un sourire étrange se dessinait sur les lèvres minces du caissier.

— C’est parfait !… déclara Pierre Boureuil en repassant le dossier à Trincard.

Et il ajouta d’un air mystérieux :

— Encore quelques opérations de ce genre, et la firme Fulgor est à nous.

Le caissier accentua son sourire. Puis il questionna : — Si M. de Kergroix me demande des renseignements, que lui répondrai-je ?

— Il ne vous demandera rien, scanda l’ingénieur avec autorité… il est trop occupé ailleurs pour penser à son usine.

— Cependant, objecta Trincard, s’il m’interroge ?

— Vous lui direz que tout va bien.

Le caissier-comptable eut un signe d’acquiescement qui prouvait que non seulement il avait compris ce que désirait son interlocuteur, mais qu’il était encore décidé à exécuter servilement tous ses ordres, quels qu’ils fussent.

Et il allait se retirer, lorsque Hervé de Kergroix apparut, l’air très ému. Il s’en fut droit à son associé, qui s’était levé, échangea avec lui une poignée de main cordiale et, se tournant vers Trincard, il lui dit : — Laissez-nous, Anselme… Mon associé et moi nous avons à parler.

Le caissier s’inclina et sortit avec ses paperasses. Kergroix, tendant un papier à l’ingénieur, lui dit simplement : — Lis cela !

C’était la lettre de rupture et d’adieu que lui avait adressée Simone Servat. Boureuil en prit connaissance avec le flegme qui le caractérisait.

— Parfait ! fit-il simplement.

En proie à une sourde anxiété, Kergroix reprenait : — Pourvu que Simone n’ait pas encore tenté…

— Pourquoi veux-tu qu’elle t’ait menti ? répliquait l’ingénieur… C’est une fille très intelligente… Elle a compris… Elle refera sa vie, voilà tout…

Kergroix s’écriait :

— S’il lui arrivait malheur, je ne m’en consolerais jamais !

— D’abord, affirmait Boureuil, il ne lui arrivera rien… Et puis, tu as la conscience tranquille… Ce n’est pas toi qui la quittes… C’est elle qui s’en va…

Une sonnerie de téléphone vibra dans le bureau. L’ingénieur saisit l’appareil et, après l’avoir gardé pendant quelques secondes, il le passa à Kergroix, en disant : — C’est pour toi !

Hervé saisit le récepteur et écouta. Presque aussitôt son visage trahit l’étonnement, puis l’anxiété, l’angoisse.

— J’arrive tout de suite !

Et, tout en raccrochant le récepteur, il dit à son associé : — Je viens d’apprendre une terrible nouvelle. Le comte de Rhuys a été assassiné, cette nuit, dans son hôtel.

Malgré tout son flegme, Boureuil ne sut réprimer un geste de stupeur.

Affolé, Kergroix déclarait :

— Je vais là-bas !

— Je t’accompagne ? questionnait Boureuil.

Hervé accepta, et, tous deux, quittant le bureau, sautèrent dans une auto qui stationnait dans la cour. L’ingénieur prit le volant et, quelques secondes après, la voiture filait à toute allure dans la direction de Neuilly.

*

Une atmosphère de consternation et d’épouvante planait sur l’hôtel de M. de Rhuys, dont les persiennes étaient fermées en signe de deuil… Sur le trottoir, stationnait une foule de curieux, auxquels s’étaient mêlés plusieurs journalistes en quête d’informations. Le corps de Poker d’As gisait toujours, étendu à la même place, revêtu des habits du comte. Le procureur de la République, le chef de la Sûreté, le juge d’instruction, un commissaire de police et un médecin légiste procédaient aux premières constatations.

Un valet de chambre, l’air grave et désolé, répondait sans la moindre réticence et avec la plus parfaite netteté aux questions que lui posaient les magistrats et le docteur, questions qui démontraient, ainsi que les réponses du domestique, que tous, dupés par l’extraordinaire ressemblance des deux frères, étaient absolument convaincus que c’était bien le cadavre du comte Robert qu’ils avaient en face d’eux.

Pendant que les magistrats poursuivaient leurs investigations, Huguette, qui était restée avec sa grand-mère dans son boudoir, sanglotait douloureusement. La marquise, les épaules courbées sous le poids du terrible secret qu’elle partageait avec son fils, cherchait à la consoler, lorsqu’un valet de chambre annonça : — Monsieur Hervé de Kergroix et Monsieur Pierre Boureuil !

Mme de Rhuys donna l’ordre d’introduire les visiteurs. Tandis que, discrètement, l’ingénieur se tenait un peu l’écart, Kergroix se précipitait vers la marquise et lui exprimait, avec toute la sincérité dont il était capable, l’immense chagrin que lui causait la mort tragique du comte. Puis il se retourna vers Huguette qui, effondrée, ne put que murmurer à travers ses larmes : — Mon pauvre papa !…

Avec une expression de respect attristé, Boureuil s’inclina devant la marquise ; Hervé, doucement, prit la main d’Huguette. Le domestique revenait annonçant : — M. le procureur désire parler à Madame la marquise.

— Où est-il ?

— Dans le grand salon.

Faisant appel à toute son énergie, Mme de Rhuys répondait : — Dites à M. le procureur que je le rejoins dans un instant.

Le domestique sortit.

La marquise, se dirigeant vers Hervé qui regardait Huguette avec une expression de tendresse infinie, lui dit : — Hervé restez auprès d’elle !

Elle se dirigea vers la porte d’un pas chancelant qu’elle s’efforçait de raffermir. Avec un empressement déférent, Pierre Boureuil lui offrit son bras, auquel elle s’appuya… Tous deux quittèrent le boudoir, descendirent le grand escalier et pénétrèrent dans la vaste pièce où s’étaient transportés le procureur et les autres représentants de la justice.

Tous s’inclinèrent devant la grande dame, dont la noble figure portait les traces des émotions de la nuit terrible qu’elle venait de passer.

Le procureur commençait :

— Je m’en voudrais, madame, d’ajouter à l’immense douleur qui vous frappe… mais j’ai le devoir de faire toute la lumière.

— Interrogez-moi, monsieur, je vous répondrai, répliquait Mme de Rhuys, qui se rendait compte de la gravité de la situation.

Le magistrat, simplement, reprenait :

— Madame, veuillez nous dire ce que vous savez.

Aussitôt, la grand-mère d’Huguette déclarait :

— Ce matin, vers huit heures, j’ai trouvé mon fils étendu à terre au milieu du petit salon qui sépare ses appartements des miens. Il portait une blessure à la tête. Affolée, je me suis précipitée dans ma chambre pour sonner les domestiques ; mais je me suis évanouie, et lorsque je suis revenue à moi, j’ai appris que mon pauvre Robert avait cessé de vivre.

Le chef de la Sûreté observait :

— D’après nos premières constatations, il a dû s’engager entre la victime et son assassin…

Mme de Rhuys eut un geste évasif.

Le juge d’instruction intervenait :

— Votre chambre à coucher, madame, est contigüe à la pièce où le crime a été commis ?

— Parfaitement !…

— Et vous n’avez rien entendu ?

— Rien.

— C’est extraordinaire.

Mme de Rhuys répliquait d’un air et d’un ton parfaitement naturels : — Sujette, depuis quelque temps, à de longues insomnies, j’absorbe chaque jour une assez forte dose de véronal.

Le procureur fit un signe d’acquiescement… Il était facile de voir à son visage, et à ceux des fonctionnaires qui l’entouraient, que cette explication était pour tous des plus admissibles. Le chef de la Sûreté déclarait : — J’ai interrogé les domestiques… et ils ont été unanimes à déclarer qu’ils n’avaient perçu aucun bruit.

— Il n’y a rien d’étonnant à cela, appuyait la marquise, leurs chambres se trouvent dans les communs de l’hôtel.

— Parmi eux… interrogeait le magistrat, en est-il que vous soupçonniez ?…

Mme de Rhuys répondait avec force :

— Non, monsieur ! Tous sont à notre service depuis longtemps, et ce sont de fort braves gens…

— M. de Rhuys avait-il des ennemis ?

— Je ne lui en ai jamais connu.

Le procureur résumait :

— Nous sommes certainement en présence d’un crime ayant le vol pour mobile.

Et il conclut :

— Je vous remercie, madame… Je m’excuse, au nom de tous, que la loi nous ait obligés à vous poser toutes ces pénibles questions, et j’estime qu’il est inutile de prolonger cet interrogatoire.

Tous s’inclinèrent de nouveau devant la marquise, qui s’éloigna au bras de Pierre Boureuil ; et tous deux regagnèrent le boudoir d’Huguette.

Kergroix murmurait à la jeune fille des paroles de réconfort… Elle l’écoutait, les traits un peu rassérénés… Déjà, il y avait moins de larmes dans ses yeux. Elle ne vit pas apparaître sa grand-mère ni Pierre Boureuil qui s’étaient arrêtés sur le seuil au moment où, saisissant la main d’Hervé, elle s’écriait sur un ton d’affectueux reproche : — Pourquoi a-t-il fallu ce si grand malheur pour vous rapprocher de moi ?

Hervé affirmait avec élan :

— Désormais je ne m’en irai plus ainsi. Je resterai toujours près de vous, si vous le voulez, oui, toujours…

Il prit sa main et y appuya ses lèvres…

Ce fut presque un sourire qui se dessina sur les lèvres tremblantes de la jeune fille, en même temps que deux larmes, lentement, très lentement, roulaient sur ses joues.

Le douloureux visage de la marquise s’éclaira d’un rayon d’espérance. On eût dit que son front se nimbait de l’auréole de son calvaire.

Alors, apercevant sa grand-mère, Huguette se leva et courut se jeter dans ses bras.

L’admirable femme eut encore la force de lui murmurer : — Puisse, ma chérie, le retour de celui que tu aimes et qui t’aime endormir la douleur que te cause le départ de celui qui s’en est allé pour toujours !

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