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VII

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Table des matières

Après un moment de perplexité il reprit:

–L’avertir de quoi? Dois-je lui dire ce que j’ai fait et la mettre dès cette nuit dans le secret, ou bien jouerai-je mon rôle avec elle et avec Geneviève comme avec tout le monde?

Non, je la connais bien. Jamais elle ne consentirait à prendre une part de complicité dans ce que j’ai entrepris. Loyale, honnête, puritaine même, elle ne me cachera pas son indignation. Bien mieux, elle me forcera sûrement à reprendre ma misère et mon désespoir.

Mais, d’autre part, elle peut me reconnaître et me trahir. Que faire? Il faut pourtant que je renonce à mes indécisions. Je me suis engagé dans une voie où il est indispensable de marcher en avant, sinon sans crainte, du moins sans hésitation.

Je vais donc aller lui porter la nouvelle. Si elle me reconnaît, eh bien! je tâcherai de la décider à s’associer à mes actes. Et, dans le cas contraire, tout ira pour le mieux, J’aurai du temps devant moi.

Mais comment va-t-elle me recevoir? Elle était fort mal avec Remi. Voilà bientôt cinq ans qu’elle refuse obstinément de venir chez lui et qu’elle empêchait Geneviève elle-même de visiter son oncle.

Il allait sortir, lorsqu’il hésita de nouveau.

–Il est encore temps de reculer, dit-il.

Mais une minute après il se coiffait de son chapeau, oubliant machinalement de prendre celui de son frère. Heureusement il s’aperçut de sa méprise, la répara et quitta le pavillon.

Il était deux heures du matin lorsqu’il frappa au carreau de la loge où dormait Pascalin.

–Ouvrez vite, cria-t-il, mon frère est mort subitement. Il faut que je sorte.

Le portier réveillé en sursaut ne comprit pas très-bien, et tira son cordon.

–Ce portier, dit-il, en se dirigeant vers la rue Hautefeuille, ne peut pas deviner quel est celui de nous deux qui lui a parlé. Quand je reviendrai, je saurai si je dois être Georges ou Remi Largeval.

Un quart d’heure après, il sonnait à sa propre porte, et Laurence qui, depuis longtemps était dans des transes mortelles, vint lui ouvrir en toute hâte.

–Vous! s’écria-t-elle en l’apercevant.

Georges respira. Sa femme ne l’avait pas reconnu.

Silencieux, la figure assombrie, les yeux désolés, il entra. Tout dans son attitude,–sans qu’il eût eu besoin de la composer, d’ailleurs,–tout indiquait une mauvaise nouvelle.

–Mon mari? interrogea celle qu’il allait faire veuve.

–Ma chère Laurence, répondit-il, je vous supplie d’avoir du courage, beaucoup de courage.

–Georges est malade, blessé, lui aussi, peut-être mourant?

–Ne parlez pas-si haut. Je sais que Geneviève a été la victime d’un accident. Elle dort sans doute.

–Oui, avec la fièvre.

–Elle apprendra donc assez tôt le malheur qui nous frappe.

–Mais enfin quel est ce malheur? Où est mon mari? Pourquoi ne l’avez-vous pas ramené avec vous?

–Hélas! ma pauvre sœur, Geneviève est orpheline.

–Orpheline! s’écria Laurence, Georges.?

–Georges n’est plus.

–Il s’est suicidé? interrogea avidement la malheureuse,

Et comme Largeval restait un peu stupéfait de cette question:

–Il n’a pas eu le courage de supporter la misère qui nous attendait, et il nous a laissées, sa fille et moi, sans espoir et sans ressources.

–Non, ma sœur.

–Oh! ne m’appelez pas ma sœur, interrompit brusquement Mme Largeval avec violence, vous savez bien que c’est un titre que je ne puis accepter venant de vous. Pas d’hypocrisie. Parlez franchement.

–Vous metraitez bien durement, quand je tâche d’adoucir ce moment épouvantable, dit avec componction Georges, qui ne savait pas au juste pourquoi sa femme était si dure et si hautaine.

–Au fait, au fait, monsieur, vous dis-je; parlez, mais parlez donc.

–Eh bien, ma chère Laurence, Georges vient de mourir subitement chez moi, au moment où il allait me quitter, frappé par une attaque d’apoplexie, sans doute.

–Et vous n’avez pas couru chercher un médecin?

–Je le croyais évanoui seulement. Je me suis empressé de faire les choses indiquées en pareil cas; mais je n’ai obtenu aucun résultat. Et quand j’ai voulu partir pour appeler du secours, en lui prenant la main pour voir une dernière fois si son pouls battait encore, je me suis aperçu qu’il était froid.

Pendant qu’il parlait ainsi, Laurence le regardait attentivement. Georges soutint cet examen sans trop d’embarras. A deux ou trois reprises elle eut des éclairs dans les yeux, comme si elle eût été sur le point de dire quelque chose qui lui brûlait la langue; mais finalement elle garda le silence.

–Etait-il donc malade? demanda-t-elle pourtant au bout d’une minute, pendant laquelle elle parut se consulter.

–Quand?

–Lorsqu’il est arrivé chez vous, répondit Laurence en mettant à la hâte un chapeau et un châle.

–Non. Seulementil avait tant de chagrin depuis la matinée!

–Oui. La perte de sa place et l’accident arrivé à Geneviève. Mais me voilà prête. Je veux le voir. Conduisez-moi près de lui. Ah! sans ce cruel, sans cet horrible événement, je n’aurais jamais consenti à retourner chez vous.

A ces mots Georges redressa la tête; mais ce ne fut qu’un éclair. Son frère, s’il eût vécu, devant être en état de comprendre ce que signifiaient ces paroles, il ne voulut pas s’en étonner et garda le silence.

–Partons, reprit Laurence.

–Passez, lui dit Georges.

Pendant qu’ils descendaient l’escalier l’un derrière l’autre, une idée extraordinaire persécutait Mme Largeval.

–Jamais, se disait-elle, cette ressemblance entre les deux frères ne m’a paru plus étonnante qu’en ce moment. Je jurerais presque que c’est mon mari qui m’appelle ainsi sa chère Laurence, et pourtant c’est bien le regard détesté de cet homme, de ce misérable à la merci duquel nous allons peut-être nous trouver, ma fille et moi; c’est sa voix, c’est lui tout entier.

Ils arrivèrent dans la rue.

–Voulez-vous prendre mon bras, ma chère Laurence? demanda Georges qui éprouvait un secret plaisir à appeler sa femme de ce doux nom.

–Oh! c’est parfaitement inutile, répondit Mme Largeval. Je marcherai à vos côtés. Votre présence suffira pour me protéger contre les mauvaises rencontres.

Ces paroles furent prononcées d’une voix sèche, presque emportée.

–Vous n’allez pas, vous n’allez pas, s’écria Laurence au bout de quelques minutes. Vous ne sentez donc pas que je suis dévorée par l’impatience d’arriver auprès de mon mari?

Peut-être n’est-il pas réellement mort, murmura-t-elle au bout d’un instant.

Largeval se taisait, heureux au fond de la douleur de sa femme, mais désolé néanmoins de la voir souffrir ainsi.

Ils arrivèrent. M. Pascalm, ne se souvenant pas que son locataire était sorti, vint ouvrir en chemise, selon son invariable habitude, et fut très-étonné de voir Largeval, qui d’ailleurs lui administra une verte semonce sur l’inconvenance de sa tenue.

Laurence l’écoutait toujours avec un étonnement qu’elle. n’éprouvait pas quand, autrefois, le hasard la mettait en présence de Remi.

Nous passons sous silence les lamentations que le portier crut devoir faire entendre à la nouvelle de la mort de Georges. Il se répandit en hélas! en interjections de toute sorte, offrit ses services, demanda commentnt cela était arrivé...

Mais Largeval le laissa au milieu de ses exclamations et entraîna Laurence, qui ne tenait pas en place, vers le pavillon.

Ils pénétrèrent ensemble dans le salon. Tout était encore en cet état de demi-désordre, conséquence naturelle d’un pareil événement.

Sur le tapis, on voyait le chandelier que tenait Remi dans sa main lorsqu’il était tombé, et, quelques centimètres plus loin, la bougie éteinte et brisée.

Etendu sur le canapé, le corps, revêtu des habits ordinaires de Georges, profilait ses formes rigides.

Largeval indiqua d’un geste le cadavre à Laurence. Il se demandait si sa femme, qui no l’avait pas reconnu, n’allait pas s’apercevoir de la vérité en voyant le mort.

Mais la malheureuse avait les yeux pleins de larmes. Elle reconnut les vêtements, et cela lui suffit. S’élançant vers celui dont elle se croyait veuve, elle lui prit la tête dan ses bras et le couvrit de baisers et de pleurs.

Sa douleur était affreuse. Les sanglots lui montaient à la gorge, et se succédaient malgré elle avec tant de rapidité qu’elle fut sur le point de suffoquer.

Georges ne s’était pas cuirassé d’avance contre la peine qu’il éprouverait en voyant sa femme dans un tel état. Il sentait bien que des paroles banales ne pouvaient rien pour adoucir son angoisse, et cependant il aurait tout fait pour qu’elle ne souffrit pas ainsi.

Un moment, il fut sur le point de l’arracher à ces étreintes qui avaient un côté presque repoussant à ses yeux.

Même il se pencha pour la prendre par le bras et peut être pour lui dire la vérité.

Mais Mme Largeval, se dressant avec une violence incomparable, le repoussa brutalement et lui dit:

–Laissez-moi, laissez-moi donc!

Georges, interdit, n’osa pas insister. Il se disait qu’après tout sa femme était d’une honnêteté, d’une loyauté si sincères, qu’elle ne consentirait jamais à partager une aisance gagnée par une substitution,

–C’est pour elle que je commets cette action douteuse, ce méfait, pensa-t-il. Je me sacrifie, en somme, et je me condamne, qui sait? à une triste vie. Déjà je subis une terrible torture de ne pouvoir la consoler, et de penser que je vais être, au moins pour quelque temps, un étranger, un ennemi à ses yeux.

Laurence, accablée, était retombée dans sa douleur. Veuve!… Veuve!… Voilà le mot qui lui revenait sans cesse à l’esprit comme un refrain. Son pauvre Georges avait succombé sans avoir eu le temps de l’embrasser, de lui dire un adieu.

Debout derrière sa femme, Largeval attendait patiemment qu’elle eût fini de pleurer et de prier.

Enfin elle se redressa, et s’adressant à celui qu’elle croyait être son beau-frère:

–Monsieur, lui dit-elle, vous aurez l’obligeance de faire transporter le corps à la maison dans la journée de demain.

–Ecoutez, Laurence, répondit Largeval, si vous m’en croyez, vous abandonnerez à ma charge tous les tracas, tous les ennuis, toutes les désolations que vous vaudraient les funérailles de Georges.

–Que voulez-vous dire?

–Qu’il vaudrait mieux laisser le corps ici et remplir toutes les formalités, de telle sorte que ma maison fût considérée comme le domicile de mon frère.

–Alors vous voudriez que le convoi sortît de chez vous?

–Ce serait plus simple, et cela aurait l’avantage pour vous de pouvoir cacher le funeste événement à Geneviève tant que la fièvre ne l’aura pas quittée.

–Mais que lui dirai-je pour expliquer l’absence de son père?

–Ce que vous voudrez, que Georges est parti pour un voyage auquel il n’a pu faire subir aucun retard.

Laurence n’écoutait plus Elle songeait à sa fille blessée, elle revenait malgré elle à son mari étendu là devant elle, et les sanglots lui remontaient impitoyablement à la gorge.

–Qu’en pensez-vous? reprit Largeval.

–Je crois que vous avez raison. Peut-être… oui… agissez. Je ferai ce qui sera le plus convenable. Et elle retourna au canapé, devant lequel elle s’agenouilla lentement pour recommencer ses prières.

La peau du mort

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