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LETTRES DE MMES. DE VILLARS, DE COULANGES, ET DE LA FAYETTE; DE NINON DE L'ENCLOS, ET DE MADEMOISELLE AÏSSÉ; Accompagnées de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de la Coquette Vengée, par Ninon de l'Enclos.
SECONDE ÉDITION.
TOME PREMIER
LETTRES DE MADAME DE VILLARS, A MADAME DE COULANGES
LETTRE V

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Madrid, 27 décembre 1679.

J'ai reçu depuis peu mes visites. La manière dont se passe cette cérémonie, est une chose assez singulière. Premièrement, dès que j'ai été arrivée, toutes les dames, princesses, duchesses, Grandes, ont envoyé plusieurs fois me complimenter, et s'informer avec soin quand elles me pouroient voir, chacune voulant être avertie des premières. Enfin ce temps est venu; il y a quelques jours qu'on leur fit savoir que je recevrois le monde trois jours de suite. On envoie un page chez toutes celles qui ont envoyé, avec des billets qu'on nomme nudillos, parce qu'en effet ce sont des billets noués. Ce fut la marquise d'Assera, veuve du duc de Lerme, que j'ai vue en France, et qui croit que je lui ai rendu quelque petit service, qui fit les trois jours les honneurs de ma maison. La dame de ce portrait qu'a M. de Villars, les a faits aussi. Je crois qu'elle a été belle, et même qu'elle le seroit encore passablement, sans cette épouvantable coiffure de veuve qu'elle porte. Il n'est pas possible, à quelque belle personne que ce soit, de le paroître avec cet accoutrement; et je ne sais pas comment une veuve qui seroit un peu galante, et qui compte sur sa beauté, ne se remarie pas tout au plus tard au bout de l'an. Cette dame a bien de l'esprit, et est honnête et polie. Je ne vous dirai point les pas comptés que l'on fait pour aller recevoir les dames, les unes à la première estrade, les autres à la seconde ou à la troisième; car, par parenthèse, j'ai un très-grand appartement. Tirez de là, en soupirant pour moi, la conséquence de ce qu'il m'en coûte à le meubler. Il faut, en entrant et en sortant, passer devant toutes ces dames. Celle qui me conduisoit avoit assez d'affaire à me redresser; car j'oubliois souvent le cérémonial. Ces visites durent tout le jour. On les conduit dans une chambre couverte de tapis de pied, un grand brâsier d'argent au milieu. Je n'oublierai pas de vous dire que, dans ce brâsier; il n'y a point de charbon, mais de petits noyaux d'olives qui s'allument, et qui font le plus joli feu du monde, une petite vapeur douce. Ce feu dure plus que la journée. La manière de s'entretenir et de se faire des amitiés, seroit trop longue à vous dire. Toutes ces femmes causent comme des pies dénichées; très-parées en beaux habits et pierreries, hors celles qui ont leurs maris en voyage ou en ambassade. Une des plus jolies, sans comparaison13, étoit vêtue de gris par cette raison. Pendant l'absence de leurs maris, elles se vouent à quelque saint, et portent, avec leur habit gris ou blanc, de petites ceintures de corde ou de cuir. Je ne puis vous dépeindre aucune beauté; car je n'en ai point vu. La connétable de Castille est des mieux faites; mais revenons à notre brâsier; toutes assises sur nos jambes, sur ces tapis; car, quoiqu'il y ait quantité d'almohadas, ou carreaux, elles n'en veulent point. Dès qu'il y a cinq ou six dames, on apporte la collation qui recommence une infinité de fois. On présente d'abord de grands bassins de confitures sèches; ce sont des filles qui servent, après cela quantité de toutes sortes d'eaux glacées, et puis du chocolat; ce qu'elles ont mangé ou emporté de marons glacés, qu'elles nomment castagnas, ne se peut comprendre, tant elles les trouvent bons. Il règne une grande honnêteté parmi elles; touchées de plaire et de faire plaisir; avec tout cela, madame, que je fus aise de me trouver à la fin de mes trois jours! La plupart me sont venu voir deux fois; trois ou quatre entendent et parlent un peu le françois, et moi très-peu l'espagnol. Si ce récit vous paroît trop long, gardez-le pour le mettre en la place de la lecture que vous faites quelquefois les soirs. Il n'a tenu qu'à moi de vous faire encore un détail des comédies et de leurs machines. La reine, avec qui je me suis trouvée deux fois, comme elle y alloit, m'y a voulu mener; mais jusqu'ici je m'en suis exemptée par m'y figurer un ennui mortel, et je lui ai dit que j'irois quand elle seroit au palais. Cette jeune reine est assurément plus belle et plus aimable que toutes les dames de sa cour. Elle n'a point encore fait son entrée; on dit que le deux du mois prochain on saura le jour destiné à cette cérémonie; il y a des soupçons sur une grossesse. A l'égard de ne la pas voir aussi souvent qu'elle me témoigne le souhaiter, ce que je fais jusqu'à la durété, ce n'est pas que je méprise cet honneur, et que je n'en sache faire tout le cas que je dois; mais je crains plus que je ne puis vous le dire, qu'on ne me puisse accuser de trop d'empressement. Ce que la princesse fera de bien ou moins bien, ne me doit point être attribué; elle se conduit fort prudemment; il n'auroit pas été plus mal qu'on lui eût donné en France quelque bonne tête en qui elle eût confiance; cette cour est remplie de plusieurs personnes, qui peuvent indirectement se mêler de lui donner des conseils; il y a bien peu qu'elle y est, pour savoir choisir les bons et rejeter les mauvais; ce ne sont nullement mes affaires; et, si la reine mère n'avoit souhaité que je visse plus souvent la reine que je ne me l'étois proposé, je n'y aurois été qu'une seule fois. Je vous assure, madame, que, quand il faut m'habiller, quoiqu'il me soit permis d'aller avec toutes sortes de manteaux, et qu'il me faut sortir de ma chambre, je suis triste et peinée par avance, d'aller représenter en public. On prépare, pour l'entrée de la reine, cinq ou six beaux arcs de triomphe. J'en ai vu un qui m'a paru tel. Si le deux du mois prochain on la croit encore grosse, elle fera son entrée dans une espèce de chaise découverte, que des hommes porteront sur leurs épaules; sinon elle la fera à cheval. J'étois, il y a peu de jours, avec elle; le roi vient faire de petites comparanzas14 et puis s'en reva. Elle me montroit un fort beau présent d'une parure de pierreries, que le roi lui avoit fait le matin. Ils se couchent tous les jours à huit heures et demie, c'est-à-dire, le moment d'après qu'ils sont sortis de table, ayant encore le morceau au bec.

Le prince de Ligne mourut, il y a trois jours; il étoit assez vieux; sa femme s'en retourne en Flandre. Il y en a huit qu'un fameux théatin, nommé le P. Vintimille, fut chassé; il étoit intrigant, à ce qu'on dit, des amis de feu don Juan, et ennemi déclaré de la reine mère; il eût fort souhaité d'être confesseur de la jeune reine; il ne lui auroit pas fait des scrupules de rien; il est ami de la connétable Colonne que je n'ai point encore vue, parce que je n'ai fait aucune visite: je les commencerai bientôt, et la verrai des premières. Elle ne sort point de son couvent: on croyoit qu'elle demeureroit chez la marquise de los Balbasès, sa belle-sœur; mais cela ne sera pas.

Le duc d'Ossone continue de ne pas aller à la cour.

Il y a très-souvent, ce qu'on appelle des cérémonies de chapelle, dans l'église qui touche la maison où leurs majestés sont à présent; on voit la reine à travers les barreaux d'une tribune; elle est très-magnifiquement parée, aussi bien que toutes les dames: ce lieu d'oraison n'est pas moins chéri d'elles. La fête de Noël est solemnisée dans le palais par des parures extraordinaires, et la comédie sur les quatre heures. Sans beaucoup me divertir ici, je vous dirai, madame, qu'il n'y a lieu au monde où je voulusse être qu'en Espagne, tant que M. de Villars y sera, cela s'entend; voilà la pure vérité.

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13

La marquise del Carpio, femme du marquis de Liche, alors ambassadeur à Rome.

14

Apparitions.

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