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I

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LA TOURTE EN RETARD

— C’est étonnant, madame Durand!... s’écriait M. Durand, papetier parisien, rue d’Hauteville, le soir du dernier dimanche de septembre 1887, en présence des siens et de quelques amis, tous réunis à sa table avec l’espoir, bien légitime, de dîner confortablement. — C’est étonnant, madame Durand!... Il est, montre en main, sept heures cinq...

— Vingt! hasarda un convive affamé.

— Cinq! Je vais comme la Bourse. — Mais, n’importe! Il est sept heures, sonnées depuis longtemps, et nous attendons toujours la Tourte; une Tourte commandée pour six heures!...

— Pour cinq heures trois quarts, papa! — Par précaution...

— Bon! De mieux en mieux! La Tourte est en retard d’une grande heure! C’est toujours la même chose, madame Durand! Cette sotte de Clète aura sans doute commis quelque grossière erreur en faisant sa commande...

— Non, mon ami. Cette pauvre Clète vient de me le répéter, les larmes aux yeux, elle a donné exactement l’heure, le nom, le prénom et l’adresse... Mais sous votre République! monsieur Durand..., les pâtissiers sont les maîtres, et ils se moquent de tout!...

— C’est ce que nous verrons, madame Durand, et il est bien inutile de mêler la politique là-dedans. Quand cette Tourte et... ce gâteau, je crois? arriveront enfin ici, vous les renverrez, voilà tout, et du diable si je les paie!...

A cette parole de l’implacable M. Durand, un long murmure d’effroi et de révolte grondante, comme il s’en élève sur les radeaux perdus en pleine mer, circula parmi les assistants. Ils avaient lampé la soupe, mastiqué un bœuf bouilli à peu près aussi savoureux qu’un fragment de câble mouillé d’eau de mer sous les tropiques, et grignoté de tristes hors-d’œuvre. Mais ils avaient compté se rattraper sur une Tourte aux godiveaux réparateurs. Ils protestaient donc contre son renvoi, à l’unanimité.

La même scène et les mêmes clameurs se produisaient régulièrement, tous les dimanches, chez les Durand, entre six heures et demie et sept heures.

— Eh bien! poursuivit M. Durand, vaincu par la rumeur générale et par sa propre voix intérieure, j’apporte un amendement au paragraphe. On acceptera la Tourte... et le gâteau, mais pas un sou de pourboire au gâte-sauce! Vous m’entendez, madame Durand, pas un sou! Vous incriminez à tort les sentiments du patron. C’est le patronet qui est fautif. Je connais leurs allures, aux gâte-sauces! Est-ce que je ne les vois pas, tous les jours, devant ma vitrine, arrêtés pendant des heures, examinant successivement mes plumes, mes crayons, mes compas, mes pains à cacheter, etc., tandis que le soleil fond, dans la manne qui tient leur tête bien à l’ombre, de délicats édifices en sucre filé, mêlé de roses...

— Parbleu! Mais, ajoute un ami, les stations devant les boutiques, ce sont encore de véritables bienfaits pour le consommateur! car les gâte-sauces ont des habitudes bien autrement pernicieuses. Pour jouer au bouchon, par exemple, ils déposent leur manne sur le premier banc venu, où les vol-au-vent et les savarins subissent les impertinences des chiens rôdeurs...

— C’est donc pour ça qu’il n’y a jamais qu’une écrevisse sur les Tourtes? Les autres, les chiens s’en font des bisques dans leur pauvre petit estomac, c’est bien évident.

— Bah! murmura un sage convive, instruit par une longue expérience, nous la mangerons tout de même, la suprême écrevisse!

— Oui, si la Tourte apparaît avant minuit!...

— Plus une tourte est en retard, plus elle est près d’arriver...

— Un bel axiome à se mettre sous la dent!

L’entrée solennelle de la bonne, Clète, —avec la Tourte! — interrompit les orateurs, qui devenaient amers et acerbes.

Il y eut comme un roucoulement de joie autour de la table.

— Vous l’avez secoué, je pense, ce garçon?

— Ah! je vous crois, monsieur, et comme un prunier!

— Et pas de pourboire, n’est-ce pas?... Mme Durand a dû vous le dire?...

— Pas un centime! Je lui aurais plutôt donné une claque.

— Et qui était-ce, celui-là ?

— C’est ce grand flin de Talmouse, madame. Vous savez, celui qui est déjà venu dimanche dernier. Un garçon long comme un jour sans pain, avec des oreilles évasées, le visage tout pâle et rempli de taches de son.

— C’est bon; il n’a que ce qu’il mérite!... Merci, Clète. Allez soigner votre salade, ma fille, et pas trop de vinaigre.

— Et maintenant, dit M. Durand, à la Tourte! Allons, bon! Elle est au roux! Et il n’y a pas même une écrevisse!

— C’est étrange. Clète l’a commandée au blanc, comme toujours.

— Oui, et comme toujours, elle est au roux! C’est étonnant, madame Durand!...

— Allons, allons, ne la laissons pas refroidir davantage.

— Enfin!... Excusez-nous. Qui veut du couvercle?

— Moi! cria tout le monde.

L'Ile des parapluies, aventures du gâte-sauce Talmouse

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