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LETTRES DE MMES. DE VILLARS, DE COULANGES, ET DE LA FAYETTE; DE NINON DE L'ENCLOS, ET DE MADEMOISELLE AÏSSÉ; Accompagnées de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de la Coquette Vengée, par Ninon de l'Enclos.
SECONDE ÉDITION.
TOME PREMIER
LETTRES DE MADAME DE VILLARS, A MADAME DE COULANGES
LETTRE XVII

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Madrid, 25 juillet 1680.

Je n'ai pas eu le courage d'assister à cette horrible exécution des Juifs. Ce fut un affreux spectacle, selon ce que j'en ai entendu dire; mais, pour la semaine du jugement, il fallut bien y être, à moins de bonnes attestations de médecins d'être à l'extrémité; car autrement on eût passé pour hérétique. On trouve même très-mauvais que je ne parusse pas me divertir tout-à-fait de ce qui s'y passoit. Mais ce qu'on a vu exercer de cruautés à la mort de ces misérables, c'est ce qu'on ne vous peut décrire.

Le marquis de Grana fit lundi son entrée. Les Espagnols s'attendoient à voir plus de magnificence. Pour moi, je trouve qu'il a bien fait de n'en pas faire davantage. C'est un très-galant homme, et qui fait toute la dépense qu'il peut. Il est effrayé de tout l'argent qu'il faut ici. Il en touche cependant beaucoup. Il a quinze cents pistoles de pension, payées par le roi d'Espagne, double franchise, et sa maison payée, sans les appointemens que lui donne l'Empereur, son maître. Il a pour le nôtre une grande estime et un grand respect; mais il mêle parmi cela certaines choses dans ses conversations avec les gens de cette cour sur les conquêtes du roi, qui marquent assez de vivacité. Je vois souvent sa femme au palais; elle a bien de l'esprit. J'irois bien plus souvent chez elle, les voir l'un et l'autre, si je ne craignois de leur faire de la peine, par les airs qu'il faut qu'ils observent ici. Le marquis de Grana est un des plus gros hommes que l'on voie, mais de très-bonne mine. Notre jeune reine, pour être heureuse, auroit grand besoin d'avoir du goût pour la solitude dans son triste palais, où elle veut que j'aille souvent griller de chaud avec elle. Il est violent le chaud qu'il fait ici. Il est vrai que, chez nous, nous n'en souffrons pas beaucoup. Nous sommes dans un appartement bas, délicieux pour cette saison. La reine a été ces jours passés deux fois incognito avec le roi, se promener à dix heures du soir dans cette rivière poudreuse. Elle me le fit savoir, afin que nous nous y trouvassions, et me donna un signe pour reconnoître son carrosse, et moi un pour reconnoître le mien. Si vous saviez ce que c'est que ce plaisir! On croit pourtant que la reine en doit de reste. Adieu, ma chère madame, c'en est un bien sensible pour moi de croire, comme je fais, que vous m'aimez véritablement. Si M. de Coulanges, selon les souhaits de M. de Schomberg, et par les pas qu'il a faits à Fontainebleau, eût été envoyé ambassadeur en Portugal, nous l'aurions gardé à son passage par Madrid, tout autant qu'il nous auroit été possible.

Si vous n'avez encore ni donné ni rompu ces petits boucaro, que je vous ai envoyés, dont le dedans étoit blanc, conservez-les; car ce blanc est une composition de bézoard.

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