Читать книгу La Fauvette - Diverse Auteurs - Страница 9

LA NUIT D’UN BAL.

Оглавление

Table des matières


E me parlez pas, disait le comte Valter, de cette folle idée qu’a eue la philanthropie européenne d’aller ouvrir les portes des retraites où les femmes d’Orient passaient une vie d’oisiveté voluptueuse, pour leur donner un faux semblant de liberté. Là seulement on pouvait aimer avec bonheur; la femme de votre choix n’avait été créée par le ciel que pour vous; elle ne livrait pas ses traits à tous les rayons du jour, ses formes charmantes à tous les souffles de l’hémisphère... Dans la patrie des parfums, on savait que l’essence précieuse voit s’évaporer au grand air ses plus suaves émanations.

Tout cela était erroné, paradoxal, contraire aux saines doctrines et à la liberté des femmes que, selon nous, on ne saurait trop étendre. Mais le comte Valter était si beau, si séduisant! Appuyé contre le piédestal d’un buste de Chateaubriand, en face d’une causeuse sur laquelle étaient placées deux femmes, il y avait dans sa pose tant de charme et d’élégance!–On excusait le paradoxe en faveur de la bouche si pure, si doucement souriante qui le prononçait;–on oubliait la mauvaise tendance des idées en regardant ce front si noble, si élevé qu’il aurait pu contenir un rayon de l’esprit divin,–et je ne sais ce qu’on n’aurait point pardonné en faveur de ses yeux où se réunissaient toutes les puissances et toutes les séductions.

–Mon frère, répondit une des deux dames, nous ne pouvons aujourd’hui passer notre temps en futilités et discuter vos propositions philosophiques, nous avons de graves intérêts à traiter. Je donne demain un bal déguisé, je veux que ma chère Léonie (à ce nom, ses yeux désignèrent la femme assise à côté d’elle) choisisse un costume qui la fasse paraître dans tout son éclat.

–Oh oui! dit Léonie, prenons souvent des costumes étrangers, allons aux bals travestis... Il est pénible d’être toujours soi, d’avoir toujours le même nom, la même vie, les mêmes désirs; transportons-nous parfois dans une autre existence: soyons, pour une nuit, dame châtelaine, fraîche Suissesse ou pauvre Tyrolienne, avec d’autres intérêts, d’autres espérances, d’autres amours.»

Valter, après avoir répondu d’une manière flatteuse à la personne qui venait de s’exprimer ainsi, s’inclina et laissa ces dames livrées à leur sérieux entretien.

Quand Léonie fut de retour chez elle, elle s’enferma dans son parloir, jeta à la hâte le voile, le châle, les fourrures, qui l’oppressaient, appuya sa tète dans ses mains, et tomba dans une profonde méditation.

Était-ce le choix d’un costume qui l’absorbait a ce point?... Elle portait quelquefois la main à son front, comme pour étreindre une pensée brûlante qui la possédait, d’autres fois à son cœur, comme si ses élans fussent venus l’enlever à elle-même; cependant, c’était sa toilette du lendemain qui l’agitait ainsi; elle venait de décider qu’elle prendrait un costume de femme orientale. Oh! c’est que ce turban qu’elle allait ceindre était décisif dans sa destinée! Prendre le costume de la femme que Valter avait désignée dans ses préférences, c’était lui dire qu’on acceptait son amour, c’était l’aveu qu’il sollicitait depuis longtemps, et qu’elle avait toujours refusé, elle, femme respectueusement attachée à son mari et à ses devoirs... C’est que, en sentant tout le danger de cet aveu, elle s’y décidait avec remords, car c’était sa première faute, mais avec un entraînement irrésistible, car c’était son premier bonheur.

Elle sonna et commanda, pour le lendemain, un costume oriental complet. Alors, que ce fut riche et somptueux ce qui se présenta pour sa parure! Voici les voiles, les cachemires où se sont usées les vies de tant d’hommes, où l’industrie a mis son âme et le travail, ses bras; voici les pierreries pour lesquelles, dans le sein des mines et de l’Océan, ont été essuyés tant de fatigues et de dangers. A voir tous les ornements, tous les trésors qu’une femme accumule sur elle dans une heure de fête, il semble qu’on l’entende dire: «Je voudrais que toutes «les richesses du monde fussent une seule perle pour «m’en parer.»

La sœur de Léonie, la jolie Marylla, qui venait de prendre sa dix-huitième année, et une jeune femme de chambre l’aidaient dans sa toilette. Si la belle sultane eût été moins absorbée par l’importance du costume qu’elle revêtait et les tendres pressentiments qui s’emparaient déjà de son âme, elle eût facilement remarqué le trouble et la tristesse qui, dans ce moment, comme dans les jours précédents, régnaient sur le visage de sa sœur, de cette enfant moins occupée en cherchant elle-même dans les cartons et les écrins, à composer la toilette orientale, qu’à cacher les soucis de son jeune front.

Marylla allait aussi au bal, mais son âge ne lui permettant guère le travestissement, elle mit une robe de mousseline de l’Inde, et une demi-couronne de camélias blancs dans ses cheveux.

Cette nuit fut une des plus brillantes qui signalèrent, dans ce mois-là, le luxe de la haute aristocratie parisienne. Il se trouvait là beaucoup de femmes aux parures millionnaires, mais aucune ne fut aussi admirée que Léonie.... Car il y a une extrême différence entre la femme qui se pare par orgueil, et celle qui se pare avec le désir de plaire. Dans les vêtements de celle-ci, tout devient grâce et mollesse; les pierreries perdent la dure aridité de leur valeur intrinsèque, elles ne sont plus là que comme séduction; les tissus s’assouplissent et se drapent plus gracieusement; ils semblent demander, outre les belles qualités qu’ils possèdent, un charme particulier et tout irrésistible pour fasciner les regards.

Mais ce qu’il y avait de plus admirable dans cette fête, de plus incontestablement supérieur, était le comte Valter. Nul ne posséda jamais à ce point la véritable beauté, la beauté de l’âme: étoile qui illumine de sa divine clarte le nuage qui la voile à peine.

La surprise et le bonheur qu’il avait éprouvés en voyant Léonie pour ainsi dire parée de ses couleurs, acceptant son amour et semblant y répondre, redoublaient sa grâce parfaite et les mille charmes de son esprit.

Toute la nuit, il ne fut occupé que d’elle et de Marylla.

La maîtresse du lieu ayant imaginé, ce soir-là, de substituer aux bouquets placés dans des corbeilles pour être offerts aux danseuses, des fleurs isolées, mais d’une rareté et d’une fraîcheur si parfaite, que chacune valait seule le plus riche bouquet, Valter trouva dans les vases deux camélias absolument pareils, et les offrit aux deux sœurs. Lorsque Marylla reçut le sien, sa main tremblait, et elle pâlit légèrement. Déjà coiffée d’une guirlande de camélia, cette fleur, placée à son corsage, complétait sa parure, comme l’amour de celui qui l’offrait eût complété son âme: cette jeune âme tendre, timide à son épanouissement, et souffrante de rester ainsi faible et penchée, sans appui.

A la fin du bal, Valter ne quitta presque plus Léonie. Les mères, les maris placés au jeu, ou légèrement assoupis par l’heure avancée, laissaient un peu reposer la surveillance publique: à chaque quadrille, à chaque figure, il sollicitait un entretien imploré depuis longtemps, et toujours en vain. Léonie résistait encore. Mais à voir tout le monde admirer cet homme qu’elle admirait tant elle-même, la séduction devint trop forte; au moment où elle allait le quitter, elle répondit à son dernier regard, plus suppliant que les autres:

«Demain, à quatre heures.»

Dès qu’elle fut déshabillée et seule, elle se jeta dans un fauteuil, et resta abattue sous le poids d’une émotion violente.

Elle sentait toutes les conséquences du pas qu’elle venait de faire: l’inquiétude, la terreur, l’espérance, les frémissements qui la saisissaient à l’idée du lendemain, où elle allait entendre sonner quatre heures! remplirent les derniers moments de la nuit. Au point du jour, elle s’approcha de la croisée pour rafraîchir ses joues brûlantes à l’air du matin. Une portière mal fermée qui donnait dans la chambre de Marylla, lui laissa voir la jeune fille à genoux près de son lit, sur lequel elle avait posé le camélia donné par Valter, et qu’elle couvrait de larmes et de baisers... Léonie tressaillit et devina tout en un instant, car elle les connaissait si bien ces larmes de passion, ces élans, ces prières à une idole terrestre, ces baisers prodigués à une image, ces regards qui s’élèvent au ciel en cherchant l’objet aimé!... Elle devina tout. Les assiduités de Valter près d’elle avaient été funestes à la jeune fille...

Léonie passa la matinée à méditer et prier.

Un grand sacrifice s’accomplit en ce lieu, à cette heure du matin, un de ces sacrifices qui n’ont pas de nom, ni de récompense ici-bas.

A quatre heures, lorsque Valter vint la voir plein de bonheur et d’espérance, Léonie employa toutes les ressources de son esprit ingénieux pour lui persuader qu’elle n’avait consenti à cette entrevue que pour lui parler d’une affaire importante. Elle avait osé, ajouta-t-elle, penser à établir le frère de sa meilleure amie et (sa position rendant convenable cette ouverture) elle lui parla de Marylla comme d’une jeune fille dont le nom, la naissance, la brillante fortune offraient tous les avantages réunis à celui qui en deviendrait l’époux.

Valter refusa d’abord, mais au bout de quelques jours, touché des vives instances de Léonie, il se laissa entraîner, et donna son consentement avec cette extrême facilité qu’ont les hommes à transporter leurs affections d’un objet à l’autre, se croyant presque constants parce qu’ils ne cessent pas d’aimer.

Il épousa l’heureuse Marylla. Léonie était, très-souffrante et passa le temps des noces dans une terre.

Mais si vous aviez vu, quelques mois après, quelle sérénité dans son regard, quelle résignation dans son sourire, quelle satisfaction de l’âme répandue sur tous ses traits!–Un soir, dans son salon, on parlait des moments dangereux à passer dans la vie.

–Je crois, dit-elle, qu’il est plus difficile d’éviter le mal que de faire le bien: une femme qui n’aurait pas la force négative de résister à son amant, trouverait peut-être le courage de le sacrifier à une autre: cet effort, doublement pénible lui est plus aisé à accomplir, parce qu’elle voit un résultat digne de tenter sa générosité, et parce qu’alors elle donne l’enthousiasme du sacrifice à son cœur qui demandait l’amour.

Clémence ROBERT.

La Fauvette

Подняться наверх