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CHAPITRE II.

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Table des matières

La France marchait en pleine révolution. Deux assemblées avaient changé la face du pays et déjà le sang coulait. Le clergé et la noblesse étaient proscrits; les prêtres officiels, privés du costume ecclésiastique, oubliaient parfois dans le mariage leur plus saint devoir. Le roi, successivement dépouillé de toutes ses fonctions et Prérogatives, était prisonnier au Temple. Enfin les rapports de la France avec les puissances étrangères devenaient hostiles, et elle voyait refuser ou renvoyer plusieurs de ses représentants.

Explosive de sa nature, favorisée par les principes qu’elle proclamait, la révolution, par son essence même, était appelée à déverser sur les nations voisines; aussi l’agitation ne tarda pas à pénétrer en Savoie. Des agents révolutionnaires, des commis-voyageurs subventionnés y firent de la propagande, s’adressant aux jeunes gens à tête exaltée, et nouant au milieu d’eux les liens toujours non avoués des sociétés secrètes. Alors parut le Premier cri de la Savoie vers la liberté, pamphlet qui, selon l’auteur, était destiné à réveiller l’attention de ses compatriotes sur l’abîme profond où ils étaient et à les détourner d’un gouvernement qui les maintenait dans un néant absolu .

Cet opuscule révolutionnaire, dû à la plume d’un Savoisien résidant à Paris, circula rapidement de main en main, et il ne tarda pas à être suivi d’une multitude d’autres du même genre. Les esprits s’échauffèrent, et, oubliant le règne paternel de leur roi, ils appelèrent de leurs vœux l’imprudente application d’un système qui devait logiquement conduire au régime de la Terreur.

«Chambéry, dit S. Em. le cardinal Billiet, eut un petit soulèvemeut qui fut bientôt comprimé ; à Thonon, cinquante ou soixante individus, échauffés par leurs idées patriotiques et par le vin, parcoururent la ville armés de fusils, de sabres ou de bâtons. Dans la nuit du 7 juin 1791, ils se portèrent aux prisons et forcèrent le concierge à leur livrer un nommé Charles, arrêté depuis quelques jours... La nuit suivante, ils s’attroupèrent de nouveau au nombre de quatre-vingts, sonnèrent le tocsin, crièrent au feu et troublèrent toute la ville .»

Megève eut aussi son soulèvement, bien que d’un différent caractère. Les patriotes s’étaient Procuré en secret le modèle du costume républicain, et avaient habilement gagné un jeune tailleur, qui se chargea de le confectionner, sans mesurer la portée et les conséquences de ses actes. Au jour donné, que l’on croit être celui de l’entrée de Montesquiou à Chambéry, les affidés revêtirent l’uniforme et se hasardèrent à paraître en public; cependant ils n’osèrent Point encore se coiffer du fameux bonnet rouge, qu’ils cachaient sous leur vêtement. Cette profession patente d’adhésion à la révolution et cette audace irritèrent la population du bourg à tel point, que les innovateurs furent poursuivis à coups de pierres et hués sans miséricorde. Quelques personnes armées de hoyaux se mêlèrent aux poursuivants, et un patriote eut le pan de sa veste coupé. Ce burlesque trophée de victoire resté entre les mains de la foule ne la satisfit point; elle se porta sous la fenêtre du tailleur soupçonné, et là, tandis que quelques hommes plus hardis le cherchaient dans sa maison, la multitude réclamait à grands cris qu’on le jetât par la fenêtre. Fort heureusement, ce malheureux avait trouvé une retraite sûre, et le sang ne coula pas encore. Enfermé dans une garde-robe, dont sa pauvre mère cacha la clef, il put échapper aux perquisitions jusqu’à ce que la foule, se dissipant, se reconnut enfin honteuse d’une violence si contraire aux habitudes de notre pays.

Cependant l’assemblée législative, dont l’ambassadeur s’était vu refusé par la cour de Turin, affectait de trouver dans les préparatifs de celle-ci un motif pour s’emparer de la Savoie. Le 1er septembre 1792, et, toutefois, procédant avec hésitation, elle avait d’abord fait notifier au général Montesquiou, par le général Servan, ministre de la guerre, qu’elle renonçait à l’invasion; mais en présence du facile succès que lui assurait la surprise, elle le laissa libre d’agir.

Montesquiou quitta donc son camp des Adrets le 18 septembre; le lendemain, il était à Barreaux, d’où fut lancée sa première proclamation, datée du 21. Sans autre déclaration de guerre, il pénétra sur le territoire savoisien; exécutant ainsi l’ordre d’attaquer qui lui avait été communiqué le 11. Par une ruse de guerre, il laissa croire aux soldats qu’il voulait lutter contre l’Espagne; aussi les espions sardes ne transmirent-ils que cet on-dit à leur roi, et celui-ci, entretenu dans une confiance trompeuse, n’a organisé aucune résistance.

Le 23, les troupes françaises avaient coupé l’armée sarde, dont une partie s’était repliée sur Montmélian et l’autre sur Annecy. Le 20, Montesquiou avait déjà reçu aux Marches une députation de Chambéry; le 21, avec cent cavaliers, huit compagnies de grenadiers et quatre canons, il se détermine à transporter à Chambéry son quartier général. A son arrivée, la municipalité, en habit de cérémonie, lui offre les clefs de la ville. Les soldats sont invités à un banquet public, et vers deux heures de l’après-midi, on put lire la proclamation suivante, ultérieurement affichée dans toutes les communes:

LIBERTÉ. ÉGALITÉ.

De la part de la nation française,

Guerre aux despotes, paix et liberté aux peuples!

Donné à Chambéry, le 24 septembre 1792, l’an IV de la liberté et le premier de l’égalité.

Le général de l’armée française,

MONTESQUIOU.

Ce fut le 26 septembre que cette proclamation fut publiée à Megève, où elle causa une consternation générale. Après l’invasion de la Savoie, une division du régiment suisse de Roemander avec une autre du régiment de Maurienne, de garnison à Carouge, se virent obligées de gravir nos montagnes pour n’être pas coupées par l’ennemi dans leur retraite. Elles tentèrent d’abord le passage de Notre-Dame de la Gorge, mais une grande quantité de neige nouvelle les contraignit à rétrograder et à passer par Megève, où elles logèrent.

Ces troupes, composées de douze cents hommes, se dirigèrent, le lendemain, par Mâx à Hauteluce en traversant la montagne de Véry. C’était le 2G septembre; les habitants de Mégève, requis pour le transport des bagages, ne firent aucune difficulté ; ceux de Montjoie, au contraire, s’esquivèrent la nuit suivante. Arrivés à Hauteluce, les habitants de Beaufort, désireux d’échapper à l’embarras de loger les troupes et de fournir les convois, semèrent le bruit que les Français étaient à la poursuite. Nos braves compatriotes continuèrent donc leur route, et sans-décharger ils poussèrent jusqu’au bourg Saint-Maurice, où les corps détachés furent réunis. Cette marche forcée et précipitée causa la perte de nombreux chevaux. Si l’on en croit le récit du plébain à qui j’ai emprunté ces détails, les pertes subies par les habitants de Mégève auraient été de plus de cent louis d’or. Tel fut le premier bénéfice de l’invasion française; pourtant ce n’était là qu’un prélude: on verra plus loin les charges énormes qu’entraînèrent après elles la liberté tant prônée et la république qui avait promis d’abolir les impôts des ci-devant tyrans.

La nouvelle de l’occupation de Chambéry surprit et consterna; chacun pressentait la nature des actes des conquérants, dont la propre patrie était bouleversée. Un spectacle déchirant vint justifier des appréhensions, hélas trop fondées. Plusieurs évêques français, plusieurs prêtres et nobles s’étaient réfugiés en Savoie, dans l’espérance d’y trouver asile et sûreté. L’invasion, qui anéantissait cette espérance, les obligeait à fuir de nouveau... «Alors, dit le plé-

«bain, on vit une multitude de prêtres de tout

«âge voyageant à pied, souvent avec des sou-

«liers et des vêtements en mauvais état, par

«des chemins devenus horribles à cause de la

«fréquence des pluies. La noblesse de Savoie

«vint encore grossir ce cortége, et le paysan,

«d’ailleurs si sensible aux pertes temporelles,

«accablé en ce moment par les dangers que

«courait sa récolte, oublia ses propres mal-

«heurs pour compatir à celui de ces infor-

«tunés.»

A Megève, cette émigration portait à croire que les prêtres savoyards seraient bientôt poussés sur la même route; les habitants en foule accoururent vers l’église, assiégeant de jour et de nuit les confessionnaux; chacun voulut régler les intérêts de sa conscience, recevoir un dernier mot de consolation et d’espoir, et bénir encore ce clergé qui depuis si longtemps faisait la gloire et l’honneur de son pays. Les communions furent fréquentes; on eût dit une suite d’exercices religieux et de fêtes, un second retour de l’an mille. Ce souvenir arrachait encore des larmes à notre bon plébain, alors que dans l’exil et caché au fond d’une retraite, il le consignait dans son intéressant récit de la révolution à Megève.

Le 3 octobre, lorsque l’armée française eut occupé tout le duché, le commissaire général Vincent, en qualité de régent de l’intendance générale pour la république, ordonna que l’ancienne administration de la Savoie continuerait provisoirement à être exercée quant à l’ordre judiciaire, aux finances et à l’instruction publique, jusqu’à ce que par un vœu libre la Savoie eût manifesté le mode de gouvernement qu’elle voulait adopter. La mesure pourrait aujourd’hui paraître généreuse; quoique, si l’on en croit Montesquiou, les sympathies entières du pays convergeassent vers la France.

La sanction par le peuple ne devait pas tarder: aussi, le 25 septembre, Montesquiou écrivit à la Convention qu’on pensait ici à un 84e département, mais, le 29, le généra! Servan lui répondait qu’on ne pouvait l’autoriser à rien modifier; qu’il appartenait aux comités de se prononcer et que les généraux français devaient maintenir l’indépendance des opinions et des votes.

Le 24 septembre, la Convention avait dirigé vers la Savoie trois commissaires, auxquels elle adjoignit le ci-devant abbé Simond Philibert de Rumilly. Ceux-ci, par une proclamation du 6 octobre, invitèrent tous les Savoisiens à statuer sur la forme de gouvernement, et le même jour la Société des amis de la liberté et de l’égalité de Chambéry arrêta d’envoyer quatre commissaires dans chaque province, avec mission de publier la proclamation et d’inviter toutes les communes à nommer un député, aux fins de délibérer sur les intérêts de la patrie et d’apporter à Chambéry les vœux sur le choix d’un gouvernement. Cette réunion publique était fixée dans l’église paroissiale de Chambéry pour le 21 octobre, dimanche.

En 1792, au mois d’octobre, la Savoie se trouvait donc dans la même situation que la France avait traversée en 1789, à la veille des états généraux. On y suivait la même marche, les mêmes idées, les mêmes intrigues; aussi les conséquences en seront-elles semblables, et fatales à la Savoie comme elles l’étaient déjà pour la France. De cette réunion, formée par des députés de chaque commune, surgira une assemblée, sœur cadette de la constituante, et qui, croyant renaître à la vie antique, se parera du nom d’Assemblée nationale des Allobroges.

Mais, avant de parler des œuvres de ce nouveau pouvoir, jetons un instant les yeux sur la sincérité des votes et des élections.

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