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L y avait de deux mois que Jeanne Poisson, devenue déjà, grâce à ses beaux yeux, madame Lenormand d’Étoiles, poursuivait l’héritage vacant de la duchesse de Châteauroux. Après s’être montrée en mille occasions au roi Louis XV, après avoir suivi toutes les chasses dans les costumes les plus engageants, après être venue au grand couvert se faire écraser les pieds sous la table royale par dix concurrentes jalouses de sa beauté, la favorite eu expectative avait fini par s’introduire à Versailles.

Déjà le roi commençait à la remarquer et à lui adresser la parole; la reine se voyait enlever le court empire qu’elle avait à peine ressaisi, et les courtisans empressés de saluer l’aurore du nouvel astre, ouvraient des paris sur l’époque prochaine de son avénement. Il ne fallait pour cela qu’une de ces occasions indirectes, dans lesquelles le galant monarque jetait implicitement le mouchoir.

Résolue à créer à tout prix cette occasion décisive, et à mettre les roués de son côté par un trait digne d’eux-mêmes, madame d’Étioles imagina de donner au roi l’exemple de l’audace, en mettant en avant son propre et infortuné mari, et en bravant Marie Leczinska devant toute la cour de Versailles.

Avant de s’offenser ouvertement de la grandeur inattendue de sa moitié, le bonhomme d’Étioles, comme l’appelle Soulavie, fut longtemps dans la plus douce et la plus commode ignorance. A cette époque, il ne savait rien encore; et ne voyant dans les démarches de la future marquise qu’une ambition naturelle de se pousser à la cour, il se prêtait à ces démarches, loin de s’y opposer, et les secondait même naïvement de toute son influence. Madame d’Étioles n’eut donc pas de peine à lui faire jouer le rôle qu’elle avait arrangé; et voici comment le digne gentilhomme, sans s’en douter le moins du monde, mit au roi le marché à la main, touchant son honneur et celui de sa femme.

C’était au grand lever de la reine, le14août, veille de sa fête. Ce jour-là, Louis XV recevait chez Marie Leczinska; et toutes les personnes présentées à la cour avaient leur entrée dans les appartements. M. et madame d’Étioles s’y trouvèrent des premiers, et Jeanne Poisson, comme toutes les dames, baisa la main de la reine de France... Cette inconvenance était couverte par l’étiquette, de sorte que le roi seul se permit de sourire. Tous les assistants d’ailleurs n’en pensèrent pas moins, et chacun remarqua le regard farouche échangé par les deux rivales. Mais l’attention des moins clairvoyants fut excitée au plus haut degré, lorsque l’on vit M. d’Étioles présenter un placet à Louis XV... Au coup d’œil rapide et intéressé, dont la femme suivait le geste du mari, on sentit que quelque dessein profond se cachait sous cette simple démarche; que le roi allait être mis en demeure de se déclarer mari constant ou infidèle.–La reine seule, dans sa bonne foi, ne soupçonna rien de cette nouvelle attaque, et continua de causer à droite et à gauche, tandis que tout le monde considérait Louis XV.

Il prit lentement le placet des mains de M. d’Étioles, porta un regard imperceptible de celui-ci à son épouse, s’assura de la naïveté parfaite de l’un et de l’intention formelle de l’autre, réfléchit lui-même un instant s’il deviendrait complice d’un scandale, et, décidé à commettre la faute, sans en prendre la responsabilité, rendit le placet au pétitionnaire, en le priant d’en faire la lecture.

Après avoir pâli de terreur, Jeanne Poisson devint rouge de joie. L’attente générale se manifesta par un frémissement involontaire, et Marie Leczinska elle-même se prit à observer ce qui se passait...

M d’Étioles ouvrit le papier qu’il avait remis plié au roi et lut d’une voix imperturbable une requête divisée en deux parties. Dans la première, il sollicitait des lettres de haute naissance et une place de surintendant des jardins pour le jeune Poisson, frère de madame d’Étioles. Dans la seconde, il réclamait, pour madame d’Étioles elle-même, le titre honorifique de dame du palais de la reine.

Dame du palais de la reine! Cela était aussi clair que hardi, et personne ne pouvait s’y méprendre; pas même l’honnête Marie Leczinska, qui porta vivement la main à son cœur... Celui que l’énigme intéressait le plus personnellement, restait donc le seul qui n’en eût pas le mot; et, entre l’envie d’éclater de rire à la figure unique de ce bon M. d’Étioles, et l’impatience de voir la conclusion d’une aventure si délicate et si scabreuse, chacun hésitait, comme le roi lui-même, lorsque la reine se chargea de trancher la question.

«Monsieur d’Étioles, dit-elle solennellement, en adressant à Jeanne Poisson un regard d’indignation douloureuse, S.M. est parfaitement libre d’accorder à votre beau-frère la surintendance des jardins royaux. Quant au titre de dame du palais, c’est moi qui ai l’habitude d’en disposer, et, à moins qu’une volonté supérieure ne contraigne pour la première fois la mienne, vous n’avez qu’à dire à madame d’Étioles qu’elle peut renoncer à ses prétentions.»

Ayant parlé de la sorte, la reine se retira, au mépris des lois sacrées de l’étiquette, laissant les acteurs et, les témoins de cette scène également embarrassés de leur contenance. Et bien lui prit de disparaître ainsi, dans l’intérêt de sa propre dignité, car à peine la porte de sa chambre venait-elle de se refermer sur elle, qu’on entendit ce court effort de courage se perdre en un sanglot de douleur....

Le roi lit un geste de dépit qui ne promettait rien de consolant à son auguste épouse, et pendant qu’il créait une prompte diversion à cet incident sans exemple à la cour, Jeanne Poisson se retira fièrement en lui lançant un regard provocateur.

«Je sais maintenant que vous m’aimez, voulait dire ce regard qui fut compris. Eh bien! vous pourrez me nommer votre favorite, quand je serai dame du palais de la reine.»

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