Читать книгу Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé - de Lenclos Ninon - Страница 10
LETTRES DE MMES. DE VILLARS, DE COULANGES, ET DE LA FAYETTE; DE NINON DE L'ENCLOS, ET DE MADEMOISELLE AÏSSÉ; Accompagnées de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de la Coquette Vengée, par Ninon de l'Enclos.
SECONDE ÉDITION.
TOME PREMIER
LETTRES DE MADAME DE VILLARS, A MADAME DE COULANGES
LETTRE VII
ОглавлениеMadrid, 26 janvier 1680.
Je ne vous entretiendrai guère de l'entrée de la reine d'Espagne. Elle en étoit le plus grand et le plus agréable ornement; à cheval sous un grand dais, fort parée, un chapeau de plumes blanches, un habillement fait exprès pour ce jour de cérémonie; précédée de plusieurs Grands fort brodés, et quantité de livrées riches et mal entendues, aussi-bien que les habits des maîtres. La reine avoit très-bonne grâce. Elle quitta un peu sa gravité devant le balcon où nous étions, et je la lui vis reprendre. Il y a eu deux jours de suite des feux d'artifice devant le palais, où je me dispensai d'aller. Jusqu'ici il n'y a point eu d'autre fête. Le roi mène souvent la reine dans des couvens, et ce n'est point du tout une fête pour elle. Elle a voulu absolument que je l'y suivisse ces deux derniers jours. Comme je n'y connois personne, je m'y suis beaucoup ennuyée; et je crois qu'elle ne vouloit que j'y fusse, qu'afin de lui tenir compagnie. Le roi et et la reine sont assis, chacun dans un fauteuil; des religieuses à leurs pieds, et beaucoup de dames qui viennent leur baiser les mains. On apporte la collation; la reine fait toujours ce repas d'un chapon rôti. Le roi la regarde manger, et trouve qu'elle mange beaucoup. Il y a deux nains qui soutiennent toujours la conversation. Je croyois hier au soir, au sortir du couvent, m'en retourner chez moi; mais la connétable de Castille me pria que nous allassions ensemble au palais; car vous saurez que, sans l'avoir mérité, il ne tiendroit qu'à moi de me donner un grand air ici, les dames croyant que c'est assez qu'une ambassadrice soit de la même nation que leur reine, pour leur être de quelque agrément. Je fais aussi de mon mieux pour ne pas tromper leur attente. Voilà toutes les affaires que je veux avoir au palais. La reine mère est toujours une très-bonne princesse; je n'en puis dire autre chose. Je n'abuse point des bontés qu'elle m'a fait paroître; car, depuis que je suis à Madrid, je n'ai été que deux fois chez elle. Il y a, depuis deux jours, un ambassadeur d'Espagne nommé pour la France. L'on a révoqué celui que vous aviez. C'est le marquis de la Fuente, fils de celui que vous avez vu ambassadeur. Sa femme partira bientôt. Elle ne vous paroîtra ni jeune ni belle; elle est peut-être l'un et l'autre en ce pays. C'est une bonne femme.
Je ne passe pas en Espagne une vie aussi oisive que je voudrois, et ce sera beaucoup si je puis jamais rendre toutes les visites que j'ai à y faire. Tout ce que j'y ai de plus agréable, c'est la commodité des habits. La reine mère et toutes les dames approuvent toujours si fort ceux que j'ai, et sur-tout les manteaux, que vous pouvez croire avec quel plaisir je les satisfais. Le noir, comme je crois vous l'avoir déjà mandé, n'est pas une couleur plus respectueuse qu'une autre.
Je ne vois pas qu'on se presse trop ici d'expédier le brevet de cette pension de deux mille écus pour madame de Grancey; M. de Villars voudroit bien lui être utile; mais avec tout l'or qui vient des Indes, l'Espagne ne paroît pas opulente. Ce que j'ai vu de plus riche, de plus doré, de plus magnifique, est l'appartement de la reine. Il y a entre autres meubles dans sa chambre, une tapisserie, dont ce qu'on y voit de fond, est de perles. Ce ne sont point des personnages; on ne peut pas dire que l'or y soit massif, mais il est employé d'une manière et d'une abondance extraordinaires. Il y a quelques fleurs: ce sont des bandes de compartimens; mais il faudroit être plus habile que je ne suis à représenter les choses, pour vous faire comprendre la beauté que compose le corail employé dans cet ouvrage. Ce n'est point une matière assez précieuse pour en vanter la quantité; mais la couleur et l'or qui paroît dans cette broderie, sont assurément ce qu'on auroit peine à vous décrire; mais il ne vous importe guère. Cette tapisserie m'est demeurée dans la tête; c'est ce qui m'a fait écrire ceci, qui vise assez au galimatias. Adieu, madame: ce que je sens bien distinctement, c'est que je vous aime. Aimez-moi aussi, je vous en prie; et ne consentez jamais en vous-même que je sois en Espagne et vous en France.
Madrid, 27 janvier 1680.
Comme le courrier ne partit point hier au soir, et qu'il me reste un peu de temps, je veux vous conter, si je puis, en peu de mots, une belle aventure. Nous arrivions hier, M. de Villars et moi, sur les dix heures du matin, quand nous vîmes entrer dans ma chambre une tapada, suivie d'une autre qui paroissoit sa suivante. Je fis signe à M. de Villars que c'étoit à lui à se mettre en devoir de faire les honneurs; la suivante se retira. L'autre fit signe qu'elle vouloit que quelques gens qui étoient dans l'antichambre, se retirassent aussi. Elle s'approcha d'une fenêtre avec M. de Villars, me faisant signe en même temps de m'approcher. Elle leva son manteau, je n'en étois guère plus savante. Je me souvenois un peu d'avoir vu quelque personne qui lui ressembloit; M. de Villars s'écria: c'est madame la connétable Colonne! Sur cela je me mis à lui faire quelques complimens. Comme ce n'est pas son style, elle vint au fait. Elle pleura et demanda qu'on eût pitié d'elle. Pour dire deux mots de sa personne, sa taille est des plus belles. Un corps à l'espagnole qui ne lui couvre ni trop ni trop peu les épaules. Ce qu'elle en montre, est très-bien fait: deux grosses tresses de cheveux noirs, renouées par le haut d'un beau ruban couleur de feu: le reste de ses cheveux en désordre et mal peigné; de très-belles perles à son cou; un air agité qui ne siéroit pas bien à une autre, et qui pour lui être assez naturel, ne gâte rien; de belles dents. Je voudrois bien vous faire entendre tout ceci en peu de mots. La connétable est dans un couvent royal, nommé San-Domingo. Elle en est déjà sortie quatre ou cinq fois; et la dernière qu'elle y entra, le nonce fit semblant de vouloir parler à une religieuse à la porte; et quand elle fut ouverte, la connétable que l'on croyoit bien loin, rentra promptement; car en Espagne, dans ces sortes de couvens, il y a d'extraordinaires régularités sur les entrées et les sorties. Quand elle y fut, les parens du connétable exigèrent d'elle qu'elle signeroit entre les mains du roi un papier, par lequel elle s'engageroit de ne plus sortir sans la permission de son mari, promettant que, si elle en sortoit, on pourroit la renvoyer à Saragosse, ou en tel autre lieu que son mari souhaiteroit. La voilà donc avec de doubles liens. Quand le marquis de los Balbasès revint avec sa femme, elle crut qu'ils la recevroient dans leur maison; mais ils s'en excusèrent, disant qu'elle étoit trop petite. Le bruit de l'entrée de la reine a fait prendre la résolution à madame Colonne de sortir encore de son couvent. Aussitôt pensé, aussitôt fait. Elle envoie emprunter un carrosse, et s'en va droit chez la marquise de los Balbasès. Elle fut bien reçue, malgré leur surprise. Au bout de quelques jours, quelqu'un vint lui dire que los Balbasès l'alloit envoyer à Saragosse trouver son mari. Sur cela elle demande un carrosse pour aller prendre l'air; on lui en donne un. Elle fait quelques tours par la ville, et se fait descendre à notre porte; la voilà chez nous disant qu'elle n'en vouloit plus sortir, et que l'on ne voudroit pas la mettre dans la rue. Il parut qu'elle seroit bien aise de voir le nonce. Nous la fîmes dîner; je lui fis de mon mieux, parce qu'en effet elle fait très-grande pitié d'être de l'humeur qu'elle est. Le marquis de los Balbasès envoie un de ses parens pour essayer de la résoudre à retourner, et à ne pas donner une nouvelle scène au public. Elle dit qu'elle n'en fera rien. Le nonce arrive; elle le prie qu'il la fasse rentrer dans son couvent. Il répond qu'il n'en a pas le pouvoir. Une dame de qualité de nos amies, qui est la comtesse de Villombrosa, dont le fils a épousé la fille de los Balbasès, vint ici. M. de Villars et le nonce firent plusieurs allées et venues chez los Balbasès, qui promit plusieurs fois, foi de cavalier, qu'il ne feroit nulle violence à madame Colonne pour retourner avec son mari; qu'il la prioit de revenir chez lui, et que l'on tâcheroit de faire en sorte que le roi qui avoit l'écrit de madame Colonne, ne sauroit rien, de sa sortie, et que, si elle s'opiniâtroit à ne pas vouloir revenir, elle alloit mettre contre elle le roi, son mari, et toute sa famille. Enfin, madame, il étoit près de minuit que nous ne savions tous que faire par les conséquences que cette pauvre créature attiroit contre elle en demeurant chez nous. Mais enfin elle se résolut à s'en aller. La comtesse de Villombrosa, M. de Villars et moi la remmenâmes chez le marquis de los Balbasès. Sa femme et lui la reçurent très-bien; mille embrassades. Vraiment, c'est une chose inconcevable que les mouvemens extraordinaires qui se passent dans cette tête. Elle l'avoue elle-même. Si elle ne fait pas plus de chemin, ce n'est pas manque de bonne volonté. Cependant, s'il lui prend envie une autre fois de revenir chez nous et de n'en vouloir pas sortir, par les frayeurs qu'on ne la remette au pouvoir de son mari, nous en serions bien embarrassés. Si cette histoire vous ennuie, madame, prenez-vous-en à l'envie et au plaisir que j'ai de vous conter tout ce que je sais qui peut vous être écrit.
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