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CHAPITRE III.

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Table des matières

La Savoie étant conquise, Montesquiou l’occupant au nom de la République une et indivisible, les petits clubs se formèrent et dessinèrent les aspirations des meneurs: toute localité de quelque importance en organisa un. Là étaient ourdis les complots, se discutaient les moyens de sûreté personnelle et se préparaient les triomphes du nouveau régime.

Megève avait déjà son club, qui pouvait désormais revêtir le costume républicain, conspué naguère; ses membres, peu nombreux, étaient du moins d’ardents patriotes, très-probablement inscrits à la franc-maçonnerie. La voix du peuple les en a qualifiés de leur vivant, et d’ailleurs nul n’ignore le système habituel de la propagande révolutionnaire. Sans cela on ne saurait trop comment expliquer la fureur de quelques patriotes dans l’exécution des ordres les plus impies et les plus sacriléges, s’ils n’eussent obéi à un serment secret. Je ne parle pas des serments publics réclamés par les lois du temps, mais bien de celui que prête tout affilié aux sociétés secrètes, et on ne peut pas douter que Megève eût été travaillé sous ce rapport. Quoi qu’il en soit, ces associations perverses, hostiles à la religion, ces clubs infects, mûrissaient les projets les plus audacieux et les plus destructeurs de la société. Eux encore surveillaient partout et avec une attention soutenue l’exécution des décrets révolutionnaires, et ils en dénonçaient les violateurs; car, constatons-le, ceux-ci étaient nombreux, bien que mis aux prises avec de lâches dénonciations.

Pendant qu’à Chambéry la société des Amis de la liberté lançait ses arrêtés, à Paris les patriotes savoisiens formaient aussi un club des Allobroges, une légion des Allobroges; et même, détachée de celle-ci, une compagnie, sous les ordres de Dessaix, avait fait partie de l’expédition française en Savoie. En 1848, n’avons-nous pas vu la même tactique se reproduire sous une autre forme?

L’histoire nous a conservé les noms des quatre commissaires nommés pour publier la proclamation des représentants conventionnels. Ce furent les citoyens Yens-Roche, Jaquier, Tardy et Lassalle. Ne pouvant tout surveiller, ces quatre émissaires en déléguèrent d’autres à qui mission fut donnée de propager les principes de la liberté démocratique, et ceux-ci parcoururent les campagnes distribuant, affichant dans toutes les communes la proclamation des commissaires et l’adresse des jacobins de Chambéry.

Ces nouveaux missionnaires dirigés sur Megève, patriotes déclarés et des plus propres à remplir leur mandat, étaient les citoyens Vulliet et B...y, tous deux notaires à Sallanches. Armés des écrits révolutionnaires de Favre-Buisson et de Marin, ils arrivèrent le 14 octobre, jour de dimanche et fête de la Dédicace de l’église paroissiale. A l’issue de la grand’messe, le peuple fut convoqué par eux à l’église aux fins de connaître le mandat et d’entendre le développement donné aux principes de 1789. «Ces

«Messieurs, dit le plébain, étaient bien enco-

«cardés et le bonnet rouge en poche.» Les patriotes convaincus à l’avance formèrent d’abord seuls l’auditoire; il fallait qu’ils fussent dans la foule au moment du vote que l’on allait provoquer.

L’enceinte sacrée retentit alors de paroles qui jusque-là n’avaient point résonné sous ses voûtes sacrées; elle devint, selon la parole de l’Evangile, une caverne de voleurs: l’on y vit rouler les tables et les chaises des changeurs, qui devaient bientôt dénuder et abattre nos autels. La foule rentra peu à peu: consternée et saisie d’appréhension, elle prêtait l’oreille à ces deux apôtres, dont elle ne pouvait encore mesurer les actes sacriléges; toutefois elle pressentait le départ de ses prêtres.

Le peuple comprit bientôt ou plutôt crut comprendre lorsqu’il entendit rejeter impudemment la juridiction ecclésiastique, refuser la subordination à l’Eglise pour ne laisser subsister que l’obéissance envers le pouvoir temporel, prêcher la révolte contre le clergé, etc. Alors il se repentit d’être rentré à l’église... Cependant ce n’était là qu’un prélude, un moyen employé pour entraîner plus facilement les populations à secouer le joug de la religion et les lois du roi légitime. Satisfaits de l’air sombre et recueilli qui pesait sur la foule, les deux prosélytes de la liberté abordèrent enfin l’objet de leur mission. «La Convention nationale, dirent-ils,

«vient aujourd’hui, par ses représentants, vous

«rendre à la liberté et vous engager à choisir

«spontanément le mode de gouvernement qui

«vous plaira. Il est juste que le peuple souve-

«rain déclare le régime qui lui convient le

«mieux. Voudriez-vous former une république

«à part? Nous ne saurions le penser, car ce

«serait chose impossible. Aimeriez-vous mieux

«retourner sous les fers du despote de Turin

«lorsqu’une grande nation, qui se suffit à elle-

«même, vous tend les bras en même temps

«qu’elle rend libres les vôtres? Ce serait le

«plus déplorable excès de folie ou de fanatis-

«me. La seule idée d’un tel acte fait frémir!

«Séparez-vous donc des tyrans, unissez-vous

«à cette grande nation loyale et généreuse qui

«vient vous faire goûter les douceurs d’une li-

«berté trop longtemps ignorée. L’armée fran-

«çaise est devenue votre compatriote en fou-

«lant notre sol, que la misère et l’esclavage

«occupaient seuls. Les rois ne font que des

«traités de famille; ils immolent à cet intérêt

«le sang, les subsistances de leurs sujets et ils

«trafiquent même de leurs têtes. Un peuple

«libre vient vous offrir l’union et l’amitié ; par-

«tout où ce peuple voit des hommes, il les dé-

«clare ses semblables, ses égaux, les traitant

«comme des frères. Abandonnez le tyran de

«Sardaigne. La France n’est point venue dé-

«vaster vos campagnes. Ce que ses besoins

«exigeront, elle le demandera avec confiance,

«l’argent à la main. En respectant vos per-

«sonnes, vos demeures, vos propriétés, en

«vous offrant son amitié, le peuple libre veut

«partager avec vous le bien le plus cher à l’hom-

«me, celui de l’espoir..., et le sentiment n’en

«meurt jamais, pas même dans le cœur de l’es-

«clave. Jouissez-en donc sous sa protection:

«et que ceux qui désirent un bonheur si en-

«viable lèvent la main en signe d’acceptation.» Cette harangue, dont les lambeaux étaient empruntés à divers écrits révolutionnaires, produisit peu d’effet. «A peine aperçus-je, rap-

«porte le plébain, une vingtaine de mains, en-

«core remarquai-je que les manches étaient

«de drap fin et les boutons de couleur. Sans

«voir leur visage, il était aisé, ajoute-t-il, de

«conclure que ce n’étaient pas nos paysans.» Cette remarque naïve, mais judicieuse, montre assez que le plébain entend indiquer la catégorie où se recrutèrent les patriotes.

La majorité laissait juger par son silence que les habitants de Megève ne voulaient ni du régime démocratique ni de la France; une vingtaine de votes dans une assemblée de trois cents personnes avaient bien peu de valeur. N’importe, on battit des mains et on s’écria avec enthousiasme que le vœu général de l’assemblée adoptait l’incorporation à la République. On verbalisa donc dans ce sens, et cette comédie, burlesque (si elle n’eût pas dû conduire à de grands malheurs), fut présentée comme donnant l’expression des sentiments de la population.

Tout n’était pas fini; de même qu’un abîme appelle un autre abîme, cette cabale fut suivie d’une Seconde non moins audacieuse et non moins indigne. La proclamation du 6 octobre exigeait que chaque commune élût un représentant pour Porter à Chambéry les vœux et les réclamations. Cette élection eut lieu le même jour; les patriotes y étalèrent à plaisir leurs manœuvres pour dominer, et la pluralité des suffrages désigna le châtelain Jean Millon, patriote exalté et fort admirateur des nouveaux principes. Ce résultat surprit, et l’on ne tarda pas à connaître qu’un même individu avait émis en sa faveur jusqu’à quinze votes. Un pareil début suffisait à donner la mesure de la déloyauté de nos patriotes. «Le

«député eût mérité d’ailleurs depuis long-

«temps, par son zèle et son ambition, dit le

«plébain, d’être honoré de cette mission; il

«fut pour Megève et pour tout le district ce que

«Simond a été pour la Savoie et Robespierre

«pour la France.»

Ce jugement était peut-être exagéré ; cependant, il est vrai de dire que tant que Millon fut en place, il se montra un des plus ardents parmi les propagateurs et les exécuteurs des décrets révolutionnaires. Son choix et son acceptation comme membre du district de Cluses en sont la preuve la plus éclatante.

La commune de Demi-Quartier, débarrassée des patriotes par une heureuse circonstance, fut plus heureuse dans le choix de son représentant en la personne de l’économe royal du prieuré, Angelon Tissot, homme religieux, probe et dévoué à la bonne cause. Megève ne manquait pas en ce moment d’hommes justes: aussi, les premières élections municipales en font foi; mais les patriotes, craignant de les voir investis de l’autorité, ne reculaient devant aucune manœuvre, quelque basse ou injuste qu’elle fût, pour les écarter. En ce moment, l’élection d’Angelon Tissot n’était d’aucune portée; il devait même être dangereux d’exposer un homme de bien au milieu de tant de forcenés. Que ferait-il à Chambéry, dans l’assemblée, composée presque exclusivement de révolutionnaires? Sa voix serait-elle écoutée? Ne passerait-on pas à l’ordre du jour? Quoi qu’il en soit, son élection honore ses commettants, et, si son rôle fut infructueux, il restera du moins comme une protestation vivante contre ce qui pourrait être fait contrairement à la justice et à la religion.

Savait-on, d’ailleurs, à Megève, que tout était déjà conclu, que les protestations des communes et de leurs députés ne seraient qu’une chimère, et que, si on gardait une apparence de législation, elle était tout extérieure et uniquement afin de ne pas effaroucher les populations dès le prime abord? Malgré le civisme de son représentant, Megève avait en effet inséré dans son mandat les réserves les plus formelles en faveur de la religion catholique et de son culte sacré, pour lequel on prescrivait qu’il ne serait dérogé en aucune manière. Tous les vieillards interrogés sur ce point m’ont affirmé cette réserve; elle est unanime; quelques-uns même l’avaient consignée de leur propre main sur le papier. Demi-Quartier donna d’identiques Instructions à son député. Quelle différence entre ces deux personnages réunis à Chambéry! l’un, Malgré l’irrégularité et le vice de son élection, partait avec fierté, l’ambition dans le cœur, prêt à sacrifier les intérêts de sa commune pour arriver à une charge, se riant en secret des protestations qu’on lui confiait; l’autre, au contraire, se rendait à l’assemblée le cœur brisé de regrets et en prévoyant l’inutilité de ses démarches! Aussi verrons-nous bientôt qu’il quittera sa patrie avec le clergé fidèle, et que ses biens seront mis à l’enchère à vil prix par les patriotes. Voilà tout ce qu’il retira dans ces temps malheureux de son attachement à son Dieu et à son roi.

Histoire de Megève pendant la Révolution française

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