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David-Victor de Belly de Bussy

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FILS d’un chevalier de Saint-Louis, lieutenant en second, puis lieutenant au régiment de La Fère, David-Victor de Belly de Bussy avait loyalement servi dans les armées du Roi jusqu’en 1792. Il quitte alors Beaurieux, où il était né, abandonne la vallée de l’Aisne et va rejoindre un rassemblement d’officiers réunis à Ostende. Prenant part à la campagne de Hollande, il s’aventura ensuite à Quiberon. Il en réchappa et vint finalement se terrer en Prusse. Sachant qu’il figurait sur la liste des émigrés et qu’il ne pouvait rentrer en France, il s’improvisa patissier, loua boutique et fit du commerce. Bussy attendit jusqu’en 1801 pour rentrer à Beaurieux et y retrouver les survivants des siens. Tout à la joie de rentrer dans son home, il arpente à nouveau ses terres et courre le sanglier dans les bois de Craonne, sans autre ambition et ne songeant point à se prévaloir de certain séjour fait autrefois au régiment de La Fère, avec un sous-lieutenant d’artillerie à l’heure présente le maître de l’Europe. Arrive 1814; les armées alliées s’avançent sur Paris et l’Empereur avec ses troupes, bien inférieures en nombre, multipliait ses savantes manœuvres pour séparer les corps alliés et les culbuter.

Dans la nuit du 4 au 5 mars, l’Empereur apprenait à Fismes, où il se trouvait, la reddition de Soissons. Devant cette catastrophe, Napoléon prend de nouvelles dispositions et, le 5 mars, toute l’armée se dirigeait sur Bercy-au-Bac pour y passer l’Aisne et marcher sur Laon.

A Beaurieux, quoique en dehors de la grand’route, on était instruit de ce voisinage. Les patrouilles, les estafettes, avaient trahi la présence de l’armée. Le 6 mars, au soir, on entendait la fusillade pétiller sur le plateau de Craonne. A la tombée de la nuit elle cessa.

Ce même jour, un officier polonais, attaché à l’Etat-Major impérial, était chargé par le Maréchal Berthier d’aller quérir le Maire de Beaurieux et de l’amener à l’Empereur; de Bussy passait pour connaître à merveille le pays; on le ferait parler.

Escorté de dix lanciers de la Garde, Joseph Graboski arrive à Beaurieux et trouve des Cosaques en train de piller la cave. L’envoyé de l’Empereur fait cueillir tous ces pillards et met le maître de céans au courant: L’Empereur est tout près d’ici, à Corbeny. On l’a informé que le Maire de Beaurieux connaissait bien le pays; il a désiré le voir sur le champ. La nuit est glacée, il gèle à pierre fendre: Bussy n’hésite pas à obéir. Le temps d’enfiler un vêtement, de faire seller Cocote, sa vieille jument, d’embrasser les siens, et le voilà en selle. De son village à Corbeny, c’est une chevauchée d’une heure environ. Que de pensées, que de souvenirs lui traversent l’esprit durant cette route. Trente années se sont écoulées depuis le temps où Napoléon de Buonaparte et lui recevaient à La Fère leur brevet de lieutenant, endossaient l’habit bleu de roi à parements rouges, tâtaient de la vie de garnison à Valence, puis à Auxonne; et cette fameuse dispute où ils avaient failli en venir aux mains!

Bussy apprenait à sonner de la trompe et s’y exerçait de son mieux. Bonaparte, habitant une chambre au-dessus, finit par s’impatienter de ses fausses notes qui lui déchiraient le tympan et le troublaient dans son travail. A ses injonctions, Bussy oppose un refus très net: le Corse s’emporte, fait du tapage, provoque son camarade; des amis s’interposent, et une sorte de tribunal d’honneur, qui fonctionnait au régiment sous le titre de la Calotte, admoneste les deux jeunes gens et les renvoie calmés.

La masse sombre de Corbeny apparaît dans la nuit. Bussy se fait annoncer à l’aide de camp de service, le général Drouot; dix minutes après, il est introduit dans le cabinet de l’Empereur et trouve ce dernier entouré de ses cartes Cassini, sur lesquelles il pointe des repères et relève les distances.

A peine l’ancien émigré a-t-il rappelé sa qualité d’officier d’artillerie que Napoléon, avec son infaillible mémoire, pique au vif dans ses souvenirs, revoit La Fère, ses camarades, se remémore la querelle de jadis et l’interpelle:

— Eh bien! Bussy, sonnez-vous toujours du cor?

— Oui, Sire, répond-il, et toujours aussi faux.

La connaissance est faite. Il n’en faut pas davantage pour mettre à l’aise le Maire de Beaurieux. A la lueur des chandelles, la conversation se poursuit. En deux mots, Napoléon instruit Bussy de la situation.

— Connaissez-vous bien le plateau de Craonne. ajoute Napoléon, après avoir exposé son plan.

— Parbleu, Sire, c’est mon terrain de chasse.

Et Bussy, qui a arpenté cent fois ces champs et ces bois avec le coup d’œil du chasseur, reprend, point par point le projet de l’Empereur, le critique, lui démontre le danger de faire arriver les bataillons de Ney sous le feu de l’artillerie française, établie sur le petit plateau, la nécessité de les lancer à l’attaque plus loin, vers le village d’Aillés. L’assurance de son camarade d’autrefois impressionne Napoléon. Il saisit l’exactitude des renseignements de Bussy; il multiplie ses questions et ne congédie son interlocuteur qu’après avoir donné de nouveaux ordres pour le lendemain.

Bussy, après avoir passé le reste de la nuit au quartier général, enfourchait à l’aube Coco, et, par des sentiers détournés à lui seul connus, franchissait la ligne des avant-postes, explorait de son mieux le grand plateau, assistait à la formation des Russes postés en échelons au delà d’Hurtebise. Quand il eut achevé sa reconnaissance, il s’en vint rejoindre l’Empereur au Moulin-de-Pierre.

A la vue des régiments qui entraient en ligne, des batteries qui prenaient position, au bruit de la fusillade dans la vallée de l’Ailette, Bussy frémissait. La bataille s’engageait partout. Rien ne le séparait plus de l’Empereur.

Raconter ce qu’il advint de lui dans cette journée, ce serait refaire l’histoire de la bataille de Craonne.

Aux côtés de l’Empereur, monté sur sa jument, Bussy, avec son habit de velours vert, faisait tache dans l’état-major chamarré, au milieu des généraux et des aides de camp. Entre deux attaques, Napoléon l’invitait à partager son frugal déjeuner, puis, il reprenait son rôle de guide, assistant à toutes les phases du combat. Dans les dernières heures de l’après-midi, après avoir forcé l’isthme sur lequel est assise la ferme d’Hurtebise, les Français poussaient l’ennemi sur la haute croupe du grand plateau et le refoulaient impétueusement pendant quinze kilomètres.

A Bussy, revenait incontestablement une part du succès de la journée. Le guide infatigable avait prodigué ses avis à l’Empereur, il l’avait renseigné d’heure en heure. Napoléon refusa de le laisser partir.

Après Craonne, ce furent les deux journées de Laon, puis Arcis-sur-Aube, puis La Fère-Champenoise.

Le 11 au matin, le prince de Neufchâtel tendait à Bussy un pli aux armes impériales, son brevet de colonel d’artillerie. Pour un avancement rapide, c’en était un. L’ancien officier de La Fère en tut ému jusqu’aux larmes. Il renonça à regagner Beaurieux, fit le sacrifice des douceurs du foyer, et, par les routes embourbées, monté sur Coco, qui trouvait souvent l’étape exagérée, suivit l’Empereur et sa fortune.

Dans la fièvre des poursuites, des retraites, des volte-faces, il n’arrivait point à se faire faire d’uniforme. Aussi, au début de l’action, quand l’état-major impérial apparaissait sur le front des troupes, une exclamation joyeuse partait des rangs: «Voilà le pékin de l’Empereur», et l’on saluait comme un heureux présage la présence de Coco et de son maître.

Le retour à Beaurieux, après Fontainebleau, fut morne. Au château, depuis le départ du chef de famille, les cosaques avaient reparu, séjourné et laissé de leurs traces. Bussy se fit narrer le passe-temps de ce chef de stonia, qui s’était fait ouvrir toutes grandes les croisées de la maison et de la cour, se lançant à cheval, franchissant vestibule et salon, pour déboucher au grand galop sur la terrasse, à la joie de sa troupe passableblement avinée.

En 1815, Bussy répondait des premiers à l’appel du maître. Il est aide de camp de l’Empereur à Waterloo.

La débâcle accomplie, Bussy, qui avait pris les devants sur le chemin de Paris, afin de préparer les relais, se vit arrêté aux environs de Laon par une chute de cheval; il lui fallut renoncer à accompagner l’Empereur. Ils se firent leurs adieux dans une cour d’auberge, à Vaux-sous-Laon; quelques minutes après, Napoléon filait vers Paris, dans une calèche empruntée par son fidèle Bussy à un notable de Laon.

Cette fois, c’est le retour définitif à Beaurieux.

L’honnête gentilhomme retrouvait, pour ne plus les quitter, sa femme, ses bois, ses chiens.

Tout près du village, c’étaient Craonne, Hurtebise, le Moulin-de-Pierre, autant de pèlerinages vers lesquels venait méditer le guide de l’Empereur. Car la vie lui fut douce, il mourut octogénaire, le 2 janvier 1848.

Un siècle de vénerie dans le nord de la France

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