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II

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Table des matières

L’homme avait pris par le boulevard extérieur.

–En nous tenant à une soixantaine de .pas de notre sujet, dit Montussan, nous le surveillerons efficacement et nous n’attirerons probablement pas son attention.

–Oui, mais en restant si loin de lui, nous risquons de le perdre à quelque coin de rue.

–Ne crains rien. Du reste, retiens bien ceci: si c’est un malfaiteur, il tournera à droite.

Riaux ne put s’empêcher de rire.

–Tu ne crois pas cela, dit Montussan, eh bien! ce que j’avance est le résultat d’observations aussi nombreuses que raisonnées.s. Tiens! que te disais-je? le voilà qui prend la rue des Martyrs et va descendre vers Notre-Dame-de-Lorette.

–Alors à ton compte, il tournera rue Saint-Lazare?

–Ou rue Clauzel, ou rue de Châteaudun.

Riaux ne cessait pas de rire à cette idée que tout criminel était poussé par le fait même de son crime à tourner plutôt d’un côté que de l’autre.

–Il ralentit le pas, fit le bohème. Assurément il se rend à un rendez-vous que lui auront donné des complices, et il est en avance.

–Quel rôle lui attribues-tu dans un crime, demanda Riaux qui s’amusait beaucoup de l’autorité avec laquelle Lucien traitait la question.

–Le rôle de l’action.

–Celui de la force brutale, veux-tu-dire?

–Oui et non. Je le crois plus intelligent qu’il n’en a l’air, et s’il se sort de sa puissance physique plus souvent que de son esprit, il doit être aussi de bon conseil. Seulement son avis doit toujours pencher vers la violence.

–C’est que vraiment il tourne rue Saint-Lazare, dit Riaux.

–Il faut nous préoccuper maintenant de ne pas nous montrer en pleine lumière.

–Il s’arrête.

–Oui, on dirait qu’il se consulte,

–Bon, le voilà entré chez le marchand de vin au coin de la rue Taitbout.

–Il faudrait savoir ce qu’il y va faire, dit Montussan.

Et se glissant le long des maisons, il gagna dans l’ombre un observatoire d’où il aperçut le colosse qui se faisait servir encore et toujours son éternel petit verre. Riaux rejoignit son ami.

–Ne dirait-on pas, murmura ce dernier à l’oreille de Montussan, qu’il trace quelques lignes au crayon sur la table de marbre blanc?

–En effet.

–Et le voilà qui part.

–Laisse le-filer. Nous allons savoir ce qu’il a écrit.

L’homme sortit toujours seul et lentement. Il s’engageait dans la rue Tait bout, en se dirigeant vers le boulevard.

Riaux et Montussan traversèrent comme s’ils eussent continué à suivre la rue Saint-Lazare, seulement, arrivés sur l’autre trottoir, ils pénétrèrent chez le marchand de vin dont le débit avait deux entrées.

Mais quelle ne fut pas leur stupéfaction de voir assis à la place même que venait de quitter l’homme, un individu à mine peu rassurante qui les regarda d’un air indifférent, pendant que du pouce il effaçait tranquillement ce que l’autre avait écrit sur la table.

Riaux faillit perdre contenance,

Mais Montussan regardant la pendule, qui est un des accessoires obligés de la boutique des débitants, dit tout hauu:

–Minuit moins dix. Nous n’avons que le temps d’arriver pour le train.

Et il emmena son camarade avant qu’il n’ait eu le temps de faire la moindre réflexion.

–Et vite! murmura le bohème dès qu’ils furent dehors. Notre homme a de l’avance. Courons s’il le faut et méfions-nous du particulier qui nous a interloqués.

–Il tombait du ciel, celui-là, sans doute.

–Je n’en sais rien, mais tout à l’heure il n’était pas dans le débit.

–As-tu vu comme il faisait disparaître la trace des caractères que l’autre avait laissés?

–C’est un rendez-vous qu’il lui a donné. Je parierais ma tête qu’avant une heure nous les verrons se rejoindre et entreprendre quelque chose.

–En attendant, voilà notre homme, là-bas, qui prend la rue du Helder.

–Toujours à droite, dit Montussan avec conviction.

–Il va sans doute traverser le boulevard.

–C’est clair, seulement, remarque comme l’endroit est bien choisi. C’est la seule rue au coin de laquelle il n’y a ni cafés, ni surabondance de lumière.

–Crois-tu qu’il prenne la rue de la Michodière?

–Non. Le café du Helder éclaire trop les trottoirs par là. Il tournera encore à droite, et nous verrons. Je n’ose rien prédire.

En arrivant sur le boulevard, l’homme s’avança vers la chaussée pour la traverser.

On entendit sonner une horloge,

–Minuit, dit Riaux, l’heure du crime.

–A Paris, mon cher, le crime n’a pas d’heure, répondit Lucien.

C’était le moment de la sortie des théâtres. On sait avec quelle ardeur les cochers poussent leurs chevaux, et quel danger présente la traversée du boulevard à cette heure-là, quand en est à demi aveuglé par la lumière éclatante des lanternes de voitures faisant tache dans l’obscurité.

Néanmoins l’homme descendit d’un pas égal sur la chaussée et se glissa sans hésitation entre les cinquante fiacres qui s’enchevêtraient en cet endroit, grâce à la proximité du Vaudeville et de l’Opéra.

–C’est un oiseau de nuit, on le voit bien, dit Montussan, qui, du reste, n’hésita pas beaucoup plus que le prétendu bandit, et eut tôt franchi ce cap difficile, suivi par Riaux qui lui marchait sur les talons.

–Il prend la rue Louis-le-Grand.

–Oui, mon cher Riaux, mais à présent, un mot. Je ne voudrais pas que ma passion pour le mystère, pour l’inconnu, fit de toi une victime.

–Que veux-tu dire?

–C’est peut-être par amitié pour moi que tu prends part à la poursuite que nous avons entamée.

–Mais.

–Si cela doit te fatiguer ou t’ennuyer, regagne tranquillement ton cher domicile.

–Te laisser seul engagé dans cette aventure qui avec ta nature excessive peut mal finir, jamais!

–Ne crains rien pour moi. Ce n’est pas la première fois que j’entreprends semblable expédition.

–Mais, crois-moi, mon cher Montussan, je reste avec toi pour plusieurs raisons. La première c’est que cela m’intéresse beaucoup.

–C’est la bonne.

–D’ailleurs, je me sens dispos à marcher toute la nuit.

–C’est probablement ce qui nous attend.

L’homme avait tourné dans la rue Neuve-des-Petits-Champs et gagné la place Vendôme.

Les deux amis le laissèrent traverser sans se montrer.

–Si je ne me trompe, nous n’avons pas à nous inquiéter de lui maintenant. Je parierais la tête de Balkens– Dieu! cet animal offre-t-il de mauvais punch!–c’est égal, je parierais sa tête contre peu de chose que notre gibier va prendre la rue de Rivoli, puis la place de la Concorde.

–Où va-t-il nous mener?

–Qui sait? à Vaugirard; à Grenelle, peut-être. Nous serons bien heureux s’il ne nous entraîne pas hors des fortifications dans quelque coupe-gorge.

Cette perspective de dépasser l’enceinte de Paris ne sourit que fort peu à Riaux qui fit la grimace, mais n’en emboîta pas moins le pas.

Montussan ne s’était pas trompé. L’homme gagna la place de la Concorde, prit le pont et tourna à droite pour aller vers l’esplanade des Invalides.

–Nous n’irons toujours pas à Grenelle, dit Montussan, car le voilà qui prend le boulevard des Invalides.

–Il y a par là haut, du côté de Montparnasse, des repaires fort peu engageants, dit-on, remarqua le peintre.

–Oh! on exagère. Ce quartier est fort bien habité, répliqua Montussan d’un ton d’explorateur sûr de son fait.

–En attendant, il ne s’arrête pas, dit Riaux. Nous voilà sur le boulevard Montparnasse, il est une heure du matin et je ne vois pas.

–De deux choses l’une, interrompit Montussan, ou il a aperçu que nous le suivions et il nous fait poser.

–Je penche pour cette hypothèse.

–Ou bien, il a du temps à perdre et a pris par le plus long pour se rendre au rendez-vous qu’il a donné.

–Nous voici à la gare Montparnasse. S’il continue sa promenade totalement dépourvue d’intérêt pour nous, je le lâche.

–Te voilà déjà dégoûté.

–Attends, il s’oriente.

–Bon, il descend la rue de Rennes, suivons-le.

–S’il nous ramenait à Montmartre, ce serait bien drôle.

–En tout cas, il prendrait encore pour ça le chemin des écoliers, dit Montussan après un moment de silence. Le voilà qui enfile la rue de Vaugirard.

–Et je viens de sentir une belle goutte d’eau me tomber sur la main.

–Oh! ce ne sera rien. Il fait trop froid pour qu’il pleuve sérieusement, remarqua le bohème qui ne renonçait pas à savoir où allait son sujet.

Ils arrivèrent ainsi au Luxembourg, puis à l’Odéon. Ii était deux heures du matin. L’homme descendit le boulevard Saint-Michel.

–Cette fois, il a tourné â gauche, fit observer Riaux en souriant.

–Cela doit arriver évidemment de temps à autre, car, autrement, il tournerait toujours dans une succession de cercles concentriques, ce qui finirait par être fastidieux.

–Tu as réponse à tout, vraiment je t’admire.

Mais, cette fois, le grand gaillard s’était mis à marcher d’une allure rapide et délibérée.

–Sans doute l’heure est venue, dit Montussan.

–Bon! encore à gauche, boulevard Saint-Germain.

A cette époque, le boulevard Saint-Germain n’était pas entièrement ouvert. La rue Hautefeuille le barrait encore. Avant de s’y engager, celui que Lucien affirmait être un malfaiteur fit entendre un petit sifflement particulier.

–Nous brûlons, dit le bohème.

Un bruit absolument semblable sortit d’un enfoncement et un individu vint à la rencontre du nocturne flâneur.

Ils n’échangèrent pas un mot, mais ils se mirent à marcher côte à côte en prenant le côté droit de la rue Hautefeuille.

Ici la poursuite devenait difficile. Néanmoins Montussan y persista et les vit tourner rue du Jardinet.

–Fort heureusement, dit-il, les réverbères ne sont pas là d’une extrême abondance, nous pourrions presque leur marcher sur les talons.

La rue du Jardinet est tortueuse. Les deux hommes allaient bon train; ils passèrent dans la sphère de lumière d’un bec de gaz.

–Les voilà dans l’ombre, dit Montussan, et le long d’un mur qui sert de clôture à un jardin. S’ils traversent la rue, nous les verrons. Dans le cas contraire ils vont reparaître sous l’autre bec.

Ils attendirent un moment.

–Sacrebleu! s’écria le bohème, est-ce qu’ils auraient escaladé cette muraille! ils sont bien longs.

Et sélançant à toutes jambes, il arriva juste à temps pour voir un des hommes, qui était encore à califourchon sur le mur, disparaître dans le jardin.

Montussan resta bouche béante et le nez en l’air.

–C’est bien ça, dit-il. L’un des deux hommes, le dernier venu probablement, a fait la courte échelle à l’autre qui s’est installé sur la crête, d’où il a tendu les bras à son camarade pour l’aider à monter à son tour.

–Ton expédition, ta chasse, si tu veux, finit en eau de boudin, mon cher, dit Riaux, ce n’était guère la peine de faire tant de kilomètres pour venir nous casser le nez sur cette muraille. Allons nous coucher.

–Nous voilà le bec dans l’eau.

–Ton mot est d’autant plus juste que la pluie s’accentue.

–Eh bien!attends encore, et viens avec moi, dit Montussan.

Et il entraîna Riaux au pied du mur.

–Tu es vigoureux. Laisse-moi monter sur tes épaules, reprit-il à voix basse, pour jeter un coup d’œil par-dessus la muraille.

–Es-tu fou? Qu’est-ce que cela t’apprendra?

–Je verrai peut-être ce qu’ils font.

Riaux, tout en rechignant un peu, finit par se prêter à la fantaisie de son ami, qui, une minute après, s’écarquillait les yeux pour tâcher d’apercevoir quelque chose dans le jardin.

–Eh bien? inte rogea le peintre.

–Chut! tais-toi. répondit Lucien.

Mais ces mots à peine prononcés, ils entendirent les pas précipités de gens qui couraient, arrivant par les deux bouts de la rue.

–Hop! hop! firent plusieurs voix haletantes, nous les tenons.

Et quatre hommes se jetèrent sur eux, en les bousculant si bien, que Montussan faillit tomber de son observatoire.

La peau du mort

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