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II

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TALMOUSE

Les vœux des Durand sont comblés. Qu’il n’en soit plus question.

Mais disons pourquoi la Tourte de famille fut en retard, ce dernier dimanche de septembre, de beaucoup plus de quarts d’heure que les dimanches précédents.

Talmouse, le grand flin au visage pâle constellé de taches de rousseur, dont les oreilles débordaient, largement, de chaque côté de sa toque blanche, n’était pas un gâte-sauce plus flâneur que ses confrères. Il l’était autant. Mais seulement pendant la semaine. Le dimanche, au contraire, il s’efforçait, réellement, de contenter tout le monde et son maître.

Ainsi, le jour où il apparaît dans ce récit, Talmouse, sifflant sous sa manne et marchant rondement, ne s’était arrêté que deux fois dans son essor, depuis qu’il l’avait pris au seuil de l’officine patronale. La première fois, ç’avait été pour son plaisir. Il avait assisté avec une satisfaction sans égale à la course, disons au véritable match, tacitement engagé entre trois individus qu’éperonnait leur âpre espoir d’arriver premier à une place, aperçue enfin, et vacante par un hasard extraordinaire, à l’impériale d’un omnibus. La lutte engagée au pied du véhicule par les concurrents essoufflés fournit à Talmouse un délicieux spectacle. La seconde fois, ce fut pour son instruction que le gâte-sauce serra son frein. Voyant un monsieur de bel aspect s’apprêter à faire renouveler l’éclat de sa chaussure, il s’immobilisa en se disant: «Je vais me payer ça!» Et il avait contemplé et enregistré d’un bout à l’autre les détails des us et coutumes du cireur à médaille en activité, d’un air de profond intérêt, et comme trouvant cette manœuvre éminemment suggestive.

Après quoi, sifflant de nouveau, il était reparti sous petite vapeur, mais déterminé à ne plus rien voir de gai ou de curieux sur sa route, car il songeait tout à coup aux Durand éperdus!

Il allait, méprisant même les abois des chiens derrière ses talons, l’œil charmé par le simple jeu des nuages, et regardant en l’air, autant que le lui permettait, bien entendu, sa manne qu’il maintenait d’une main, tandis que l’autre était insérée dans la poche de sa cotte à raies bleues.

La rencontre soudaine d’un de ses souliers et d’un corps mou, ramena ses regards vers le sol.

Il y aperçut un beau et gros portefeuille. Il se baissa avec des prodiges d’équilibre pour assurer un niveau constant, dans les bains-marie, aux sauces confiées à ses soins, et ramassa l’objet perdu, qu’il examina, ouvrit, explora.

A la vue d’un grand nombre de solides papiers imprimés de toutes les nuances, illustrés de figures symboliques, dames et messieurs, et de signatures illisibles, que ce vaste portefeuille renfermait dans ses entrailles, Talmouse murmura avec un dédain parfait:

— Ollala! — Tout ça, c’est de l’english!

Puis, après une seconde de réflexion, il reprit:

— Oui, mais ça ressemble aux machins que j’ai vus chez les changeurs, sous des sébiles? ça vaut peut-être de l’argent? Eh bien, il doit être frais, le monsieur qui a perdu ça! Mais, où est-ce qu’il demeure? — Pas de carte! Pas de lettre que je puisse comprendre! — En route pour chez le commissaire, alors! — Ah! bien oui, mais, et les Durand qui attendent leur Tourte! — Diable! C’est égal, faut faire comme dans les journaux.

En achevant ce discours, qu’il prononçait mentalement, Talmouse remettait tous les papiers dans les poches du portefeuille. Parmi les derniers, il aperçut des billets bleus, en liasse.

— Ollala! mais je connais ça, moi! C’est de la Banque, ça. — Oui, voilà le portrait de je ne sais qui, avec sa cuvette à ailes sur la tête, en transparence. — Raison de plus pour ne pas garder ça une minute de plus!

Talmouse fourrait alors le portefeuille dans sa veste blanche, qu’un mouchoir à carreaux et divers objets faisaient bomber comme la poche d’une sarigue en voyage avec ses petits. Puis, rapide comme la flèche, une main à sa manne où les sauces ondulaient follement dans leurs bains-marie, l’apprenti pâtissier poursuivait sa carrière, interrogeant les sergents de ville sur la situation du plus prochain bureau de police.

Ayant enfin atteint un commissariat, où il fut reçu par un secrétaire soupçonneux et de mauvaise humeur, qui daigna lui déclarer tout d’abord que son supérieur n’avait pas commandé de tourte, attendu qu’il dînait en ville, Talmouse commença sa déclaration.

Mais, aux premiers mots, le secrétaire lui ordonna de se taire, et de répondre, et plus vite que ça, à un interrogatoire en règle.

— Votre nom? Votre adresse? Votre profession? Comment ces valeurs sont-elles parvenues entre vos mains?

— Mais, monsieur, d’abord, ce n’est pas entre mes mains, c’est entre mes pieds qu’elles sont arrivées...

— Ne riez pas, ou je vous fourre!... Votre nom?

— Mais mon nom ne fait rien à l’affaire. J’ai trouvé ça, je vous l’apporte, voilà tout. C’est mon devoir.

— C’est bon, c’est bon! Votre adresse, votre nom?

— En voilà des histoires! Eh bien! voilà le nom, et voilà l’adresse de mon patron; c’est écrit sur la manne. Lisez plutôt! «TALMOUSE, rue Montorgueil. » Moi, je m’appelle Alexandre-Nicolas Civet, mais, entre collègues, comme c’est l’habitude aussi entre clercs de notaire, on me désigne par le nom de mon patron.

— C’est bien. — Je n’ai plus besoin de vous. Allez et tâchez de marcher droit, ou vous aurez de mes nouvelles, mon garçon!

Talmouse s’en alla, et très vite, et même content d’en être quitte à si bon marché. Mais, une fois hors du sombre réduit du chien du commissaire, il s’écriait:

— Eh bien! en voilà un qui est peigné à rebrousse-poil! Ollala!

Vingt minutes plus tard, Talmouse était reçu par Mlle Clète, la bonne des Durand, de la façon gracieuse qu’on sait, et ses ustensiles vidés, il redescendait l’escalier, sans avoir empoché le plus petit pourboire.

Mais, en dépit de ses seize ans, Talmouse était un vrai philosophe, sans le savoir, et il avait encore dans le cœur quelque chose de plus que la philosophie, et ce quelque chose-là le consolait rapidement de tout.

Cependant, le soir de ce dernier dimanche de septembre, dans la mansarde où il couchait, toujours fort las, en compagnie de six ou sept camarades de son âge et de sa pâleur, il renaudait un peu, comme il disait, en additionnant dans sa tête les maigres petits profits de sa longue et fatigante journée, car il soupirait:

— Tout ça, ce n’est pas fait pour encourager les rosières!

Et il murmurait encore:

— Le chien du commissaire me traite comme un filou, les Durand me suppriment mes quatre sous. Ollala! merci!

D’un regard sans gaieté il contemplait en ce moment, par la lucarne de la mansarde, les innombrables toits sombres groupés devant lui, les maisons aux fenêtres brillantes encore, çà et là, et il écoutait, songeur, le roulement lointain des voitures dans les rues profondes.

— C’est égal, reprenait-il, ne nous plaignons pas! Pourvu que les seuls parents qui me restent soient contents, ça va bien, et je fais ce que je peux pour ça. Et ma famille, à moi, dame! c’est tout ça; c’est la ville et les faubourgs. Les voilà. mes parents; c’est Papa-Paris et c’est Maman-la-France!

L'Ile des parapluies, aventures du gâte-sauce Talmouse

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