Читать книгу Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé - de Lenclos Ninon - Страница 18
LETTRES DE MMES. DE VILLARS, DE COULANGES, ET DE LA FAYETTE; DE NINON DE L'ENCLOS, ET DE MADEMOISELLE AÏSSÉ; Accompagnées de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de la Coquette Vengée, par Ninon de l'Enclos.
SECONDE ÉDITION.
TOME PREMIER
LETTRES DE MADAME DE VILLARS, A MADAME DE COULANGES
LETTRE XV
ОглавлениеMadrid, 28 mai 1680.
J'ai vu M. et madame de Grana; le mari me vint voir il y a deux ou trois jours; il fut toute l'après-dînée avec moi. Il parle mieux françois qu'un François même; il est de bonne conversation. Il s'ennuie à la mort à Madrid, quoiqu'il y ait demeuré long-temps, et qu'il y ait beaucoup de parens. Il est épouvanté du gouvernement, quoiqu'il n'en parle que comme en doit parler un ambassadeur de l'Empereur, à une Françoise. Il dit qu'il ne sera pas long-temps ici. Il me soutient qu'il n'y avoit qu'un ambassadeur de France qui pût présentement trouver quelque plaisir dans cette cour, en entendant parler du méchant état où on la voit. Pour moi, madame, vous croyez bien que je n'entre dans aucun de ces détails.
Je jouis du beau temps, qui est admirable présentement. Depuis un mois, il est tempéré. Nous ne voyons ni ne sentons de soleil que ce qu'il en faut pour réjouir. La reine m'ordonne, et, si je l'ose dire, me prie instamment de la voir souvent. L'ennui du palais est affreux, et je dis quelquefois à cette princesse, quand j'entre dans sa chambre, qu'il me semble qu'on le sent, qu'on le voit, qu'on le touche, tant il est répandu épais. Cependant je n'oublie rien pour faire en sorte de lui persuader qu'il faut s'y accoutumer, et tâcher de le moins sentir qu'elle pourra; car il n'est pas en mon pouvoir de la gâter, en la flattant de sottises et de chimères, dont beaucoup de gens ne sont que trop prodigues. On a cru deux mois qu'elle étoit grosse; c'est à elle à savoir s'il y en avoit sujet. On ne peut être moins propre à questionner que je le suis sur de pareils chapitres. De plus, vous savez que, quand elle est partie de Paris, je n'étois pas beaucoup dans sa confiance, ni connue et considérée au Palais-royal. Je ne m'entremets de rien ici: la reine a du plaisir à voir une Françoise, et à parler sa langue naturelle. Nous chantons ensemble des airs d'opéra. Je chante quelquefois un menuet qu'elle danse. Quand elle me parle de Fontainebleau, de St-Cloud, je change de discours; et il faut éviter de lui en écrire des relations. Quand elle sort, rien n'est si triste que ses promenades. Elle est avec le roi dans un carrosse fort rude, tous les rideaux tirés. Mais enfin ce sont des usages d'Espagne; et je lui dis souvent qu'elle n'a pas dû croire qu'on les changeroit pour elle, ni pour personne. Entre nous, ce que je ne comprends pas, c'est qu'on ne lui ait pas cherché par mer et par terre, et au poids de l'or, quelque femme d'esprit, de mérite et de prudence, pour servir à cette princesse de consolation et de conseil. Croyoit-on qu'elle n'en eût pas besoin en Espagne? Elle se conduit envers le roi avec douceur et complaisance. Pour des plaisirs, elle n'en voit aucun à espérer dans cette cour; mais comme je n'ai aucun personnage à faire auprès d'elle, et que je n'ai ni charge ni mission de m'en mêler, ni de pénétrer rien sur le présent, le passé et l'avenir, elle me fait beaucoup d'honneur de vouloir que je sois souvent auprès d'elle; mais, quand cela n'est pas, je ne meurs point d'ennui avec M. de Villars, avec qui j'aime bien autant m'aller promener. Si je vous disois la continuation, où, pour mieux dire, l'augmentation des misères de ce pays, cela vous feroit de la peine. Adieu, madame; je suis à vous de tout mon cœur.
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