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II.
Le peuple acquiert de l’autorité.

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Table des matières

An de Rome

260.

Députés du sénat.

A LA tête de la députation du sénat, étoient trois hommes dignes de la confiance du peuple: Lartius&Valérius, qui avoient exercé la dictature,&Ménénius-Agrippa, illustre consulaire, auteur du conseil qu’on venoit de suivre. Le peuple, malgré son mécontentement, aimoit la patrie. Il les reçut avec joie; il eut été fort traitable, sans deux chefs séditieux dont la fougue entretenoit la discorde. Ménénius employa, dit-on, avec succès l’apologue de l’estomac &des membres. Les membres révoltés contre l’estomac, qu’ils accusoient de profiter de leur travail&de ne rien faire pour eux, furent détrompés par une triste expérience: lui ayant refusé leurs services, ils tomberent dans une langueur mortelle. C’etoit l’image du peuple, trop prévenu contre le sénat. Des esprits tranquilles pouvoient sentir la justesse de cet apologue; mais la multitude avoit besoin d’autres motifs. Ménénius fit surement plus d’impression, en déclarant que le sénat aboliroit les dettes.

Etablissement des tribuns du peuple.

Un des chefs du peuple, Junius-Brutus, représenta qu’on devoir prendre des précautions pour l’avenir; il demanda qu’il y eût des magistrats plébéiens, chargés uniquement de veiller aux intérêts du peuple. On s’étoit mis dans la malheureuse nécessité, ou d’essuyer la guerre civile, ou d’accorder aux mutins ce qu’ils exigeoient. Le sénat consentit à l’élection des tribuns du peuple. C’est le nom de ces nouveaux magistrats, tirés du corps des plébéiens pour les protéger. On déclara par une loi que leur personne seroit sacrée; que si quelqu’un les frappoit, il seroit maudit,& ses biens voués au service de Cérès; que le meurtrier pourroit être tué sans forme de justice.

Leur pouvoir.

Les tribuns n’eurent aucune marque de dignité. Assis à la porte du sénat, ils ne pouvoient y entrer que par ordre des consuls. Leur pouvoir étoit renfermé presque dans l’enceinte de Rome; il leur étoit défendu de s’absenter de la ville. Mais qu’un seul formât opposition contre un décret du sénat, c’en étoit assez pour l’annuller: son veto arrêtoit tout. Nous verrons leur autorité s’accroître de jour en jour,& devenir redoutable comme celle des éphores de Sparte. Ils furent d’abord cinq,&ensuite dix. Leur charge étoit annuelle. Dès le commencement, ils firent créer deux édiles, magistrats plébéiens, qui étoient leurs officiers, chargés de la police des bâtimens.

Prise de Corioles,

L’établissement du tribunat&la suppression des dettes ayant ramené le peuple au devoir, le consul Postumius-Cominius battit les Volsques,&prit Corioles, leur capitale. Il dut principalement ses succès à la valeur de Marcius, jeune patricien, qui avoit toutes les qualités d’un héros, mais non la modération d’un sage. Le consul, après l’avoir couronné de sa main, voulut l’enrichir. Il lui destinoit la dixieme partie du butin: Marcius la refusa. Le surnom de Coriolan fut une récompense plus digne de lui; il la reçut des soldats, dont il faisoit l’admiration.

Pauvreté de Menénius-Agrippa.

Malgré les exemples d’avarice donnés par un nombre de patriciens, le mépris des richesses distingua encore long-temps les héros de la république. Cette noble vertu, qui, dans le même temps, mettoit Artistide au-dessus de tous les grands hommes d’Athenes, étoit si chere à Ménénius-Agrippa, qu’il mourut sans laisser dequoi faire ses funérailles. Le peuple se taxa pour lui en faire de magnifiques,&ne voulut point reprendre l’argent qu’il y destinoit, quoique le sénat eût chargé les questeurs de la dépense: il le donna aux enfans du mort.

Effets de la disette.

On n’avoit point ensemencé les terres. Quelques soins que prît le sénat pour remédier à la disette, on souffrit& on murmura. Le peuple souffrant est pour l’ordinaire injuste, parce que, sans réfléchir sur les causes de sa misere, le sentiment des maux l’aigrit contre ceux dont il attend en vain des secours. On supposa que les sénateurs gardoient tout le bled pour leurs familles. Les tribuns accréditerent ce bruit,&échauffèrent les têtes. Appius inspire au sénat la résolution de les réprimer&de les punir. Les consuls assemblent le peuple pour cet effet. Interrompus par les tribuns, ils prétendent leur fermer la bouche; ils leur disputent le droit de parler dans les assemblées. Cette querelle fournit aux tribuns l’occasion d’étendre leur autorité.

Accroissement du pouvoir des tribuns.

Junius-Brutus, un des édiles, le même factieux dont nous avons vu l’audace, ayant obtenu des consuls la permission de prendre la parole comme pour terminer la dispute, leur demanda pourquoi ils empêchoient les tribuns de parler au peuple. «C’est, répondit un consul, parce qu’ayant convoqué nous-mêmes l’assemblée, la parole nous appartient. Si les tribuns l’avoient convoquée, loin de les interrompre, je ne viendrois pas les entendre». Ce mot imprudent eut de grandes suites. «Vous avez vaincu, plébéiens, s’écria Junius. Tribuns, laissez haranguer les consuls. Demain je vous ferai connoître la dignité&la puissance de vos charges». En effet, par son conseil, les tribuns, le lendemain dès la pointe du jour, se rendent à la place publique, suivis de presque tout le peuple.

L’un d’eux, nommé Icilius, représente qu’il est essentiel, pour l’exercice du tribunat, de convoquer des assemblées, &de pouvoir haranguer sans crainte d’être interrompu. On applaudit; on approuve une loi qu’il avoit dressée la nuit avec ses collegues. Cette loi porte: «Que dans les assemblées tenues par les tribuns, personne ne les interrompe &ne les contredise; que si quelqu’un ose le faire, il donne caution pour l’amende à laquelle il fera condamné,& qu’il soit puni de mort, s’il refuse la caution». Par-là les tribuns augmentoient considérablement leur pouvoir; mais sans ce privilege ils n’auroient pu proteger le peuple que foiblement. Une loi pareille étoit un coup terrible porté au sénat. Il refusa d’abord de la confirmer, soutenant qu’elle étoit l’ouvrage d’une assemblée illégitime. On lui déclara que s’il rejettoit les plébiscites, ou ordonnances au peuple, on rejetteroit les senatus-consultes, ou les décrets du sénat: il céda enfin, soit par nécessité, soit par complaisance.

Coriolan.

On avoit reçu du bled de Sicile, ressource précieuse dans la disette. Le petit peuple souffroit toujours, mais sans commettre aucune violence,&se contentant du peu que la terre lui donnoit pour vivre. La dureté hautaine de Coriolan le mit en fureur. Quand il fut question dans le sénat de l’usage qu’on feroit de ce bled, les uns proposerent de le distribuer gratuitement aux pauvres: les autres de le vendre fort cher, afin de punir&de dompter l’audace du peuple. Coriolan soutint qu’il falloit profiter des circonstances, abolir le tribunat, casser les conventions du mont Sacré. Ce héros, dont on vante la probité&le désintéressement, ne connoissoit pas les vertus douces qui gagnent les cœurs.

Il est condamné.

Les tribuns, sachant ce qui se passoit, invoquent les dieux vengeurs du parjure. Le peuple s’échausse,&veut massacrer Coriolan. Ils arrêtent le peuple; mais ils somment Coriolan de comparoître devant eux. Le fier patricien méprise leur citation. Ils entreprennent de le saisir,&sont repoussés par de jeunes sénateurs. Enfin ils convoquent une assemblée, ou Coriolan bien loin de faire son apologie, répete d’un ton impérieux tout ce qu’il a dit au sénat. Il jure aux tribuns une haine irréconciliable, en les appellant le poison de la tranquillité publique. Sicinius, un des tribuns, le condamne à mort sur le champ, de sa propre autorité,&ordonne qu’on le précipite de la roche Tarpéienne. Comme les patriciens se disposoient à le défendre, &que la populace ne remuoit point, par respect pour les consuls, Sicinius le cite au jugement du peuple dans vingt-sept jours; il est condamné à un bannissement perpétuel.


N.o20.


N.o21.

Ce qui arriva après sa condamnation.

Planche XX.

Coriolan se retire chez les Volsques.

Flanche XXI.

Coriolan fléchi par samese.

Mort de la vestale Urbinia

Après la condamnation de Coriolan, le peuple triompha comme d’une victoire décisive, remportée sur les patriciens, Il auroit dû plutôt se reprocher son ingratitude envers un citoyen dont il avoit reçu les services les plus signalés,& dont le crime étoit imaginaire& sans preuves. On éprouva bientôt combien il importe de ménager des hommes aussi capables, par leur caractere, de nuire que de servir. Coriolan n’écouta plus que la vengeance,&se retira chez les Volsques, dans la maison de Tullus-Attius. Il y entra sans avoir été d’abord apperçu,&alla s’asseoir près du foyer, sous la protection des dieux pénates; il demeura ainsi sans remuer, la tête couverte,&observant le silence le plus profond. Les esclaves&autres serviteurs de Tullus-Attius étonnés de l’apparition subite&de la contenance de l’étranger, en vont rendre compte à leur maître qui est à table. Tullus quitte aussitôt ses convives: il s’avance vers Coriolan, qui se découvrant la tête lui explique le motif de sa démarche,&le prie d’engager les Volsques à prendre les armes contre sa patrie. Il devint leur général, entra sur le territoire de Rome,&répandit partout la terreur. Le peuple, gouverné par les événemens, demandoit son rappel; le sénat s’y opposoit. Mais le danger adoucit les sénateurs. Ils lui envoyerent une députation qu’il reçut avec dédain. Les prêtres vinrent à leur tour,&surent congédiés de même. Véturie, sa mere, à la tête des dames romaines, alla enfin désarmer un fils rebelle. Les sentimens de la nature dompterent cette ame orgueilleuse. Rome est sauvée, s’écria-t-il, mais votre fils est perdu. Coriolan fit la paix (). Il mourut, selon quelques auteurs, assassiné par les Volsques, selon d’autres, languissant dans une triste vieillesse,&regrettant sa patrie.

Rome étoit désolée par une maladie épidémique, terrible dans ses effets qui dépeuploit la ville,&la remplissoit d’un deuil universel. Le sénat ordonna des supplications; cérémonie religieuse qu’on ne manquoit pas d’observer dans les calamités publiques. Alors on couroit tous les temples,& l’on faisoit des processions. La superstition attribua la fin de ce fléau au supplice de la vestale Urbinia, qui ayant été convaincue d’un commerce criminel, fut mise à mort, &essuya le supplice ordinaire, qui étoit d’être enfermée toute vivante dans une fosse, avec un pain, une cruche d’eau, un vase plein de lait,&une lampe.

Plan. XXII.

Supplications pour une maladie contagieuse dont on attribua la fin au supplice de la vestale Urbinia.

Loi agraire.

Les disputes se réveillerent à l’occasion d’une loi agraire, proposée par le consul Cassuis. L’ambition seule lui inspira, dit-on, cette loi, comme un moyen de parvenir à la souveraine puissance. Il vouloit que l’on partageât, non-seulement aux Romains, mais aux alliés, une partie des terres conquises,&celles même que les patriciens avoient usurpées depuis long-temps. L’article des alliés déplut au peuple, qui se réservoit tout le profit du partage. Le sénat convint que les étrangers n’y auroient de part, qu’autant qu’ils auroient aidé à la conquête. On ne cherchoit qu’à gagner du temps pour faire tomber le projet de Cassius. Dès que ce consul sortit de charge, deux questeurs l’accuserent devant le peuple d’avoir aspiré à la tyrannie. Il fut puni de mort. Son propre pere, suivant quelques écrivains, fut son accusateur dans le sénat,&le fit exécuter dans sa maison. Ce qu’il y a de certain, c’est que le sénat eut souvent recours à l’accusation de tyrannie contre ceux qu’il avoit intérêt de perdre.

On demandoit inutilement le partage que le sénat avoit promis. Tout annonçoit une prochaine rupture. C’est alors que les consuls mirent principalement leur politique à exciter sans cesse de nouvelles guerres, qui pussent occuper au-dehors l’ardeur inquiete des plébéiens. Ceux-ci refusoient de s’enrôler; mais on les y obligeoit, en les menaçant d’un dictateur. Les Eques, les Volsques, les Véiens, les Etrusques, furent battus en diverses rencontres,


N.o 22.

Mort d’Applus.

Appius, après son consulat, s’opposoit avec la même ardeur, aux demandes des tribuns pour le partage des terres. Ceux-ci l’accusent devant le peuple. Il comparoît plutôt en juge qu’en accusé. Il impose tellement, que l’on n’ose rien prononcer contre lui. Il se donne ensuite la mort, prévoyant qu’une seconde assemblée le condamneroit. Son fils, malgré les tribuns, fit son oraison funebre, à laquelle le peuple même applaudit; tant la fermeté courageuse du pere avoit excité d’admiration. De tels hommes, en se modérant, auroient fait le bonheur&la gloire de leur patrie. Les querelles continuerent entre les deux ordres.

Loix,

On n’avoit pas encore de loix civiles, propres à régler la conduite&à maintenir la fortune des citoyens. Les consuls jugeoient tous les différends, ou par les principes de l’équité naturelle, ou par les anciennes coutumes, ou par quelques loix de Romulus&de ses successeurs, dont il restoit à peine des vestiges;&le fort des particuliers dépendoit ainsi des caprices des patriciens.

Loi Térentia,

Le tribun Térentius entreprit de remédier au désordre. Il proposa de publier un corps de loix, qu’on seroit obligé de suivre dans l’administration de la justice. Il ne s’en tint pas là. Après avoir déclamé contre le pouvoir des consuls, qu’il dépeignoit comme deux monarques absolus, il demanda l’élection de cinq commissaires, pour fixer des bornes à leur puissance. Tel fut l’objet de la fameuse loi Térentia, aussi capable que la loi agraire d’inquiéter les sénateurs. On l’attaqua, on la défendit avec la chaleur ordinaire. Quintius-Céson, fils du grand Cincinnatus, dont on parlera bientôt, fut la victime des tribuns, parce qu’il s’opposoit à leur entreprise. Faussement accusé, il sortit de Rome, sans attendre le jugement. Dix citoyens s’étoient fait sa caution pour une somme. Son pere la paya,&fut obligé de vivre dans une petite métairie, unique bien qui lui restoit.

Herdonius, riche Sabin, surprend le capitole à la faveur de ces troubles. Les consuls ordonnent au peuple de s’armer contre l’ennemi. On monte au capitole, on le délivre. Le consul Valérius ayant été tué à l’assaut, Quintus-Cincinnatus est tiré de la charrue pour le remplacer. En mêlant la fermeté à la douceur, il rétablit l’ordre; il remet la justice en vigueur; il fait oublier, en quelque sorte, les tribuns. Après son consulat, Minucius, un de ses successeurs, se laissa envelopper par les Eques, à qui il faisoit la guerre. Le péril de l’armée romaine engage à créer un dictateur. Le choix tombe sur Cincinnatus. Cet illustre laboureur quitte de nouveau son champ, se met à la tête des citoyens, délivre Minucius, revient en triomphe voir son fils Céson, justifié &rappellé, abdique la dictature le seizieme jour,&va reprendre sa charrue, dont il fait plus de cas que des honneurs.

Cincinnatus.

Plan. XXIII.

Imprudence du consul Minucius, réparée par Cincinnacus.

Ceux qui rabaissent ces exemptes admirables, en disant que les Romains ignoroient alors la séduction des richesses, ont-ils assez réfléchi aux traits d’avarice, si communs parmi les patriciens depuis le commencement de la république? L’amour de la pauvreté n’appartenoit qu’aux grands hommes. Si cette vertu étoit rare, la pauvreté du moins écartoit les vices corrupteurs;&la discipline militaire, jointe à la force du corps&au courage, devoit rendre les Romains invincibles.

Loi Térentia reçue,

Enfin, après de nouvelles disputes, pleines d’animosité &de violences, le sénat, qui craignoit la ruine entiere de la république, donna son consentement à la loi Térentia. Il fut résolu que dix commissaires seroient chargés de rédiger un corps de loix; qu’ils seroient revêtus pour un an de la puissance souveraine; que toutes les magistratures cesseroient dans cet espace de tems, même le tribunat, dont l’autorité s’étoit maintenue sous les dictateurs; que les jugemens des décemvirs seroient sans appel,&qu’à eux seuls appartiendrait le pouvoir de faire la paix ou la guerre. On nomma d’abord Appius-Claudius, alors consul, fils du second Appius, qui s’étoit tué lui-même. Son collegue lui fut associé, avec d’autres consulaires,&trois sénateurs qu’on avoit députés à Athenes, pour y recueillir les loix de la Grece.


No23

Abrégé de l'histoire romaine

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