Читать книгу Histoire de la guerre d'Italie - Charles Marchal - Страница 28
VIII.
ОглавлениеLe comte de Buol, en envoyant aux agents diplomatiques sous ses ordres le manifeste de S. M. l’Empereur d’Autriche, leur fit parvenir la note suivante:
«Je vous envoie ci-joint une copie du manifeste adressé aujourd’hui à ses peuples par l’Empereur notre maître.
«Sa Majesté annonce à l’empire qu’elle a résolu de faire passer le Tessin à l’armée impériale. Le cabinet impérial avait encore accepté la dernière proposition de médiation de la Grande-Bretagne; mais nos adversaires n’ont pas suivi cet exemple, et c’est maintenant aux armes que nous avons remis la défense de notre cause. Dans ce moment solennel, il est de mon devoir d’exposer encore une fois à nos représentants à l’étranger les faits contre la funeste puissance desquels sont venues échouer toutes les tentatives faites pour maintenir la paix européenne si longtemps et si heureusement conservée.
«La cour de Turin, en donnant une réponse évasive à notre sommation de désarmement, n’a fait par là que témoigner une fois de plus de cette même hostilité qui depuis longtemps déjà a le triple et malheureux privilége de combattre les droits sacrés de l’Autriche, d’inquiéter l’Europe et d’encourager les espérances de la révolution. Comme cette hostilité ne s’est pas brisée contre la longanimité de l’Autriche, l’empire devait se trouver enfin dans la nécessité de recourir aux armes.,;
«L’Autriche a supporté tranquillement une longue suite d’offenses de la part d’un ennemi plus faible, parce qu’elle a conscience de sa haute mission, qui est de conserver aussi longtemps que possible la paix du monde, parce que l’Empereur et ses peuples connaissent et aiment les travaux d’un développement pacifiquement progressif qui conduit à un plus haut degré de bien-être. Mais aucun esprit juste, aucun cœur honnête de ce temps-ci ne peut douter du droit qu’a l’Autriche de faire la guerre au Piémont.
«Jamais le Piémont n’a accepté sincèrement le traité par lequel, il y a dix ans, il promettait à Milan de vivre en paix et bonne amitié avec l’autriche. Deux fois battu dans la guerre qu’avaient provoquée ses folles prétentions, cet Etat les mintint, quoiqu’il en eût été cruellement puni, avec une déplorable ténacité. Le fils de Charles-Albert semblait désirer passionnément le jour où l’héritage de sa maison, que lui avaient rendu dans son intégrité la modération et la magnanimité de l’Autriche, serait pour la troisième fois l’enjeu, d’une partie funeste pour les peuples.
«L’ambition d’une dynastie dont les vaines prétentions touchant l’avenir de l’Italie ne sont justifiées ni par la nature, ni par l’histoire de ce pays, ni par son propre passé, ni par son présent, n’a pas craint de faire avec les forces de la révolution une alliance contre nature. Sourde à tous les avertissements, elle s’est entourée des mécontents de tous les Etats de l’Italie; les espérances de tous les ennemis des gouvernements légitimes de la Péninsule ont cherché et ont trouvé leur foyer à Turin. On y a fait un criminel abus du sentiment national des populations italiennes. On y a cherché à entretenir soigneusement tous les germes de troubles en Italie, afin qu’en recueillant ce qu’on avait semé, le Piémont eût un prétexte de plus de déplorer hypocritement l’état de l’Italie et de prendre aux yeux des gens à courte vue des insensés le rôle de libérateur.
«Pour servir cette téméraire entreprise, on avait une presse effrénée qui s’efforçait chaque jour de porter au delà des frontières des Etats voisins l’insurrection morale contre l’ordre de choses légitime; or, c’est là ce qu’aucun pays de l’Europe ne pourrait supporter sans s’exposer à la longue à une profonde et dangereuse excitation. Par amour de ces songes-creux d’avenir, et afin de s’assurer des appuis au dehors pour une attitude qui contraste si vivement avec sa propre force, on a vu le Piémont se joindre à une guerre qui ne le touchait en rien contre une grande Puissance européenne, sacrifier ses soldats pour un but étranger. Mais en revanche on l’a vu aussi aux conférences de Paris, avec une présomption nouvelle dans les annales de la diplomatie, critiquer effrontément les gouvernements de l’Italie, sa propre patrie, gouvernements qui ne l’avaient offensé en rien.
«Mais afin que personne ne pût croire qu’il se mêlait à ces vœux et à ces efforts déréglés le moindre sentiment sincère en faveur de la prospérité pacifique de l’Italie, les passions de la Sardaigne redoublaient chaque fois qu’un des souverains do l’Italie suivait les inspirations de l’indulgence et de la conciliation, chaque fois que l’empereur François-Joseph donnait des preuves éclatantes de son amour pour ses sujets italiens, de sa sollicitude pour le bonheur et le progrès des pays les plus riches et les plus favorisés de l’Italie.
«Lorsque Leurs Majestés impériales allèrent visiter les provinces italiennes, recevant les hommages de leurs sujets fidèles et marquant chacun de leurs pas par une foule de bienfaits, alors il fut permis aux journaux de Turin de prêcher librement le régicide.
«Lorsque l’Empereur confia l’administration de la Lombardie et de Venise à S. A. I. l’archiduc Ferdinand-Maximilien, son frère, prince doué d’une haute intelligence, animé d’intentions libérales et bienveillantes, et profondément sympathique au véritable esprit du peuple italien, on mit tout en œuvre à Turin pour que les nobles intentions du prince fussent payées d’autant d’ingratitude que peuvent en produire, même au milieu d’une population bien pensante, des excitations odieuses renouvelées chaque jour.
«La cour de Turin, une fois entraînée sur la voie, où il ne lui restait qu’à choisir entre suivre la révolution ou marcher à sa tête, devait perdre de plus en plus le pouvoir et la volonté d’observer les lois qui règlent les rapports entre Etats indépendants, ou même de reconnaître aucune des limites qu’imposent le droit des gens à la conduite de toutes les nations civilisées. Sous les prétextes les plus frivoles, la Sardaigne se déclara dégagée des obligations que lui imposaient clairement les traités, comme le prouvent ses conventions avec l’Autriche et les Etats italiens pour l’extradition des criminels et des déserteurs. Ses émissaires parcoururent les Etats voisins pour provoquer les soldats à désobéira leurs chefs; foulant aux pieds toutes les règles de la discipline militaire, le Piémont fit entrer les déserteurs dans les rangs de sa propre armée.
«Tels étaient les actes d’un gouvernement qui aime à se vanter de sa mission civilisatrice, et dans les Etats duquel il y a des journalistes dont les journaux trouvent des lecteurs, et qui, ne se contentant plus de faire simplement l’apologie de l’assassinat, comptent avec une joie vraiment scélérate ses sanglantes victimes.
«Qui peut s’étonner encore après cela que ce gouvernement considérât comme le plus puissant obstacle les droits que l’Autriche tient des traités, et qu’il ait dû chercher à s’en débarrasser par tous les moyens d’une politique déloyale?
«Les véritables intentions du Piémont, qui n’étaient depuis longtemps un secret pour personne, ont été hautement avouées dès que cet Etat fut suffisamment assuré d’une assistance étrangère et qu’il n’eut plus besoin de masquer ses projets de guerre et de révolution. L’Europe, qui voit dans le respect des traités existants le palladium de son repos, a accueilli avec un juste mécontentement la déclaration où il était dit que la Sardaigne se croyait attaquée par l’Autriche, parce que l’Autriche ne renonçait pas à l’exercice des droits et des devoirs qui découlent pour elle des traités; parce qu’elle maintenait son droit de tenir garnison à Plaisance, droit qui lui est garanti par les grandes Puissances de l’Europe; parce qu’elle a osé s’allier avec d’autres souverains de la Péninsule pour défendre en commun de légitimes intérêts. Il ne restait qu’une seule prétention à élever et l’on n’y a pas manqué. Le cabinet de Turin déclare qu’il n’y aurait que des palliatifs pour l’état de l’Italie tant que la domination autrichienne s’étendrait sur des terres italiennes. Par là on portait ouvertement atteinte aux possessions territoriales de l’Autriche, on franchissait la limite extrême jusqu’à laquelle une Puissance comme l’Autriche peut accueillir les provocations d’un Etat moins puissant sans y répondre par les armes.
«Telle est, dépouillée du tissu de mensonges dont on l’a couverte, la vérité sur la manière d’agir à laquelle, depuis dix ans, s’est laissée entraîner la maison de Savoie par des conseillers sans conscience. Disons aussi que les accusations et les reproches par lesquels le cabinet sarde cherche à présenter sous un faux jour ses attaques contre l’Autriche ne sont que de méchantes calomnies.
«L’Autriche est une Puissance conservatrice, pour laquelle la religion, la morale et le droit historique sont sacrés. Elle sait estimer, protéger et peser à la balance de l’égalité de droit ce qu’il y a de noble et de légitime dans l’esprit national des peuples. Dans ses vastes domaines habitent des nations de différentes races et de langues différentes; l’Empereur les embrasse toutes dans un même amour, et leur union, sous le sceptre de notre auguste dynastie, est profitable à l’ensemble de la grande famille des peuples européens; mais la prétention de former de nouveaux Etats d’après les limites de la nationalité est la plus dangereuse des utopies.
«Exposer cette prétention, c’est rompre avec l’histoire; vouloir la mettre à exécution sur un point quelconque de l’Europe, c’est ébranler dans ses fondements l’ordre solidement organisé dos Etats, c’est menacer le continent du bouleversement et du chaos. L’Europe le sent, et elle se rattache d’autant plus fermement à la division territoriale qu’a fixée le congrès de Vienne à l’issue d’une époque de guerres continuelles, en tenant compte, autant que possible, des conditions historiques. Il n’est pas de puissance dont les possessions soient plus légitimas que les possessions en Italie rendues à la maison d’Hapsbourg par ce congrès, qui a rétabli le royaume de Sardaigne et lui a fait le brillant cadeau de Gênes.
«La Lombardie a été pendant des siècles un fief de l’empire d’Allemagne; Venise fut donnée à l’Autriche en échange de sa renonciation à ses provinces belges. Ainsi donc, ce que le cabinet de Turin, montrant lui-même par là le néant de ses autres plaintes, nomme la vraie raison du mécontentement des habitants du Lombard-Vénitien, savoir, la domination de l’Autriche sur le Pô et l’Adriatique, est un droit solide et inattaquable sous tous les rapports, un droit que les aigles autrichiennes préserveront de toute atteinte.
«Mais ce n’est pas seulement un gouvernement légitime, c’est encore un gouvernement juste et bienveillant qui admi nistre les provinces lombarde-vénitiennes. Ces beaux pays ont prospéré plus vite qu’on ne pouvait l’espérer après de longues et douloureuses années de révolution; Milan et tant d’autres villes célèbres déploient une richesse digne de leur histoire; Venise se relève de sa profonde décadence et reprend une vie nouvelle; l’administration et la justice sont réglées, l’industrie et le commerce prospèrent, les sciences et les arts sont cultivés avec ardeur,
«Les charges publiques ne sont pas plus lourdes que dans les autres parties de la monarchie; elles seraient même plus légères, si les effets funestes de la politique sarde n’exigeaient que l’Etat augmente ses forces et se crée, par conséquent, de nouveaux revenus. La grande majorité du peuple de la Lombardie et de Venise est contente; le nombre des mécontents, qui ont oublié les leçons de 1848, est peu de chose en comparaison; il serait moindre encore sans les excitations incessuntes du Piémont.
«Le Piémont ne s’inquiète donc pas des populations qui pourraient être souffrantes et opprimées; il empêche et interrompt plutôt un état d’essor régulier et de développement plein d’avenir. La prudence humaine né saurait prévoir pour combien de temps cette déplorable entreprise troublera la paix de l’Italie; mais une responsabilité terrible pèse sur ceux qui, ont méchamment, et de propos délibéré, exposé leur patrie et l’Europe à de nouvelles catastrophes.
«La révolution, si soigneusement entretenue dans toute la Péninsule, a suivi promptement l’impulsion qu’on lui donnait. Un soulèvement militaire a éclaté à Florence; il a poussé S. A. I. le grand duc de Toscane à abandonner ses Etats. L’insurrection règne à Massa et à Carrare sous la protection de la Sardaigne.
«Mais la France qui, depuis longtemps, nous le répétons, partageait cette terrible responsabilité morale, la France s’est hâtée, par des faits, de l’assumer tout entière.
«Le gouvernement de l’empereur des Français a fait déclarer, le 26 de ce mois, par son chargé d’affaires à Vienne, qu’il considérerait le passage du Tessin par les troupes autrichiennes comme une déclaration de guerre à la France. Tandis qu’on attendait encore à Vienne la réponse du Piémont à la sommation du désarmement, la France faisait franchir à ses troupes les frontières de terre et de mer de la Sardaigne, sachant bien qu’elle mettait par là dans la balance le poids qui devait emporter les dernières résolutions de la cour de Turin.
«Et pourquoi, nous le demandons, devait-on ainsi anéantir d’un seul coup les espérances légitimes des amis de la paix en Europe? Parce que le temps est venu où les projets, longtemps couvés en silence, sont arrivés à maturité, où le second empire français veut donner un corps à ses idées, où l’état politique de l’Europe, basé sur le droit, doit être sacrifié à ses illégitimes prétentions, où les traités qui forment la base du droit public européen doivent être remplacés par la sagesse politique que la puissance qui trône à Paris a annoncée au monde étonné.
«On reprend les traditions du premier Napoléon.
«Telle est la signification de la lutte à la veille de laquelle se trouve l’Europe.
«Puisse le monde désabusé se pénétrer de cette conviction qu’aujourd’hui, comme il y a un demi-siècle, il s’agit de défendre l’indépendance des Etats, et de protéger les biens les plus précieux des peuples contre l’ambition et l’esprit de domination.
«Mais l’empereur François-Joseph, le chef de notre empire, bien qu’il déplore les maux de la guerre imminente, a remis avec calme sa juste cause aux mains de la divine Providence. Il a tiré l’épée parce que des mains coupables ont porté atteinte à la dignité et à l’honneur de sa couronne; il combattra avec le profond sentiment de son droit, fort de l’enthousiasme et du courage de son peuple, accompagné par les vœux de tous ceux dont la conscience distingue le vrai du faux, le droit de l’injustice.
«Veuillez communiquer au gouvernement près lequel vous avez l’honneur d’être accrédité aussi bien le manifeste impérial que la présente dépêche.
«Agréez, etc.»