Читать книгу Anselme Adorne, Sire de Corthuy, Pèlerin De Terre-Sainte - Edmond De La Coste - Страница 18
Le bon chevalier.
ОглавлениеBanquet de l'hôtel de ville. — La lance conquise. — Isabelle de Portugal et le comte de Charolois à la maison de Jérusalem. — Combat. — Le sire de Ravesteyn. — Joute de l'étang de Male. — Prouesses et portrait de Jacques de Lalain, le bon chevalier. — Corneille de Bourgogne. — Le casque enlevé. — Nouveau succès. — L'écu du Forestier. — Naissance de Jean Adorne. — Le parrain. — André Doria, prince de Melfi. — L'Arioste. — Les vingt-huit alberghi de Gênes. — L'hospitalité.
Il fallait d'autres épreuves pour montrer à tous que le jeune Forestier était digne de l'honneur qu'il avait conquis; mais d'abord des festins devaient célébrer sa victoire: il n'est guère de solennité où ils n'entrent pour quelque chose. Le premier fut donné le soir même par les magistrats, à l'hôtel de ville, élégant édifice construit sous les auspices de Louis de Male. Après le festin, on reconduisit Anselme, en grande pompe, à son logis; devant lui marchait un héraut, et il tenait à la main la lance, prix de sa prouesse, ornée d'une draperie aux couleurs du Forestier qu'il remplaçait.
Le lendemain, il donna le banquet chez lui; la duchesse de Bourgogne, son fils et tout ce que Bruges avait de plus grand, y assistaient. Nous pourrions assez facilement décrire les dressoirs, les entremets, les hanaps: il y a, pour ces occasions, un mobilier où chacun est libre de se pourvoir; mais nous craindrions de l'user. Il nous suffira de dire qu'après avoir fait à ses illustres hôtes les honneurs de sa table, Anselme revêtit de nouveau ses armes et parut en lice avec cinq cavaliers qui portaient, chacun, ses couleurs sur leur écu. Ainsi accompagné, il jouta contre Adolphe de Clèves, sire de Ravesteyn et quelques autres.
Le 1er mai fut signalé par un combat plus remarquable encore par le renom des chevaliers qui vinrent y rompre des lances. La lice était placée près de l'étang de Male. Le premier champion qui s'offrit fut le même Ravesteyn; puis parut un jeune seigneur qui réalisait l'idéal des romans de chevalerie. Choisi pour écuyer par le duc de Clèves, il n'avait pas tardé à signaler sa vaillance et avait emporté «le nom et le los pour le mieux faisant de tous ceux qui joutèrent à l'encontre de lui.» Il avait parcouru la France, l'Espagne et le Portugal, défiant les plus experts en fait d'armes, «non pour envie, haine, ne malveillance d'aucun, mais pour exaulcer et augmenter le noble estat de chevalerie et pour soi occuper.» Sa chevelure blonde, ses yeux bleus et riants, son teint frais et coloré, son menton sans barbe, n'annonçaient pas un si terrible combattant; mais la renommée, le précédant en tout lieu, proclamait le nom de Jacques de Lalain, le bon chevalier!
Anselme, impatient de se mesurer avec lui, se montra digne d'un tel adversaire; cependant, c'est surtout en joutant contre un troisième concurrent qu'il se distingua: celui-ci portait l'écu fleurdelisé de Bourgogne, traversé d'une barre. C'était, au dire d'Olivier de la Marche, «l'un des plus gentilshommes d'armes et un vaillant, sage et véritable capitaine.» Pour décrire cette rencontre, nous ne saurions mieux faire que d'emprunter quelques lignes au biographe de Jacques de Lalain, qui raconte de son héros une aventure semblable.
Corneille de Bourgogne, aurait dit Georges Chastelain dans son vieux langage, voyant notre Forestier «estre prêt, baissa sa lance et, autant que cheval peut courre, le laissa aller, et, d'autre part, Anselme férit son bon destrier de l'esperon, qui allait courant de si grande force que la terre sur quoy il marchoit, alloit tout tombissant: si s'acconsuivirent touts deux ès lumières des heaumes, et n'y eut celuy d'eux qui ne rompît sa lance, tant furent les coups grands et démésurez: mais celui que Corneille de Bourgogne reçut d'Anselme fut si merveilleux que, nettement, sans quelque blessure, il lui osta et porta le heaume dehors la teste et demeura à chef nud devant le hourt des dames, moult esbahy, comme celuy qui à grand peine sçavoit ce qui lui estoit advenu.»
On regarda comme un miracle que le bâtard de Bourgogne ne fut pas mortellement atteint. Si, suivant Chastelain, Jaquet de Lalain acquit «un si grand bruit» d'un coup semblable «que partout hérauts poursuivants, trompettes et plusieurs autres crioient Lalain! à haute voix,» ce ne dut pas être un médiocre honneur pour le jeune Adorne de reproduire ce coup célèbre sous les yeux du bon chevalier[16].
La même année, il jouta encore à Bruxelles, où il fit admirer sa prouesse, et à Lille où il demeura vainqueur. Un grand festin qu'à son retour il donna à la société de l'Ours-Blanc, servit à célébrer ce nouveau triomphe. Son temps d'exercice fut clos, à l'ordinaire, par le retour de la fête de l'Ours-Blanc, à laquelle il présida. Un mois après, un héraut à cheval, précédé d'une bande de musique, se rendait en pompe à l'hôtel de ville. Il y venait appendre, en souvenir du jeune et vaillant Forestier, l'écu armorié de trois bandes d'échiquier en champ d'or, avec la pieuse devise qu'on voit répétée sur les vitraux de Jérusalem:
PARA TUTUM DEO.
On a dit des exercices guerriers dont nous venons d'entretenir le lecteur, que c'était trop pour un jeu et pas assez pour tout de bon; ils l'emportaient cependant sur nos courses, parfois tout aussi périlleuses, mais qui mettent en jeu des qualités moins relevées; car celles d'un cavalier habile, et même téméraire, n'égalent point, il faut l'avouer, une hardiesse, une adresse et une vigueur peu différentes de ce qu'exigeait le champ de bataille.
Anselme, néanmoins, satisfait d'avoir fait ses preuves, ne parut plus que rarement dans la lice. D'autres soins l'occupaient; ceux de la famille se multipliaient pour lui avec les années. Déjà, lorsqu'il gagnait la lance, jeune époux, brillant champion, il était père. Ce fut en effet le 16 août 1444 qu'il reçut dans ses bras son premier né, qui devait être le compagnon et l'historien de ses voyages. Pour parrain, il choisit, entre tous, un Doria, tandis que dans le siècle suivant, un Doria proscrivit jusqu'au nom d'Adorno.
Ceux qui ont lu l'Arioste se rappelleront ces beaux vers:
Veggio che 'l premio che di ciò riporta
Non tien per se, ma fa alla patria darlo;
Con preghi ottien, che in libertà la metta
Dove altri a se l'avrià forse sojetta
.......................................
Questi ed ogn'altro che la patria tenta
Di libera far serva, si arrossisca,
Ne dove il nome d'Andrea Doria senta
Di levar gli occhi, in viso d'uomo ardisca[17].
La liberté dont André Doria dota Gênes était une savante et singulière combinaison d'éléments aristocratiques de toute origine, répartis entre vingt-huit maisons (alberghi), parmi lesquelles les Doria ne pouvaient être oubliés. André, lui-même, créé par Charles-Quint prince de Melfi, le fut plus encore dans sa patrie, par son mérite, ses services à l'appui des Espagnols. Pour les Adorno, leur puissance même faisait leur ostracisme, qui, pourtant, ne dura pas; mais leur branche alors la plus considérable, celle des comtes de Renda, demeura étrangère à Gênes.
Lors de la naissance de Jean Adorne, les relations des deux familles étaient bien différentes. Les Adorno et les Doria étaient ensemble en fort bons termes, et les derniers avaient, avec les Adorne de Flandre, des rapports réciproques d'hospitalité; cette vertu antique, qui a fort décliné depuis, eut le pas sur les liens du sang.