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CHAPITRE PREMIER.

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Table des matières

INTRODUCTION. En 1789, Megève semblait être à la veille de goûter le bien-être qu’il désirait depuis si longtemps, et pour l’acquisition duquel ses habitants venaient de s’imposer de bien lourds sacrifices. Soumis depuis plusieurs siècles à des seigneurs temporels, ils se voyaient enfin avec bonheur libres de presque toutes les lisières féodales. Plus d’hommes-liges ni censats, plus de servis ni de redevances, plus d’échûtes, omnimodes, etc., etc.; les champs qu’ils cultivaient leur appartenaient irrévocablement. Ce résultat, il est vrai, avait été chèrement payé par des sacrifices considérables, que l’on évalue généralement à quatre-vingt mille livres pour le complet affranchissement de Megève et de Demi-Quartier. Les réformes déjà réalisées par le Souverain dans ses Etats et celles qu’il avait encore promises auraient allégé les charges non encore éteintes. La gabelle du sel devait être diminuée; la perception des dîmes qui, sous les Jésuites de Chambéry, devenus prieurs de Megève en 1571, avait si souvent occasionné des procès fâcheux, et qui se trouvait alors entre les mains de l’économat royal, la perception des dîmes, dis-je, allait être simplifiée. Le révérend plébain, ainsi que ses vicaires, dont les réclamations incessantes n’avaient pas encore pu obtenir la portion congrue imposée aux prieurs comme gros décimateurs, pouvaient espérer une prochaine augmentation. En un mot, le Souverain et le Sénat, prévoyant sans doute les tristes événements dont le signe précurseur grandissait à l’horizon, se montraient prêts à concéder toutes réformes utiles et propres à combler le gouffre qui s’ouvrait sous leurs pieds.

Le clergé de Megève, portant dans les actes publics le titre de vénérable, et dont les membres étaient assez souvent désignés sous le nom de chanoines, se composait alors des prêtres suivants: Révérend Jean-Baptiste-Clément Berthet, né en 1727, et plébain de Megève depuis 1776; Jean-Marie Socquet, sacristain, né le 13 février 1720; François Marie Duvillard, chantre, né le 12 novembre 1721; Jean-François Grosset-Janin, chantre, né le 11 novembre 1731; Jean-François Chabord, né le 1er novembre 1737; Jean-François Coutin, vicaire, né le 28 décembre 1742; Jean-Baptiste Rey, régent, né le 21 juillet 1748; Jean-Claude Gaddan, né le 5 mars 1743; Etienne-François Orsy, vicaire et régent, né le 24 mai 1750; Jean-Marie Clément-Berthet, dit le Boiteux, né le 14. février 1764; Joseph-Marie Grosset-Grange, vicaire à Pratz, né le 6 août 1742, et Charles Joly, régent au même lieu, né le 4 octobre 1748.

Le nombre des ecclésiastiques n’était point limité : tous les enfants de Megève, engagés dans les Ordres sacrés, étaient de droit agrégées à ce corps respectable. Ces prêtres nombreux, loin de nuire à la piété des fidèles, favorisaient au contraire la solennité du culte, laquelle les habitants de Megève ont toujours été fortement attachés.

Voici comment se faisaient les offices religieux: les premières Vêpres étaient chantées à l’église la veille des fêtes de Noël, des Rois, de Pâques, de l’Ascension, de la Pentecôte, du Corps-de-Dieu, de saint Jean-Baptiste, de la Dédicace de l’église paroissiale, de l’Assomption et de la Toussaint. Il en était de même pour Matines et Laudes, qui se récitaient simplement au chœur; mais les petites heures étaient dites solennellement avant la grand’messe du jour.

«Nous chantons, ajoute le plébain, les pre-

«mières vêpres de chaque dimanche et fêtes

«de commandement, quoiqu’il n’y ait aucune

«fondation à ce sujet, mais simplement pour

«favoriser la dévotion du peuple.»

Tous les jours, à cinq heures du soir en été et à quatre heures en hiver, on récitait l’antienne, le verset et l’oraison de la sainte Vierge selon le temps, c’est-à-dire, l’Alma Redemptoris, l’Ave regina ou le Salve, etc., le samedi, devant l’autel du Rosaire, les dimanches et les autres jours de la semaine devant le grand autel, et on disait ensuite la prière du soir. Le vendredi, on faisait encore suivre cette dernière du chant du Stabat et de celui du Gaude le samedi et les dimanches. Outre ces pieuses pratiques, il y avait chaque année la station du carême et une mission de dix en dix ans, fondée par le plébain Blaise-Gaspard Orsy.

Le revenu de la plébainie n’était pas considérable; le presbytère, dont l’entretien restait à la charge des décimateurs, se trouvait en fort mauvais état, et exigeait des réparations urgentes que l’on avait négligées depuis son rétablissement après l’incendie de 1728. Le Prieur de Megève payait annuellement au plébain, à titre de prébende, la modique somme de seize livres trois sols et quatre deniers; aussi peut-on dire sans crainte que ce revenu, réuni aux autres redevances que percevait le plébain, n’aurait Jamais pu suffire à sa subsistance, si, depuis longtemps, la population n’eût fait un grand nombre de fondations pour assurer une honnête existence au clergé qui la desservait. L’inventaire de ces fondations, à forme de procès-verbaux, dressés les 20 et 21 décembre 1792, en exécution de l’article cinquième du décret de l’Assemblée nationale des Allobroges, en porte le capital à 146,431 livres 12 sols 11 deniers, lequel, à raison du quatre pour cent, produisait le revenu annuel de cinq mille huit cent cinquante-sept livres anciennes quatorze sols. Chaque prêtre avait droit à acquitter les fondations pour jouir du revenu qui y était attaché. Le plébain exerçait en outre un droit de prémice consistant en trois quarts d’avoine que chaque faisant feu devait lui payer. On ne saurait donc évaluer au juste le traitement qu’il percevait, mais celui des autres prêtres pouvait facilement arriver à la somme de sept cents livres. C’est du moins ce qui résulterait d’une déclaration faite par Rd Jean-Pierre Joly pendant qu’il desservait Ayse, et dans laquelle il affirmait que la part des revenus qu’il pouvait percevoir à Megève, avant la Révolution, était de sept cent trente-quatre livres dix-huit sols.

L’église paroissiale, agrandie en 1687, était convenablement pourvue d’ornements et de vases sacrés; sa vaste enceinte ne renfermait pas moins de dix autels, dont le plus beau, le plus riche, était le maître-autel, dû à la générosité d’un enfant de Megève, Jean Périnet, négociant à Vienne en Autriche. Les autres autels étaient ceux qui suivent: 1° Notre-Dame des Anges et des Carmes; 2° Saint-Georges et Saint-Christophe; 3° Notre-Dame de Bethléem et de Saint-Joseph; 4° Notre-Dame du Puy, de Saint-Bon et Saint-Eloi; 5° Saint-Antoine, Saint-Théodule et Saint-Maxime: 6° Saint-Michel et Saint-Pierre; 7° Saint-Félix; 8° Saint-Claude, Saint-Guillaume, Sainte-Marie Magdeleine, N.-D. des Grâces et Saint-François de Sales; 9° enfin du Rosaire.

Au dehors et dans l’enceinte de la paroisse s’élevaient avec leurs gracieux clochetons une foule de petites chapelles; on eût dit que chaque hameau, chaque village avait voulu posséder dans son sein une petite représentation de la mère-Eglise, et dédier une maison à Dieu. C’étaient d’abord, sur le cimetière, la chapelle de Sainte-Anne, Sainte-Catherine, Saint-Blaise et Saint-Loup; au collége Saint-Amour, celle des saints Pierre et Jean l’Evangéliste; à l’hospice, celle de Notre-Dame des Ermites, aujourd’hui des Sept-Douleurs; à la Molettaz, celle de Notre-Dame de Pitié, Saint-François d’Assise, Saint-Jacques, Saint-Lazare et Saint-Nicolas Tolentin; à Oudier, celles des Saint-Michel et Saint-Nieolas; à Darbon, celles de Saint-Jacques et Saint-Philippe; aux Cretets, de Notre-Dame de l’Assomption; au Petit-Bois, des Saints Sébastien, Symphorien et François Xavier; aux Chosaux, de Notre-Dame des Ermites et Saint-Gervais; aux Pectoraux, de N.-D. des Grâces et St-Guérin; au Mâx, des St-Barthélémy et Saint-Clair; au Planey, de Notre-Dame des Carmes, Saint-Pierre, Sainte-Brigitte et Saint-Donat; au Calvaire, près le village de Glaize, celle de la Passion; au Villard, celle des Saints Laurent et Martin; à Cassioz, de Saint-André et Sainte-Barbe: En tout seize chapelles, auxquelles on pourrait ajouter celle de la Tonnaz à Praz. L’on y célébrait plus de quinze cents messes annuelles, selon la teneur des fondations. Le jour des patrons de ces chapelles était chômé par les habitants du hameau, et alors la sainte messe ainsi que la prédication avaient lieu dans la chapelle rurale. Aujourd’hui, le plus grand nombre de ces édifices subsistent encore, et ils sont généralement bien entretenus; quoique la révolution en ait détruit plusieurs, leur nombre, loin de diminuer, a plutôt augmenté, surtout depuis qu’un homme puissant en paroles et en œuvres, le vénérable Martin, curé si regretté de la paroisse, réalisa la pensée et le pieux dessein de retracer d’une manière sensible les souffrances du divin Maître sur la voie douloureuse de Jérusalem au Calvaire.

Le siècle sourit à la vue de ces constructions rustiques, de ces modestes chapelles, et il affirme que le monde n’en est point meilleur! Sans doute, le nombre des édifices voués au culte ne donne pas partout et toujours la mesure exacte des sentiments religieux, mais n’est-il pas à la physionomie d’une paroisse ce que des couleurs vives et franches sont à la santé ? Si de belles conteurs sont parfois un signe menteur, on le reconnaît à des symptômes qui en avertissent. De même, lorsque la piété de la population n’est pas en rapport avec ses édifices relgieux, l’atonie, la stérilité en œuvres de-bienfaisance ou l’état de dégradation des monuments de piété accusent sa situation. Mais, nous pouvons le dire hautement, aucun de ces signes ne se rencontre à Megève.

L’institution charitable de l’hospice, fondé en 1696 par le vénérable Blaise-Gaspard Orsy, plébain, était florissante; son revenu, au montant de 1403 liv. en 1765, de 2621 en 1788, grandissait chaque année. L’établissement ne renfermait pas moins de vingt-six pauvres, qui trouvaient dans cette maison si bien désignée sous le nom seul de Charité, les secours temporels et spirituels. Tout disait le bonheur et la prospérité des habitants de Megève: pourquoi le souffle trop souvent dévastateur de la démocratie allait-il passer? les efforts de plusieurs siècles devaient être renversés en quelques années. A la veille d’une révolution, la France semait des maximes incomprises: notre chère Savoie se laissait entraîner; Megève comptait déjà quelques patriotes dont les aspirations, encore contenues, rêvaient un funeste triomphe.

Dans l’état de sa paroisse, dressé en 1788, le plébain entrevoyait cet avenir; son style, ordinairement si gai, revêt un caractère de tristesse lorsqu’il parle de l’état moral de ses paroissiens.

«Il n’y a que trop de cabarets, disait-il, qui occasionnent l’ivrognerie, le jeu, les veillées prolongées et par suite la profanation du dimanche. Plusieurs ne font aucune difficulté de vaquer à certains travaux les jours de dimanche, de commercer avec les étrangers qui viennent en ces jours-là, ou de prononcer beaucoup de malédictions contre les bestiaux; plusieurs superstitions sont encore généralement pratiquées, etc., etc.» Le récit que nous essayons ne justifiera que trop à quel point l’impiété d’un petit nombre était arrivée; nous citerons sans crainte les noms des plus ardents patriotes, leurs actes publics, les ravages qu’ils ont semés dans notre chère paroisse. Leur place doit être marquée dans l’histoire.

Puissent ces exemples écarter à tout jamais des temps aussi malheureux! Jetons les yeux sur ce passé, ne craignons pas. «L’imagina-

«tion, disait La Harpe, longtemps flétrie par

«des souvenirs douloureux, se reporte invo-

«lontairement vers le passé qu’elle accuse.

«Ne l’oublions point, ne l’oublions jamais, afin

«que jamais il ne revienne.»

Voilà le mobile qui nous anime, la pensée qui nous a dirigés dans le récit qui va suivre.

Histoire de Megève pendant la Révolution française

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