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II

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Madame d’Étioles sera-t-elle dame du palais, et son frère aura-t-il la surintendance des jardins? Voilà ce qu’on se demandait, de bouche en bouche, à travers les salons de l’OEil-de-Boeuf. C’est aussi ce que se disait Louis XV, combattu entre la passion et le devoir; et la jeune reine s’adressait la même question, en redoublant de soins pour captiver son mari. Les courtisans les plus étrangers à l’intrigue comprenaient l’importance décisive de cette affaire, et l’issue en était attendue de tout le monde avec une impatience impossible à décrire.

«Serai-je victorieuse ou vaincue?» se disait de son côté madame d’Étioles.

Et, aussi fière à l’égard du roi qu’elle avait été soumise auparavant, elle voulait à son tour être courtisée par lui et ne cédait pas une ligne de ses prétentions. Outre les conséquences majeures qu’elle voyait à un premier triomphe pour devenir ensuite maitresse de Louis XV, dans la double acception du mot, elle avait résolu de se venger de Marie Leczinska, comme si c’eût été elle-même qui fût offensée...

Plus d’une semaine se passa dans cette attente, sans qu’aucun incident vînt en annoncer le terme. Que firent, pendant cet intervalle, la reine et madame d’Étioles? Combien la première versa-t-elle de pieuses larmes? et quelles manœuvres galantes imagina la seconde? C’est ce que Louis XV seul put connaître sans doute, et ce mystère est un de ceux que l’histoire dédaigne, à tort, d’approfondir. Mais, quoi qu’il en soit de l’intrigue, voici comment advint le dénouement.

C’était un matin, après le déjeuner de la reine. Elle se tenait, avec sa cour particulière, dans un pavillon de son petit appartement, où elle attendait, pour les peindre au pastel, des fleurs qu’on avait l’habitude de lui apporter. Les fleurs tardaient à venir, et la royale artiste s’impatientait, quand tout à coup la porte s’ouvrit et Mme d’Étioles parut dans le pavillon.

Marie Leczinska tressaillit de surprise, au point de laisser échapper sa palette, et toisa de la tête aux pieds sa rivale, d’un air qui eût fait reculer toute autre femme. Mais Jeanne Poisson, loin de reculer, se laissa considérer fort tranquillement, semblant dire à la reine par sa contenance:

«Je suis plus belle que vous, et je ne crains l’examen de personne.»

Elle était admirable, en effet, et portait une toilette qui expliquait sa démarche. Vêtue moitié en dame de la cour et moitié en bergère de Watteau, elle avait ses grands cheveux bouclés sur les épaules; ses pieds mignons dans des sandales à bandelettes, et soutenait de ses beaux bras sans gants, une grande corbeille remplie de fleurs

«Madame, dit-elle à la reine en lui présentant son riant cadeau, je viens de savoir que Votre Majesté attendait ces fleurs, et j’ai pris la liberté de les lui apporter moi-même.»

Au ton dont furent prononcés ces mots, un funeste pressentiment traversa le cœur de Marie Leczinska. Elle contint toutefois son émotion de peur de donner un nouvel avantage à son ennemie, et cherchant un moyen de la remettre à sa place, tout en tenant son regard fixé sur elle:

«Si c’est pour vous montrer que vous êtes venue, madame, lui répondit-elle avec une ironie amère, ma dignité vous pardonne dans l’intérêt de mes yeux; car vous êtes véritablement belle à voir.

«Restez ainsi, reprit-elle vivement, en lui défendant du geste de poser sa corbeille. Puisque nous sommes dans mon atelier de peinture, laissez-vous contempler à loisir comme le plus parfait modèle. Toutes ces dames me sauront gré, sans doute, du plaisir qu’elles auront partagé avec moi.»

Un assentiment général, non moins sanglant que les paroles de la reine, vint prouver à Mme d’Étioles qu’elle était seule contre vingt...

S’animant cependant à la lutte, sans rien perdre de son sang-froid, elle essaya de reprendre la parole, mais elle se vit à l’instant même interrompue.

Après avoir trouvé l’arme qui pouvait blesser son ennemie, la timide Marie Leczinska n’en voulait par perdre un seul coup, et son courage était aveugle et désespéré, parce qu’elle se sentait incapable d’en avoir deux fois. Continuant donc d’analyser en détail, comme une chose matérielle, ou comme un objet d’art, et réduisant ainsi en même temps à leur commune valeur et le caprice galant de Louis XV, et l’insolente beauté qui s’affichait devant lui:

«Voyez, mesdames, les yeux magnifiques! poursuivit-elle d’une voix altière, en indiquant Mme d’Étioles; que ces longs cils ont de velouté, et que l’arc de ces sourcils est irréprochable! Y a-t-il rien de plus éclatant que ces joues, et les lignes de ce menton ne sont-elles pas sans pareilles? et cette taille..., quelle finesse! et cette pose quelle grâce magique!»

Pour la seconde fois, Jeanne Poisson tenta de répondre; pour la seconde fois, la reine lui imposa silence.

«Cette corbeille de fleurs est délicieuse sur vos deux bras! lui dit-elle, en faisant allusion à sa fatigue cruelle; je vous engage, madame, à vous faire peindre sous ce costume et dans cette attitude. Vous ne pourriez en imaginer d’autres qui fussent aussi fort à votre avantage, et on ne saurait se lasser, je vous assure, de vous admirer en ce charmant état.»

Malgré son aplomb et sa hardiesse, Mme d’Étioles eût perdu contenance si elle n’eût été sûre d’avoir sa revanche, en rendant la douleur pour la honte. Elle n’avait qu’un mot, à dire, et il suffisait d’en trouver Mais ce mot la reine le sentait venir, et une terreur lui donnait la force de l’écarter. Sai lus prétextes qui s’offraient à son esprit, elle interrompit Jeanne Poisson pour la troisième fois:

«Est-il vrai, madame, lui demanda-t-elle brusquement, que vous joignez aux charmes extérieurs qui font notre surprise, le don précieux d’une voix plus ravissante encore?

D’augustes appréciateurs, en effet, daignent trouver ma voix jolie, répondit Mme Lenormand, heureuse d’avoir enfin la parole, et appuyant sur chaque syllabe d’une manière très-significative.»

Poursuivant par ce chemin direct, elle allait arriver enfin à sa vengeance, lorsque, jetant une nouvelle interruption au travers de sa première phrase, la reine imagina de l’empêcher de parler en la priant de lui chanter un air.

«Chantez comme vous êtes-là, lui dit-elle, décidée à la pousser à bout, afin que nous puissions jouir à la fois parles yeux et par les oreilles.»

Une invitation semblable, faite sur le ton du commandement, était le comble de l’humiliation; et, toute cuirassée qu’elle était contre la honte, Mme d’Etioles sentit chanceler son audace et fut sur le point d’abandonner la partie. Mais tout à coup une inspiration lui vint, une de ces inspirations assassines que le ressentiment n’inspire qu’aux femmes. S’emparant, pour courir à son but, du moyen même qui tendait à l’en détourner, elle se renversa fièrement en arrière, en tenant toujours sa corbeille sur ses bras, fixa sur le front auguste de la reine un regard perçant comme une flèche, donna à sa physionomie entière l’expression de la joie la plus accablante, et déployant toute sa voix, qui était eu effet magnifique, entonna d’un air triomphant le fameux monologue d’Armide:

Enfin, il est en ma puissance, etc.

«Assez! assez! fit Marie Leczinska, frappée au cœur par cette affreuse allégorie....»

La favorite, vengée, s’arrêta frémissante, et regarda la reine pâle et muette, autour de laquelle s’empressaient toutes ses femmes

«Vous êtes encore là, madame? dit Marie Leczinska, en revenant à elle; attendez-vous donc que je vous ordonne de sortir, et que je vous fasse châtier pour avoir paru ainsi devant moi!....

–Je ne mérite aucun châtiment de Votre Majesté, répondit Mme d’Étioles avec une feinte soumission. J’ai apporté ces fleurs de la part de mon frère, M. Poisson de Marigny surintendant des jardins du roi, et je me suis cru le droit de me présenter ici en ma nouvelle qualité de dame du palais de la reine. Quant au reste, je n’ai fait qu’obéir à Votre Majesté, et je lui demande mille fois pardon, si j’ai eu le malheur de lui être désagréable.

–C’est bien, dit la royale victime, en congédiant, d’un signe, son bourreau satisfait.»

Et dès que Mme d’Étioles eut franchi la porte du pavillon, la reine tomba évanouie dans les bras de ses dames d’honneur...

Toute la cour sut, une heure après, que Jeanne Poisson était, depuis la veille, la maîtresse de Louis XV. M. d’Étioles seul ignorait encore cette vérité, et il comprit seulement que sa femme ne lui appartenait plus, le jour où elle quitta son nom pour celui de marquise de Pompadour.

Marie Leczinska dévora son nouvel affront en silence, et pria Dieu de pardonner à ceux qui l’avaient offensée.

PITRE-CHEVALIER.

La Fauvette

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