Читать книгу Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé - de Lenclos Ninon - Страница 12
LETTRES DE MMES. DE VILLARS, DE COULANGES, ET DE LA FAYETTE; DE NINON DE L'ENCLOS, ET DE MADEMOISELLE AÏSSÉ; Accompagnées de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de la Coquette Vengée, par Ninon de l'Enclos.
SECONDE ÉDITION.
TOME PREMIER
LETTRES DE MADAME DE VILLARS, A MADAME DE COULANGES
LETTRE IX
ОглавлениеMadrid, 6 mars 1680.
Nous voici au mercredi des Cendres. Je n'ai rien à vous dire du carnaval. Comme le carême n'est point du tout ici un temps de pénitence, celui qui le précède ne se distingue par aucun plaisir; car jamais vous ne voudriez croire que c'en fût un que de jeter sur les passans beaucoup d'eau par la fenêtre. Pour ce qui se passe dans le palais, le roi, la reine et les dames se battent à coups d'œufs remplis d'eau de senteur, mais en si prodigieuse quantité, que l'on ne comprend pas où l'on peut en trouver tant. Ils sont tous argentés et peints. La reine m'en donna un panier dont je régalai ma fille. Voilà, madame, par où l'on marque à cette jeune princesse des jours qu'elle passoit autrement en France, et dont je tâche, autant que je le puis, de lui ôter le souvenir. En vérité, sa douceur, sa complaisance et toute sa conduite, sont des choses extraordinaires à dix-huit ans. Il entre de tout dans cette heureuse composition; et, pour ajouter encore à la gloire qu'elle peut tirer de tout ce qu'elle fait, c'est que d'abord qu'elle arriva, on lui donna les plus méchans conseils du monde. Elle le connoît bien présentement.
J'ai été assez souvent à la comédie espagnole avec elle: rien n'est si détestable. Je m'y amusois à voir les amans regarder leurs maîtresses, et leur parler de loin avec des signes qu'ils font de leurs doigts; pour moi je suis persuadée que c'est plutôt une marque de leur souvenir qu'un langage; car leurs doigts vont si vîte, que, si ces amans s'entendent, il faut que l'amour d'Espagne soit un excellent maître dans cet art. Je pense que c'est qu'il y voit plus clair qu'ailleurs, et qu'il ne se soucie guère de faire plus de chemin.
Il y a, depuis peu de jours, un premier ministre, qui est le grand duc de Medina Celi, le plus grand seigneur de cette cour; il n'a que quarante ou quarante-cinq ans. Voilà tout ce que vous saurez des affaires d'Etat. Je n'en sais guère davantage. On n'a point remédié à celle qui me tient assez au cœur, qui est ce rabais des monnoies. C'est une chose bien triste, madame, que le peu d'argent qui nous vient de France par cette diminution, et qu'il faille sur chaque pistole en perdre plus de la moitié. La pitié que j'ai de nous ne m'empêche pas d'en avoir pour ce pauvre peuple, qui paroît ne vivre que de ce qu'on appelle ici tomar el sol; tant il est maigre, abattu et misérable.
Il y eut dimanche, au Retiro, une comédie de machines, où les deux reines et le roi étoient. Il y falloit être à midi. L'on y mouroit de froid. Comme je me promenois dans les galeries de cette maison, qui sont très-agréables, habillée à ma commodité comme devant voir cette comédie derrière des jalousies, et ne songeant ni à roi, ni à reine, j'entendis notre jeune princesse qui m'appeloit fort haut par mon nom. J'entrai dans le lieu d'où me paroissoit venir sa voix, avec un air un peu composé: je la trouvai assise au milieu du roi et de la reine mère. Elle n'avoit consulté, en m'appelant, que son envie de me voir, et avoit tout-à-fait oublié la gravité espagnole. Elle de rire en me voyant. La reine mère me rassura; elle est toujours aise que la reine sa belle-fille se divertisse. Elle lui donna même occasion de me venir parler auprès d'une fenêtre; mais je m'en retirai bientôt. Elle me demanda si je n'avois point reçu de vos lettres.
Au reste, madame, toutes les ambassadrices meurent à Madrid; en voilà deux en six semaines, qui étoient plus jeunes que moi15. J'aimerois autant que la mort en eût pris de quelqu'autre état. On me dit qu'on ne peut résister aux chaleurs. Je me tranquillise un peu sur cela, quand je songe à mesdames de Schornberg et de la Fayette, qui cherchent et qui trouvent des airs tempérés dans leurs maisons de la ville, et dans celles qu'elles choisissent à la campagne. Elles sont toujours malades, sans que d'ailleurs la fortune les accable de ses revers; et moi, je me porte bien, sans faire aucun remède et sans les croire nécessaires. Mais cela ne peut pas durer. J'observe mon régime de chocolat, auquel seul je crois devoir ma santé. Je n'en use pas comme une folle et sans précaution. Mon tempérament ne paroît nullement se pouvoir accommoder de cette nourriture. Elle est pourtant admirable et délicieuse. J'en ai fait faire chez moi, qui ne peut jamais faire mal. Je songe souvent que, si je puis vous revoir, je veux vous en faire prendre méthodiquement, et vous faire avouer que rien n'est meilleur pour la santé. Voilà bien parler de chocolat. Songez que je suis en Espagne, et que c'est presque mon seul plaisir que d'en prendre.
La connétable Colonne, depuis la visite qu'elle nous fit, est toujours dans un couvent à cinq lieues d'ici. Son mari est à Madrid depuis deux jours. On dit qu'il lui permettra de revenir dans un autre couvent de cette ville, où elle aura beaucoup moins de liberté que dans celui d'où elle est sortie. Nous avons appris qu'elle fut toute prête le jour qu'on l'emmena de Madrid au lieu où elle est présentement, de s'en venir encore se fourrer chez nous dans ma chambre.
J'ai reçu par cet ordinaire une lettre de madame de Sévigné. Je ne saurois lui faire réponse aujourd'hui, quelqu'envie que j'en aie. J'ai fait lire à la reine l'endroit où madame de Sévigné parle d'elle et de ses jolis pieds, qui la faisoient si bien danser, et marcher de si bonne grâce. Cela lui a fait beaucoup de plaisir. Ensuite elle a pensé que ses jolis pieds, pour toute fonction, ne vont présentement qu'à faire quelques tours de chambre, et à huit heures et demie tous les soirs, à la conduire dans son lit. Elle m'a ordonné de vous faire à toutes deux bien des amitiés. Elle étoit hier belle comme un ange, accablée, sans se plaindre, d'une parure d'émeraudes et de diamans sur la tête, c'est-à-dire, mille poinçons; de furieux pendans d'oreilles; et devant elle et autour d'elle en écharpe, des bagues, des bracelets. Vous croyez que les émeraudes avec les cheveux bruns ne faisoient pas un bon effet; Détrompez-vous; son teint est un des plus beaux teints de brune qu'on puisse voir; sa gorge blanche et très-belle. Elle étoit un peu plus parée qu'à l'ordinaire. Elle me dit qu'elle avoit donné audience le matin au connétable Colonne, et qu'en le voyant et l'entendant parler, elle avoit été bien persuadée de la folie de sa femme. Il est fait à peindre: pour de bonne humeur, on n'en peut douter, si l'on en juge par l'air dont il laissoit vivre sa femme à Rome. La reine me demanda fort des nouvelles de madame de Grignan16, et si elle ne reviendroit point cet hiver à Paris.
Si trois semaines après que vous aurez reçu cette lettre, vous envoyez un laquais au quartier de Richelieu, faites-le passer au couvent des Petits-Pères, et dites-lui de s'informer si deux de leurs religieux ne sont pas arrivés d'Espagne. Ces pères ont pour vous une petite boîte où il y a le plus petit présent du monde. Faites pourtant cas des tasses de boucaro. J'ai, en vérité, quelque sorte de honte, non du petit présent, mais de cette longue lettre. Il n'appartient pas à quelqu'un qui est à Madrid de tenter la patience d'une personne comme vous, dont les journées sont remplies d'occupations agréables ou soi-disantes.
/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\
15
Les ambassadrices d'Allemagne et de Danemarck.
16
Fille de madame de Sévigné.