Читать книгу L'Ile des parapluies, aventures du gâte-sauce Talmouse - Ernest d' Hervilly - Страница 9

Оглавление

IV

Table des matières

LA FIÈVRE DES DIAMANTS

A l’époque où Talmouse «se payait» enfin la vue de la mer, le Havre, ainsi que beaucoup d’autres ports européens, américains, asiatiques, était le rendez-vous d’innombrables émigrants d’un genre nouveau. Venus de tous les coins du monde aux lieux d’embarquement qui leur offraient une traversée plus ou moins rapide, mais au meilleur marché possible, ils convergeaient tous sur un point unique: le Cap.

Tous arrivaient, enfiévrés par les nouvelles merveilleuses, quelque peu grossies en route. qu’on recevait des Champs de diamants récemment découverts alors, et exploités au Nord-Est de la colonie anglaise et sur ses frontières mêmes.

A la suite des milliers d’aventuriers de toute espèce qui se voyaient déjà, en rêve, en train de fouiller et de laver la fameuse terre bleue où dormaient, depuis des siècles, d’énormes diamants de toutes les couleurs, se pressaient des hordes de mercanti, aux teints et aux langages bigarrés, qui comptaient rapidement s’enrichir aussi, non pas à la façon des diggers, le pic et le crible à la main, mais en leur vendant énormément cher le superflu, et surtout le nécessaire, à Kimberley, à Baberton, à Prétoria, etc., enfin dans toutes les nouvelles villes du Pays des diamants, villes déjà considérables bien qu’improvisées, et bâties pour la plupart—selon l’expression américaine — «en caisses d’emballage.»

1887 était la grande année de l’entraînement général des chercheurs de diamants, et d’or à défaut de diamants, vers l’Afrique australe.

Et de même qu’on voit à Paris, aux jours de fête, les véhicules les plus étranges, les plus défectueux, carrioles, coucous et tapissières, sortir soudain de remises ignorées pour s’offrir au public, qui les accepte avec reconnaissance, de même, dans tous les ports, en 1887, des navires de tout gabarit et de tout tonnage, navires de réforme, radoubés, repeints, remâtés, voiliers ou paquebots, français ou étrangers, attendaient les émigrants pressés de partir ou d’être transportés avec économie.

The Raven (le Corbeau), trois-mâts-goëlette américain de huit cents tonneaux, sur lequel le bon Vincent exerçait les fonctions de cook et surtout de boulanger, comme il avait oublié de le dire à son ami Talmouse, appartenait au genre démodé de ces voiliers racoleurs que les besoins de l’émigration, en 1887, amenaient en foule dans les ports du littoral de la Manche, et qui se chargeaient de tout et de tous, au plus juste prix.

Le camarade de Talmouse y avait pris du service, poussé par son humeur aventureuse et son goût de la mer, après plusieurs autres campagnes heureuses à Sierra-Léone et sur les côtes des pays noirs; mais, en lui-même, il comptait bien, une fois arrivé à Cap-Town, dire bonsoir au vieux navire, et se rendre aux Champs des diamants, d’une manière ou d’une autre, sans bourse délier bien entendu, et, finalement, monter une cantine dans les nouveaux Établissements, où la soif et la faim sont ce qui manque le moins.

Un petit pécule, tendrement respecté et grossi, qu’il portait sur son cœur, faute de cachette plus sûre à bord, était la base solide de son futur commerce.

Ses talents culinaires lui procuraient et le transport gratuit, et le moyen de nourrir son magot et lui-même.

Quand il rejoignit Talmouse au Rendez-vous des Baleiniers, il avait résolu en lui-même de déterminer son jeune ami à le suivre au Cap de Bonne-Espérance, car alors, songeait-il joyeusement, avec un camarade de ce calibre-là, le voyage deviendrait une véritable partie de plaisir.

— Il ne lâchera pas l’occasion de faire fortune, si jamais elle s’offre; voilà ce qu’a dit Talmouse. Eh bien! je la lui offre! Le navire sera en partance dans six jours. Il est sans place. Il adore la mer. Ça ira tout seul. Je l’engagerai comme aide de cuisine.

Aux Baleiniers, il fit tout de suite part de son idée au jeune garçon. Talmouse l’écouta froidement. Il ne dit pas non, mais il fit des objections.

— Et d’abord, dit-il gravement, est-ce que je serai de retour pour l’ouverture de l’Exposition? Car, tu comprends, Vincent, moi, j’ai posé..., enfin, j’ai vu poser la première pierre de la Tour Eiffel, et je veux être là, avec ou sans fortune, avec ou sans manne sur la tête, mais enfin présent, en bon Parisien de la rue Beaubourg (et, à ce propos, ils n’étaient pas difficiles, jadis, sur les bourgs!); enfin, je ne veux pas manquer à son inauguration. — Moi, absent! au Centenaire! Ollala!... Qu’est-ce que diraient Papa-Paris et Maman-la-France?

A cela, le bon Vincent répondait:

— Voyons, nous sommes au commencement d’octobre 87, mon petit. Le temps de faire notre affaire là-bas, de réaliser et de revenir..., ça nous prendra bien?... Bah! nous serons à Paris bien avant le Ier mai 89, parbleu!

— Mais, c’est que, moi, je n’ai rien... Dans les romans maritimes que j’ai lus, le soir, sous les becs de gaz, en portant mes tourtes, il est toujours question d’une pacotille: cotonnade rouge, verroteries...

— Ah! Eh bien?... Eh bien! mais, pour une occasion comme celle-là, unique, et sans que ça t’humilie, tu pourrais..., ton monsieur au porte-feuille..., qui est courtier, je suppose, ou armateur, ou enfin un gros bonnet d’ici...; eh bien! puisqu’il a dit qu’il se chargeait de toi..., il te viendra en aide. Va le voir!...

— Mais il est à Paris...

— Pour l’instant, oui; mais il va revenir bientôt, m’as-tu dit?

— C’est vrai.... c’est possible...

— Alors, c’est bien simple. Ces messieurs vont reprendre le train tout seuls. Toi, tu resteras ici à l’attendre, et ne t’inquiète de rien; j’en fais mon affaire. Mais allons dîner, d’abord!

On alla dîner. Le cook raconta ses aventures. Il battit le briquet si bien et si longtemps sur l’imagination de Talmouse que celle-ci, excitée d’autre part par les exhortations de ses compagnons de voyage, prit feu à la fin.

— Qu’est-ce qu’il me faut? Peu de chose, en somme: des chemises de flanelle, un sac, du fil et des aiguilles. Des riens. Pas de rasoir, je n’ai pas de barbe; pas de pipe, je ne fume pas.

— Il te faut aussi une literie, deux couteaux et pas mal de pantalons de toile.

— Bon! Le monsieur au portefeuille me prêtera quelques sous; je les lui rendrai au retour, à ce qu’il voudra pour cent. Je n’ai besoin de la permission de personne. Et puis, s’il y a du vilain coton, là-bas, si je... Eh bien! Maman-la-France en sera quitte pour me faire mettre, rue Beaubourg, n° 5, une plaque de marbre avec cette inscription: «Ici est né Alexandre-Nicolas Civet, dit Talmouse, mort dans un voyage autour du monde...»

— Elle n’aura pas cette peine-là, mon gas! Tu seras revenu pour ouvrir l’Exposition de 89, avec M. Grévy...

— Alors, c’est entendu. Je reste au Havre!

— Oui, et tu verras comme c’est amusant de voyager sur mer.

— Mon rêve depuis le maillot!

— Tu entendras «souffler la baleine,» peut-être.

— Ah! Qu’est-ce que c’est que ça?

— Tu verras; je ne t’en dis pas davantage. Je te laisse le plaisir de la surprise.

— Est-ce que nous passerons au Banc de Terre-Neuve? On m’a dit que, la nuit, on entend de très loin les fameux chiens aboyer...

Ah! mais non; nous n’allons pas par là ! Nous lui tournerons le dos. Nous descendrons tout au bas de l’Afrique; tu verras Madère, d’abord; ensuite les Canaries...

— Le pays des serins?

— Parfaitement; et le Sénégal et le Congo, —de loin, par exemple, — et puis l’île Sainte-Hélène...

— C’est une fameuse promenade!

— Et nous n’aurons pas froid, cet hiver surtout...

— Ah bah!... Ollala, ça me va!

— Et je te montrerai la Croix-du-Sud.

— Hein?... Tu dis?...

— Eh bien! oui; les plus belles étoiles du ciel, de l’autre côté de la boule du monde, quand nous ferons du Sud...

— Ah! je voudrais déjà y être!

— On part dans six jours; six ou huit...

— Pas avant?

— Non. Il faut attendre ton monsieur, pas vrai?

— C’est juste.

— Allons, trinquons encore une fois avec ces messieurs, et en route pour la gare! Voilà l’heure qui pique à tous les clochers... Nous allons leur faire un pas de conduite.

— En roule!

Le surlendemain, Talmouse et Vincent avaient une entrevue avec M. Haviland, l’homme au portefeuille, lequel était de retour à son 0ffice de la rue de Paris.

Celui-ci ne se refusa pas à venir en aide à l’honnête gâte-sauce, mais il le pria de bien réfléchir avant de se lancer dans une expédition de ce genre.

Le résultat des réflexions de Talmouse fut que le samedi 15 octobre, à la marée du soir, il sortait des jetées du Havre, à bord du Corbeau.

L'Ile des parapluies, aventures du gâte-sauce Talmouse

Подняться наверх