Читать книгу Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé - de Lenclos Ninon - Страница 11
LETTRES DE MMES. DE VILLARS, DE COULANGES, ET DE LA FAYETTE; DE NINON DE L'ENCLOS, ET DE MADEMOISELLE AÏSSÉ; Accompagnées de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de la Coquette Vengée, par Ninon de l'Enclos.
SECONDE ÉDITION.
TOME PREMIER
LETTRES DE MADAME DE VILLARS, A MADAME DE COULANGES
LETTRE VIII
ОглавлениеMadrid, 9 février 1680.
La reine d'Espagne, bien loin d'être dans un état pitoyable, comme on le publie en France, est engraissée au point que, pour peu qu'elle augmente, son visage sera rond. Sa gorge, au pied de la lettre, est déjà trop grosse, quoiqu'elle soit une des plus belles que j'aie jamais vues. Elle dort à l'ordinaire dix à douze heures. Elle mange quatre fois le jour de la viande; il est vrai que son déjeûner et sa collation sont ses meilleurs repas. Il y a toujours à sa collation un chapon bouilli sur un potage, et un chapon rôti. Je la vois fort rire, quand j'ai l'honneur d'être avec elle. Je suis persuadée que je ne suis ni assez plaisante ni assez agréable pour la mettre en cette bonne humeur, et qu'il faut qu'elle ne soit pas chagrine d'ordinaire. L'on ne peut assurément se mieux gouverner, ni avec plus de douceur et de complaisance pour le roi. Elle avoit vu son portrait; on ne lui avoit pas fait celui de son humeur pour les manières et la vie solitaire. On n'a pas renversé toutes les coutumes du pays, pour y en mettre de plus agréables. Mais la reine mère fait tout ce qu'elle peut pour les adoucir. Il paroît à tous les gens de bon sens que la jeune reine ne peut mieux faire que de contribuer de son côté à s'attirer la continuation de l'amitié et de la tendresse que ce prince lui témoigne. Il y a cette duchesse de Terranova, camarera mayor, dont l'humeur passe pour être un peu hautaine. La jeune reine plaît infiniment à toutes les dames. Je fais tout ce que je puis, quand j'ai l'honneur d'être auprès d'elle, pour la faire souvenir de leur dire tout ce qui est le plus propre à les gagner. Quand je vous dis qu'elle est grasse, qu'elle dort, qu'elle rit, encore une fois, je vous dis vrai. Il n'est pas moins vrai aussi, avec tout cela, que la vie qu'elle mène, ne lui est guère agréable. Enfin, madame, je vous assure qu'elle fait à merveille; j'en suis tout étonnée.
Il y eut hier la plus célèbre fête de taureaux qui se soit vue depuis plusieurs règnes des rois d'Espagne. Il y eut six Grands ou fils de Grands qui furent les toreadors. Je pensai mourir dans la première heure: mourir est un peu trop dire; mais j'eus une émotion et un si violent battement de cœur, que je crus n'y pouvoir résister, et je me levois pour m'ôter de dessus le balcon où j'étois, si M. de Villars ne m'eût dit que pour rien du monde il ne falloit faire cette faute. C'est une terrible beauté que cette fête. La bravoure des toreadors est grande. Aucuns taureaux épouvantables éprouvèrent bien celle des plus hardis et des meilleurs. Ils crevèrent de leurs cornes plusieurs beaux chevaux; quand les chevaux sont tués, il faut que les seigneurs combattent à pied, l'épée à la main, contre ces bêtes furieuses. Je n'aurois jamais fait, si je voulois vous conter tout ce qui s'observe dans ces combats, qui ont bien des rapports avec ceux des anciens Maures et Grenadins. Les dames, dont les amans combattent, et qui sont présentes, doivent bien mal passer leur temps, pour peu qu'elles les aiment véritablement. Les seigneurs, qui doivent combattre, ont chacun cent hommes vêtus de leurs livrées. C'est une chose qui mériteroit de vous être contée plus en détail. Si j'étois roi d'Espagne, jamais on n'en reverroit.
Je crois vous avoir déjà parlé de la dévotion de ce pays. Nous avons été obligés, de peur d'y scandaliser séculiers et religieux, de manger de la viande le samedi. Nous ne mangeons point ce jour-là ce qu'on appelle petits pieds. C'est une médiocre mortification. Cela est partout, en Espagne.
Toutes les dames, généralement parlant, sont honnêtes et civiles, sur-tout celles qui ont un peu voyagé avec leurs maris.
Le roi d'Espagne hait parfaitement François et Françoises.
Il y a ici un François dont je vous ai parlé: c'est le comte de Charmy, qui mériteroit de vivre dans son pays, et de ne pas finir ses jours dans celui-ci. Nous le voyons peu; mais ce que j'en connois est d'un homme sage et de bon sens. Nous voyons encore moins le marquis de Flamarens. J'ai assez bonne opinion de lui pour croire qu'il s'ennuie beaucoup. Adieu, madame.
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