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LETTRES DE MMES. DE VILLARS, DE COULANGES, ET DE LA FAYETTE; DE NINON DE L'ENCLOS, ET DE MADEMOISELLE AÏSSÉ; Accompagnées de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de la Coquette Vengée, par Ninon de l'Enclos.
SECONDE ÉDITION.
TOME PREMIER
AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR
ОглавлениеLa rapidité avec laquelle a été enlevée la première édition du recueil des Lettres de mesdames de Villars, de la Fayette et de Tencin et de mademoiselle Aïssé, nous a déterminés à en donner une seconde. Nous avons fait à ce recueil plusieurs changemens dont il est à propos de rendre compte.
On a remarqué dans un journal très-répandu1 que les Lettres de madame de Tencin déparoient la collection. Nous étions parfaitement de l'avis du journaliste sur le mérite de ces Lettres: nous avions dit nous-mêmes dans la notice qui les précède, qu'elles étoient de madame de Tencin, intrigante, et non point de madame de Tencin, auteur des jolis romans du Comte de Comminges, du Siége de Calais, etc.; mais nous avions considéré qu'elles étoient en petit nombre; qu'il étoit fort souvent question de celle qui les a écrites, dans une autre correspondance qui fait partie du recueil, c'est-à-dire, dans les Lettres de mademoiselle Aïssé; et qu'enfin, puisque notre dessein étoit de rassembler des Lettres de femmes, celles de madame de Tencin rendroient la réunion plus complète. Ces considérations nous ont bientôt paru d'un moindre poids que l'observation qui nous a été faite; et nous avons reconnu que le principal but de ceux qui travaillent pour le public, étant de lui procurer de l'agrément ou de l'instruction, les Lettres de madame de Tencin devoient être exclues de notre recueil, puisqu'elles ne sont ni instructives, ni agréables.
Nous les avons remplacées par les Lettres de Ninon de l'Enclos et par celles de madame de Coulanges. Ce que nous avons ajouté étant beaucoup plus considérable que ce que nous avons retranché, nous nous sommes vus forcés de faire deux volumes, au lieu d'un.
Le mérite des Lettres de mesdames de Villars et de la Fayette, et de mademoiselle Aïssé, est aujourd'hui trop bien constaté par les éloges que leur ont donnés les journaux, et par l'empressement que le public a mis à se les procurer, pour que nous croyions nécessaire d'en rien dire ici. Il est également inutile de s'étendre sur celles de madame de Coulanges. On sait qu'il n'en est pas de plus enjouées et de plus spirituelles; elles sont remplies de ces traits vifs et brillans, que l'on appeloit les épigrammes de madame de Coulanges; et, en les lisant, on conçoit très-bien comment la femme qui les a écrites, faisoit les délices de la société, dans un siècle où l'on étoit si sensible aux grâces de l'esprit et du bon ton2.
Quant aux Lettres de Ninon, elles exigent de nous une explication particulière. Beaucoup de personnes pourroient les confondre, d'après le simple énoncé du titre, avec les Lettres de Ninon de l'Enclos au marquis de Sévigné, ouvrage supposé, dont l'auteur est M. Damours, avocat au conseil, mort en 1788. Cette correspondance fictive ne jouit pas d'une grande estime auprès des gens de goût. Voici ce que Voltaire en écrivoit en 1771, à M. ******, ministre du Saint Évangile, qui lui avoit demandé des détails sur Ninon. «Quelqu'un a imprimé, il y a deux ans, des Lettres sous le nom de mademoiselle de l'Enclos, à peu près comme dans ce pays-ci on vend du vin d'Orléans pour du Bourgogne. Si elle avoit eu le malheur d'écrire ces Lettres, vous ne m'en auriez pas demandé une sur ce qui la regarde.» On a publié depuis un autre livre du même genre, intitulé Correspondance secrète entre Ninon de l'Enclos, M. de Villarceaux et madame de Maintenon. Nous ne porterons aucun jugement sur cette dernière production, que nous n'avons point lue, et avec laquelle d'ailleurs nous n'avons rien à démêler, non plus qu'avec celle de M. Damours, puisque l'une et l'autre sont des suppositions. Les Lettres que nous donnons, sont les véritables Lettres de Ninon, adressées à Saint-Evremont, dans les œuvres duquel elles sont comme ensevelies. On les en a déjà extraites une fois. Elles ont paru en 1751, précédées de Mémoires sur Ninon, que quelques-uns ont attribués à M. l'abbé Raynal. Ce volume se trouve aujourd'hui très-difficilement. Les Lettres qui nous restent de Ninon, sont au nombre de dix seulement; celles de Saint-Evremont, qui y correspondent, sont au même nombre, et nous les y avons jointes. Un recueil de Lettres, quel qu'il soit, ne peut que perdre du côté de l'intérêt, lorsqu'il n'offre que l'une des deux parties de la correspondance.
A la suite des Lettres de Ninon, nous avons mis la Coquette vengée, petit écrit attribué à cette fille célèbre par MM. Mercier, abbé de Saint-Léger et Jamet le jeune, deux des hommes du siècle dernier, qui ont été le plus profondément versés dans la bibliographie. L'assertion de tels érudits nous a paru suffire. Nous n'y ajouterons pas que nous avons cru reconnoître dans la Coquette vengée, le style de Ninon: on n'en pourroit juger que d'après ses Lettres; et des Lettres, qui sont une conversation écrite, n'ont presque rien de commun avec un ouvrage exprès; mais nous dirons, sans craindre de trouver des contradicteurs, que cet opuscule, rempli de grâce et de finesse, ne peut guère être sorti que de la plume d'une femme, et qu'il est en tout digne de cette Ninon, dont l'esprit et la raison n'ont pas été moins célèbres que l'éclat et la durée de ses charmes. Nous allons dire à quelle occasion il fut fait. En 1659, il parut un petit livre intitulé: le Portrait de la Coquette ou la Lettre d'Aristandre à Timagène. Aristandre apprenant que Timagène, son neveu, se dispose à faire le voyage de Paris, veut le prémunir contre les dangers que son innocence courra dans cette ville; et de tous ces dangers, le plus grand, à son avis, ce sont les coquettes, dont il décrit à son neveu les différentes espèces. Il est certain que, parmi ces portraits, il en est plusieurs, et notamment celui de la Coquette, qui affecte l'instruction, où la malignité des lecteurs dut vouloir retrouver quelques-uns des traits de Ninon; et il n'est guère douteux qu'en effet le peintre ne l'ait prise pour modèle. Il appartenoit à une femme de venger la plus grande partie de son sexe outragée dans la Lettre d'Aristandre; et ce soin regardoit sur-tout celle qui y paroissoit le plus directement attaquée. Cette circonstance, suivant nous, donne un grand poids au témoignage de nos deux bibliographes; et, à défaut d'autres indices, elle auroit pu servir de base à leur opinion. Ninon (car nous croyons fermement que c'est elle qui est l'auteur de l'écrit) Ninon fit donc la Coquette vengée, dont le titre seul annonce suffisamment le dessein. Cette défense, ou plutôt cette récrimination est dirigée contre certains philosophes, nommés pédans de robe courte, et docteurs de ruelles, qui dogmatisent dans des fauteuils, et raisonnent sans cesse sur l'amour, sans avoir rien de raisonnable pour se faire aimer. Pour expliquer l'emploi injurieux que Ninon fait ici du titre de philosophe, il faut dire que l'auteur du Portrait de la Coquette affiche de grandes prétentions à ce titre, pour lequel il assure que les coquettes ont une aversion insurmontable. Nous avouerons sans peine que la Lettre d'Aristandre nous a paru elle-même un ouvrage agréablement écrit, et vraiment digne de la colère de Ninon. Ce qui confirmeroit notre jugement, c'est qu'il fut réimprimé en 1685, c'est-à-dire, plus de vingt-cinq ans après sa première publication. Nous ignorons si l'écrit de Ninon a eu aussi les honneurs de la réimpression; en tout cas, nous pensons qu'il les méritoit pour le moins autant.
Dans la première, édition de ce recueil, les notices biographiques avoient été placées toutes ensemble, au commencement du volume. Mais cette fois nous les avons disposées plus convenablement; chacune se trouve en tête de la correspondance à laquelle elle a rapport.
Dans l'avertissement qui précédoit ces notices, nous disions à quel point la seule édition qu'on eût eue jusqu'alors des Lettres de mademoiselle Aïssé, étoit incorrecte, et quels efforts nous avions eu à faire pour restituer le sens altéré à chaque page par des omissions ou par des changemens de mots, et rétablir les noms propres, presque toujours défigurés à n'être pas reconnoissables. Nous avons fait, dans les écrits du temps, de nouvelles recherches au sujet de ces noms, et nous avons réintégré dans leur véritable orthographe tous ceux qui n'ont pas appartenu à des personnages totalement ignorés. Nous avons aussi ajouté quelques notes explicatives à celles que nous avions trouvées ou que nous avions faites nous-mêmes.
Nous ne croyons pouvoir mieux terminer cet avertissement, qu'en rapportant un passage de La Bruyère, où ce moraliste ingénieux et profond reconnoît et explique la supériorité que les femmes ont sur les hommes dans le genre épistolaire. «Les Lettres de Balzac, de Voiture, dit-il, sont vides de sentimens qui n'ont régné que depuis leur temps, et qui doivent aux femmes leur naissance. Ce sexe va plus loin que le nôtre dans ce genre d'écrire: elles trouvent sous leur plume, des tours et des expressions qui, souvent en nous, ne sont l'effet que d'un long travail et d'une pénible recherche: elles sont heureuses dans le choix des termes qu'elles placent si juste, que, tout connus qu'ils sont, ils ont le charme de la nouveauté, et semblent être faits seulement pour l'usage où elles les mettent. Il n'appartient qu'à elles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment, et de rendre délicatement une pensée délicate. Elles ont un enchaînement de discours inimitable, qui se suit naturellement et qui n'est lié que par le sens. Si les femmes étoient toujours correctes, j'oserois dire que les Lettres de quelques-unes d'entr'elles seroient peut-être ce que nous avons dans notre langue de mieux écrit3.» Il n'est pas inutile de remarquer que La Bruyère proclamoit ainsi la prééminence des femmes dans l'art d'écrire des Lettres, à une époque où celles de madame de Sévigné n'étoient point connues du public, et ne l'étoient probablement pas de La Bruyère lui-même. Elles ont été imprimées pour la première fois plus de 30 ans après la publication des Caractéres.
1
Voyez le numéro du journal des Débats du 3 messidor an XIII.
2
Depuis plusieurs années, on a réuni aux Lettres de madame de Sévigné celles de mesdames de Coulanges et de la Fayette. Cette partie de notre collection fera un double emploi peu considérable pour ceux qui ont des éditions récentes de madame de Sévigné; et ceux qui n'ont que des éditions antérieures, seront sans doute bien aises de pouvoir les compléter au moyen de notre recueil.
3
Caractères de La Bruyère, chap. Ier. des Ouvrages de l'Esprit.