Читать книгу Les arts à la cour des papes Innocent VIII, Alexandre VI, Pie III (1484-1503) - Eugène Müntz - Страница 10

NOTICE PRÉLIMINAIRE

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Table des matières

A première vue, le pontificat d’Innocent VIII paraît des plus effacés, même en se plaçant au point de vue très spécial que nous avons mission d’étudier ici. Cependant, malgré bien des faiblesses, malgré une certaine lourdeur d’esprit, ce pape a fait preuve d’un goût véritable pour les créations monumentales, et d’une énergie peu commune pour la réalisation de ses projets. On a beau dire que nulle religion ne comporte un déploiement d’œuvres d’art aussi considérable que le catholicisme; que, bon gré mal gré, les Papes étaient forcés de s’adresser aux arts somptuaires: pour ma part, je ne puis me défendre d’un sentiment d’admiration pour des princes qui, au milieu des minuties de l’étiquette, et parmi tant de fonctions absorbantes, savaient conserver la liberté de leur esprit, suivre les grandes affaires, en même temps qu’étendre leur sollicitude aux moindres détails de l’exécution d’une fresque, d’un bas-relief, d’un joyau.

Jean-Baptiste Cibo, le futur Innocent VIII, était né à Gênes en 1432. Il appartenait à une famille distinguée (son père avait rempli, en 1455, l’office de sénateur de Rome et, au temps du roi René, celui de vice-roi de Naples) et parvint de bonne heure aux dignités ecclésiastiques. Il reçut la pourpre cardinalice, en 1473; onze ans plus tard, âgé de cinquante-deux ans seulement, il monta sur le trône de Saint-Pierre, grâce à l’appui de Julien della Rovere, le tout-puissant neveu de Sixte IV; grâce aussi, affirme-t-on, à des promesses et des engagements qui n’étaient pas d’une correction absolue .

Le cardinal Cibo avait, en montant sur le trône, une progéniture plus nombreuse qu’il ne convenait à un membre du Sacré Collège. Néanmoins, abstraction faite de cette irrégularité, il sut se défendre des excès de népotisme qui ont jeté une tache indélébile sur la mémoire de Sixte IV: s’il s’efforça d’établir avantageusement ses enfants (il dut faire bien des concessions pour assurer le mariage de son fils Franceschetto avec la fille de Laurent le Magnifique), il ne convoita pas pour eux la possession de provinces entières, comme l’avait fait son génial et insatiable prédécesseur.

Un fait à son honneur, c’est la rareté des nominations dans le Sacré Collège (il est vrai qu’il avait pris à cet égard des engagements formels dans le conclave qui précéda son élection): il ne fit qu’une seule promotion de cardinaux, et cela seulement après cinq années de pontificat, en 1489. En résumé, c’était une nature faible, mais honnête.

Un écrivain ecclésiastique de notre pays, l’abbé Christophe, porte un jugement, somme toute, équitable sur Innocent VIII quand il dit qu’il possédait les qualités de l’homme de bien, et qu’il avait aussi les vertus qu’on aime à retrouver dans le prêtre. Il voulait sincèrement le bien, ajoute l’abbé Christophe, et il l’aurait toujours fait, s’il ne lui en eût coûté de le vouloir. Mais son caractère servait mal la rectitude de ses intentions. Il fléchissait devant les obstacles, cédait à la crainte et se laissait dominer par les influences. La suavité de ses manières, son indulgence, sa facilité à oublier les torts, en avaient fait l’idole de ceux qui approchaient de sa personne, et jamais le trépas d’aucun pontife n’inspira à la cour romaine plus de regrets que le sien. Mais les qualités, qui font les délices de la famille, se changent en défauts, dans la pratique du gouvernement, quand elles ne sont point soutenues par cette sévérité juste et ferme qui sait réprimer à propos.

Si la vénalité et la corruption arrivèrent, sous ce pontificat, à leurs dernières limites, de même que le manque de sécurité, ce n’est pas tant au pape qu’il faut imputer ces désordres qu’à l’esprit même de la population romaine, à ces factions exécrables, s’incarnant l’une dans les Orsini, l’autre dans les Colonna. Ce qui prouve au surplus combien la Renaissance fut étrangère à ces excès, c’est qu’aucune des familles romaines n’eut moins de part que ces deux-là au mouvement intellectuel du XVe siècle. Je ne crains pas d’affirmer que ce sont les traditions de fureur et de barbarie, inhérentes au peuple romain du moyen-âge, qui ont jeté leur ombre sur les derniers pontificats du XVe siècle. Malgré les difficultés intestines, malgré la guerre aussi longue qu’acharnée avec le roi de Naples, Innocent VIII, à peine monté sur le trône, fit reprendre activement les travaux inaugurés par Sixte IV. Est-il nécessaire d’ajouter qu’en dépit de sa bonne volonté, il fut impuissant à leur donner la même cohésion et le même éclat que son illustre prédécesseur: le parallèle est écrasant. Mais nous avons le devoir ici de considérer son pontificat en lui-même. Or un examen approfondi des entreprises d’Innocent VIII nous apprend que si ce pape avait un penchant excessif pour les joyaux (le Gênois se reconnaît bien à ce trait!), s’il fit tour à tour preuve de parcimonie et de prodigalité, il rendit à l’art, dans une sphère restreinte, quelques services des plus importants. On trouvera plus loin des détails sur les additions qu’il fit au Palais du Vatican, sur la construction de la villa du Belvédère, sur celle de la fontaine de la place de Saint-Pierre, de l’église «Santa. Maria in via Lata», de la villa de la Magliana, etc. Eu égard à la sculpture, son nom est indissolublement lié à celui de Pollajuolo. Et comment refuser une marque d’attention, pour ne pas dire de sympathie, au prince qui réunit, sur les bords du Tibre, des maîtres tels que le Pérugin et Pinturicchio, Mantegna et Filippino Lippi!

Parmi les industries somptuaires, l’orfèvrerie et la broderie, si intimement liées aux cérémonies de la cour de Rome, jetèrent un vif éclat. Pour les autres branches de l’art, Rome — il faut le confesser — resta en retard sur la plupart des autres villes d’Italie: on n’y trouvait ni fours de majoliques ou de verreries, ni métiers de haute lisse, ni ateliers de mosaïques.

Des fêtes aussi nombreuses que brillantes témoignèrent du goût d’Innocent VIII pour la magnificence. Rappelons seulement l’entrée de Djem, que le cardinal d’Aubusson, grand maître de Rhodes, venait de remettre entre les mains du pape (13 mars 1489). les fêtes célébrées pour la prise de Grenade, l’entrée du cardinal de Médicis (22 mars 1492), celle de Ferdinand, prince de Capoue (27 mai 1492), la translation de la sainte Lance (31 mai 1492).

MÉDAILLES D’INNOCENT VIII, DE TEODORINA CIBO, DE PERETTA USODIMARE, D’ASCANIO SFORZA ET DE BART. DELLA ROVERE


Si nous considérons une des faces les plus profanes de l’art — le théâtre, — ici encore, le pontificat d’Innocent VIII marque le point de départ d’une évolution capitale. Depuis un temps immémorial, la Confraternité du Gonfalon représentait chaque année un mystère dans le Colisée, le vendredi saint, usage consacré en 1490 par une autorisation spéciale d’Innocent VIII. Désormais, il ne s’agit plus de représentations sacrées, mais de représentations soit classiques, soit de circonstance. Vers 1488, Tommaso Inghirami, alors âgé de dix-huit ans, joua l’Hippolyte de Sénèque et remporta un tel succès dans le rôle de Phèdre qu’il en garda le surnom. La prise de Grenade fut le signal de représentations plus caractéristiques encore. A cette occasion, le cardinal Raphaël Riario chargea le secrétaire des brefs, C. Verardi de Césène, de composer en latin une pièce de circonstance, l’Histoire Bétique, qu’il fit jouer dans son propre palais. On célébra d’abord des offices solennels d’actions de grâces; puis on organisa des jeux à tous les carrefours de la ville, une chasse aux taureaux, des combats de cavaliers, un assaut militaire figurant la prise de Grenade, des processions, des pompes triomphales, des feux d’artifice, enfin une représentation dramatique. La pièce de Verardi fut accueillie, s’il faut en croire l’auteur, par le sénat et le peuple avec un tel silence et une telle attention, elle fut suivie d’applaudissements si chaleureux, que tous avouaient n’avoir depuis longtemps rien vu ni rien entendu d’aussi agréable.

L’exemple du cardinal Riario ne tarda pas à être suivi par le cardinal Mendoza (voy. ci-après).

Les sciences et les lettres attiraient moins Innocent VIII. Quoique l’Université romaine continuât, pendant son pontificat, à compter une série de professeurs distingués et à attirer de nombreux élèves étrangers; quoiqu’il protégeât ou employât une série d’écrivains savants ou élégants — Politien, Ermolao Barbaro, Pontano, Tito Vespasiano Strozzi, P. Marsus, le médecin Zerbi, l’humaniste J. Fuchsmagen, Gasp. Biondo, Andrea de Trébisonde, Giac. de Volterra, G. P. Arrivabene, Sig. dei Conti, Giov. Lorenzi , — il était loin de ressentir pour ces études l’ardente sympathie de Sixte IV.

Il le prouva entre autres par son indifférence vis-à-vis de la Vaticane, qui avait pris, sous son prédécesseur, un si magnifique développement. On trouvera, dans le travail que j’ai publié avec M. Paul Fabre, le texte des rares documents qui concernent les acquisitions faites pendant ce pontificat. La commande confiée en 1485 au miniaturiste Joachinus (identique soit à Giovacchino di Giovanni de Sienne, soit à Giovacchino de Gigantibus, qui travailla pour le roi Ferdinand de Naples) ne semble pas avoir été des plus importantes: cet artiste ne reçut, en effet, de ce chef qu’une somme de 24 ducats.

Constatons du moins que, dans le choix de ses médecins, Innocent VIII fit preuve d’une certaine indépendance: il employa entre autres un juif.

Il n’est pas surprenant que la typographie romaine, si prospère naguère, souffrît de l’indifférence générale et déclinât rapidement. Relevons, à l’actif de l’imprimeur «Andreas Fritag de Argentina», qui s’établit à Rome vers la fin du règne d’Innocent VIII (1492-1496), son édition du Compotus cum commento .

La xylographie, à son tour, qui n’avait d’ailleurs jamais brillé à Rome d’un éclat bien vif, périclita au temps d’Innocent VIII. Seul, Jean-Philippe de Lignamine, médecin, littérateur et imprimeur à ses heures de loisir, prit à cœur de relever l’illustration de ses volumes. Son édition des Opuscula de Ph. de Barberiis offre des figures de Sibylles et de Prophètes d’un dessin très satisfaisant, dans la manière de D. Ghirlandajo.

Marque d’A. Fritag.


Les souvenirs de l’antiquité païenne avaient le privilège d’inquiéter, d’effrayer, l’esprit timoré d’Innocent VIII. Malgré la pression de son entourage, l’enrichissement des collections pontificales le laissa absolument indifférent. Le Musée du Capitole ne s’accrut que de deux morceaux intéressants: le sarcophage trouvé en 1485 sur la voie Appienne, avec la momie de jeune fille, et les fragments d’une statue colossale trouvée près de la basilique de Constantin. A l’occasion de la découverte de la momie en question, dans laquelle on crut reconnaître la fille de Cicéron, et qui attira, comme en pèlerinage, Rome entière, Innocent VIII fit même preuve d’une singulière intolérance: il donna l’ordre d’ensevelir ces restes, de nuit, en dehors de la porte du Pincio, dans un terrain vague .

La cour pontificale n’imitait pas le rigorisme du pape. Dès lors, les reliques de l’antiquité tendaient à détrôner les chefs-d’œuvre nouveaux. Elles occupaient une place d’honneur dans les palais des prélats ou des grands seigneurs, dans les maisons des bourgeois, les ateliers des artistes. Et pendant qu’Innocent VIII négligeait ces trésors, Laurent le Magnifique mettait en coupe réglée, non seulement les ruines de la Ville Eternelle, mais encore celles d’Ostie. En 1488, il acquit entre autres trois

« belli faunetti in una basetta di marmo, cinti tutti a tre da una grande serpe .»

Est-il nécessaire de rappeler quel essor les études archéologiques prirent à ce moment à Rome, principalement grâce à l’initiative de Pomponio Leto, le fondateur de l’Académie romaine! Leto était plus qu’un humaniste, je veux dire un païen, qui s’efforçait de faire revivre, dans sa maison du Quirinal, jusqu’aux mœurs, jusqu’aux croyances de Rome antique.

Avant de clore cette esquisse sur Innocent VIII, je dois donner quelques détails sur ses portraits. Son iconographie comprend, en documents contemporains, ses deux statues funéraires par Pollajuolo; ses médailles, d’une grande précision; puis quelques tableaux, dessins ou gravures trop peu importants pour être énumérés ici; ils nous montrent une physionomie régulière, mais assez terne, avec quelque chose de froid et de compassé .

De toutes les armoiries pontificales du XVe siècle, celles d’Innocent VIII sont les plus compliquées. Nous voilà loin des motifs si nets et si décoratifs, tels que les clefs de Nicolas V, le taureau de Calixte III et d’Alexandre VI, les croissants de Pie II, le lion rampant de Paul II, le chêne de Sixte IV! Innocent VIII portait: de gueules, à la bande échiquetée d’argent et de sable; au chef d’argent, à la croix de gueules.

Pour emblème, Innocent VIII adopta un paon faisant la roue (voulait-il dire par là que «l’homme loyal ne craint pas d’être vu, et qu’il se soumet aux regards du public, qu’expriment les yeux de la queue du paon» ?); pour devise, il fit choix de ces trois mots français: «Leaulté passe tout.»

La famille même d’Innocent VIII ne joua qu’un rôle secondaire en tant que protectrice des arts .

Son fils Franceschetto Cibo (1449-1519), comte d’Anguillara et de Cervetri, tige des princes et ducs de Massa-Carrara, et époux de Madeleine de Médicis, la fille de Laurent le Magnifique, se signala plutôt par un mélange de cupidité et de dépenses folles que par des fondations d’art (en une nuit. il perdit 14,000 ducats) .

Lorenzo Cibo, le neveu du pape (revêtu de la pourpre cardinalice en 1489, † 1503), éleva, dans la Basilique de Saint-Pierre, la chapelle destinée à renfermer le Saint-Sacrement, et une autre chapelle à Sainte-Marie du Peuple. Ce prélat s’installa au palais de Saint-Marc, en 1491, après la mort du cardinal Barbo.

La fille du pape, Teodora, connue par sa belle médaille (Armand, t. II, p. 571; voy. notre planche hors texte), épousa Gerardo Usodimare de Gênes, qui remplit des charges financières importantes à la cour de son beau-père.

Ce fut aux parents des prédécesseurs d’Innocent VIII, aux Borgia, aux Piccolomini, aux Barbo et aux Zeno, aux della Rovere, aux Basso et aux Riario, qu’incombèrent principalement la direction du goût et l’encouragement des artistes.

Le luxe avait atteint à des proportions rares chez les membres du Sacré Collège. Dans le conclave qui précéda l’élection d’Innocent VIII, les cardinaux n’avaient-ils pas stipulé que ceux d’entre eux qui ne jouiraient pas d’un revenu de 4,000 florins recevraient de la Chambre apostolique une indemnité de 100 florins par mois!

Le train de maison d’un cardinal représentait donc une dépense de 200,000 francs, au bas mot.

Le neveu de Calixte III, le cardinal Rodrigue Borgia, le futur Alexandre VI, habitait un superbe palais entre le pont Saint-Ange et le «Campo dei Fiori» . Il se signala par d’importants travaux exécutés dans l’abbaye de Subiaco.

Le cardinal François Piccolomini, neveu de Pie II, et pape sous le nom de Pie III, s’était fait construire un palais magnifique, près du «Campo dei Fiori», entre la «Via pontificia» et le théâtre de Pompée: «in magnificis ædibus, non magis ad dignitatem cardinalatus, quam ad sacerdotalem frugalitatem a se constructis» . Ce palais abrita, jusque vers 1502, le groupe des Trois Grâces. aujourd’hui au musée de la cathédrale de Sienne. Son emplacement est occupé de nos jours par l’église Sant’-Andrea della Valle.

François Piccolomini prit soin de faire exécuter d’avance son effigie sépulcrale: il s’y fit représenter en costume sacerdotal, mitre en tête, les mains jointes .

Le principal représentant de la famille de Paul II, Marco Barbo († 1491), cardinal du titre de Saint-Marc, continua la construction du palais commencé par son oncle. C’était un grand clerc en matière de cérémonial, mais c’était aussi une nature droite et élevée. Il faut lire dans les Diaria d’Infessura sa belle réponse au cardinal della Rovere qui lui proposait de le faire élire s’il voulait céder son palais au cardinal d’Aragon:

« si hoc fecisset, non esset canonice, uti decet, electus. Item quia domus sua est fortior castro Sancti Angeli, et si hoc fecisset fuisset forte causa disturbationis urbis et totius fidei christianæ, quia posset de facili ibi rex (le roi de Naples) venire et facere se dominum Urbis,» etc. .

Un autre neveu de Paul II, Jean Michiel, évêque de Porto et cardinal du titre de Saint-Ange († 1503), fit construire le palais de San-Marcello.

La famille, si vivace, de Sixte IV avait pour représentants les cardinaux Giuliano della Rovere, Hieronimo Basso della Rovere, Domenico della Rovere, Raffaele Riario.

Julien della Rovere, le futur Jules II, avait entrepris et consommé de si grandes choses au temps de Sixte IV qu’il eût pu, à la rigueur, se reposer sur ses lauriers dans son superbe palais des Saint-Apôtres. Mais cette nature fougueuse avait horreur de l’inaction. Il consacra tous ses soins à la mise en état et à l’embellissement de l’important château d’Ostie, dont il crut faire un refuge inexpugnable. Les travaux, poursuivis activement pendant le règne d’Innocent VIII, étaient achevés, ou peu s’en faut, au début de celui d’Alexandre VI.

Dès lors, Julien apportait autant d’emportement que d’ardeur dans la protection accordée aux artistes et dans la recherche des œuvres d’art. En 1488, il entra en lutte ouverte avec Laurent le Magnifique, qui voulait enlever de Rome quelques fragments antiques. En 1491, il écrivit aux députés du dôme d’Orvieto pour les prier ou plutôt pour leur enjoindre de ne pas molester le Pérugin, qui travaillait alors pour lui, probablement au château d’Ostie.

Le cardinal Raphaël Riario, le bâtisseur du palais de la Chancellerie, habita, jusqu’en 1496, le palais de Saint-Apollinaire, qui avait été fondé par le cardinal Guillaume d’Estouteville, et où il eut lui-même pour successeurs ses parents les cardinaux Jérôme Basso et Léonard Grosso della Rovere, évêque d’Agen, qui prirent plaisir à orner cette demeure (Albertini). Raphaël s’est en outre acquis des titres à la reconnaissance de la postérité par les encouragements qu’il prodigua au théâtre. Il chargea l’Académie de Pomponio Leto d’organiser des représentations, tantôt au fort Saint-Ange, tantôt au Forum, tantôt dans son propre palais, et obtint d’Innocent VIII qu’il y assistât. Une preuve de l’intérêt du cardinal pour les études archéologiques nous est fournie par Jean Sulpitius de Veroli; cet érudit lui dédia son édition — la première connue (1486) — de Vitruve.

ARMOIRIES DES MEMBRES DU COLLÈGE DES CARDINAUX

PENDANT LE PONTIFICAT D’INNOCENT VIII

D’après le recueil de Panvinio (1557).


PROMOTIONS DE PAUL II

ARMOIRIES DES MEMBRES DU COLLÈGE DES CARDINAUX

PENDANT LE PONTIFICAT D’INNOCENT VIII


ARMOIRIES DES MEMBRES DU COLLÈGE DES CARDINAUX

PENDANT LE PONTIFICAT D’INNOCENT VIII

(Fin)


PROMOTION D’INNOCENT VIII

Dominique della Rovere, appelé le cardinal de Saint-Clément († 1501), qui, sous le pontificat précédent, avait enrichi Rome de divers édifices — le palais Scossa-Cavalli, etc. — fit construire, sous Innocent VIII, la chapelle qui porte son nom à Sainte-Marie du Peuple. Le peintre auquel il confia la décoration n’était autre que Pinturicchio. A Turin, Dominique fit élever, en 1492, par Baccio Pontelli, la façade de la cathédrale; à Montefiascone, il fit restaurer la cathédrale.

Le cardinal Jérôme Basso della Rovere, évêque de Macerata-Recanati-Lorette, de 1476 à 1507, date de sa mort, a eu la gloire de présider aux travaux entrepris dans le sanctuaire de la dernière de ces villes par Giuliano et Benedetto da Majano, et par Giuliano da San-Gallo.

Un autre neveu de Sixte IV, le farouche Jérôme Riario, comte d’Imola et de Forli, et sa femme, la non moins fougueuse Catherine Sforza, quittèrent Rome après la mort de leur oncle pour se fixer dans leurs États, emmenant avec eux le grand peintre Melozzo.

Barthélemy della Rovere, frère de Julien et évêque de Ferrare, de 1474 à 1494 ou 1495, semble avoir principalement résidé dans son diocèse: c’est là, très certainement, que Sperandio exécuta la médaille qui nous fait connaître les traits de ce prélat.

Parmi les cardinaux n’appartenant pas à des familles papales, le Mécène le plus insigne fut Olivier Caraffa de Naples († 1511). Ce prélat s’est immortalisé par deux créations, dont l’une, toutefois, appartient au pontificat de Jules II: la décoration de la chapelle de Saint-Thomas d’Aquin, à la Minerve, qu’il confia à Filippino Lippi, et la construction du cloître de Santa-Maria della Pace (1504), une des œuvres les plus pures de la seconde manière de Bramante. L’autel de l’Annonciation, dans la chapelle en question, se compose d’un élégant encadrement sculpté, avec des pilastres historiés: au centre, une peinture de Fil. Lippi, représentant l’ange qui apparaît à la Vierge, le lis à la main, et saint Dominique qui présente à la Vierge le donateur.

Pour son usage personnel, Caraffa fit construire, sur le Quirinal, une villa «cum vinea et hortulo et aliis locis multis, picturis et epitaphiis exornatis cum epigramm. multis» (Albertini).

Le souvenir de Caraffa est en outre lié à celui de la fameuse statue de Pasquin: en 1501 ce prélat fit relever et placer sur un socle le marbre antique.

Les traits de ce prélat, ami des arts, à qui sa ville natale doit également de précieuses fondations, nous ont été conservés par le Pérugin, dans l’Assomption de la Vierge du Musée de Naples (le cardinal y est représenté à genoux, à côté de saint Janvier), et par l’auteur de la statue agenouillée, dans la crypte de la cathédrale de la même ville.

Le cardinal Jean de Médicis n’avait pas de palais à lui; il habitait, près de l’église Saint-Eustache, un palais appartenant aux Ottieri. En 1505 seulement, il fit l’acquisition de cet immeuble, qui reçut dans la suite le nom de Palais Madame. C’est là qu’il installa, en 1508, la bibliothèque de son père, qu’il venait de racheter aux moines de Saint-Marc de Florence, ainsi que des statues et des peintures. Dans la suite, le cardinal se fit aménager une «vigne» près de l’église Sainte-Agathe.

Passons rapidement en revue les autres membres du Sacré Collège fixés à Rome.

Ascanio Sforza, frère de Ludovic le More (créé cardinal en 1484), demeurait près de l’hôpital des Allemands.

Lors de l’arrivée du prince de Capoue, Ascanio se distingua par la richesse du festin qu’il lui offrit: on n’aurait pas pu faire davantage pour le roi de France ou n’importe quel autre monarque.

Le cardinal d’Aragon († 1485) avait son palais près de San-Lorenzo in Lucina.

Frédéric Sanseverino, créé, en 1489, cardinal du titre de Saint-Théodore, était installé dans une villa voisine de l’église de Sainte-Agathe et remarquable par ses «viridaria perpulchra» (Albertini).

Antonietto Pallavicini († 1507), cardinal du titre de Sainte-Praxède, habitait près de cette basilique. Il se fit élever, à Sainte-Marie du Peuple, le tombeau que l’on voit encore. Son souvenir se rattache également à une image de la Vierge renfermée dans un cadre en marbre sculpté, qui, de la chapelle de Saint-Antoine, fondée par ce prélat, a été transportée dans les Grottes vaticanes.

J.-J. Schiafenata, cardinal du titre de Sainte-Cécile, près de Saint-Étienne le Rond († 1497), est représenté par son mausolée, dans l’église Saint-Augustin.

Le cardinal Ardicino della Porta, de Novare († 1493), se faisait remarquer par son humilité plus que par sa magnificence. Le tombeau de ce saint personnage se trouve dans les Grottes du Vatican.

Un seul cardinal français, Jean La Balue (f 1491), faisait figure à Rome. Il se signalait par sa cupidité (il laissa en mourant une centaine de mille ducats) non moins que par sa violence: c’est ainsi qu’en 1486, en plein consistoire, il traita le cardinal Borgia de «marranus et filius meretricis». Il est vrai que celui-ci l’avait traité d’ «ebrius». Son palais était un repaire de spadassins . L’esprit de la Renaissance aurait-il, d’aventure, été pour quelque chose dans ces mœurs? Personne, on le sait, n’y était plus étranger que La Balue.

De loin en loin, La Balue se chargeait de quelque commission du domaine de l’art. Nous l’apprenons par la lettre qu’il adressa, le 4 mars 1490, au roi Charles VIII: «Sire, lui dit-il, vous m’avez escript par Monsieur de Faucon que je vous face paindre Rome. Je la vous envoieray le plus brief que fère ce pourra. Je la fays fère en manière que vous la puissiez entendre comme si vous estiez sur le lieu.»

Plus féconds furent les efforts d’un autre prélat français, Guillaume de Périer, auditeur de la Rote (mort en 1500, à l’âge de quatre-vingts ans). Périer enrichit les basiliques romaines de toute une série d’autels en marbre, élégamment sculptés: 1490, l’autel des Saints-Etienne et Laurent, qui, de la basilique de Saint-Laurent hors les murs, a été transporté dans celle de Sainte-Agnès; 1492, un autel au Latran; 1494, un autel à Saint-Pierre et un autre à Saint-Paul hors les murs; 1497, l’autel de la Vierge à Sainte-Marie du Peuple. En 1491, Périer chargea le célèbre peintre romain Antonazzo de décorer la chapelle de Pierre Altissen, secrétaire d’Innocent VIII († 1490), à Sainte-Marie de la Paix. Antonazzo devait y peindre, au prix de 60 ducats d’or, la Transfiguration, la Vierge tenant l’Enfant Jésus, entre saint Sébastien, saint Julien, Allisen et Périer.

Un autre de nos compatriotes, Régnault Duchamp, massier pontifical, nous est connu par son tombeau, élevé à «San Salvatore in Thermis» (1485). Le défunt est représenté couché tenant à la main la masse d’armes pontificale.

Accordons aussi un souvenir à Jean Villiers de la Groslaye. abbé de Saint-Denis, dont le rôle en tant que Mécène ne s’affirma toutefois que sous Alexandre VI.

Quant à Thomas James, évêque de Saint-Pol de Léon, puis de Dol, et gouverneur du fort Saint-Ange, son activité semble s’être surtout exercée au temps de Sixte IV.

Le cardinal Pierre Gonsalve de Mendoza, archevêque de Tolède et primat des Espagnes († 1495), ne s’intéressait que de loin aux choses romaines. Ce fut lui qui fit restaurer à Santa Croce in Gerusalemme (1492). A cette occasion, on découvrit l’inscription de la vraie croix au milieu de l’arc de la tribune. Mendoza fit en outre organiser à Rome, en 1492, une représentation ayant pour titre «Ferdinandus servatus» (Ferdinand le Catholique venait en effet d’échapper, à Barcelone, aux coups d’un assassin). Cet événement fournit le sujet d’un fort mauvais drame fantastique à C. Verardi, qui en traça le plan et le fit mettre en vers par son neveu, Marcellin Verardi. La pièce, décorée du nom de tragi-comédie, fut jouée devant le pape et un grand nombre de cardinaux et d’évêques.

Georges Costa, surnommé le cardinal de Portugal († 1508), habitait le palais de San-Lorenzo in Lucina, près de l’arc de Domitien, d’où le nom de «arco di Portogallo», donné à ce monument. Ce prélat fonda, en 1489, l’autel de Sainte-Catheline, à Sainte-Marie du Peuple.

Parmi les souverains étrangers fixés à Rome, la reine Charlotte de Chypre († 1487) tient le premier rang .

Prisonnier comme il l’était, le frère de Bajazet, le malheureux Djem, ne pouvait être qu’un objet de curiosité pour les Romains ainsi que pour les étrangers; il lui était interdit de jouer le rôle de Mécène.

Ce fut sous le règne d’Innocent VIII également que le futur prince des Mécènes romains, Agostino Chigi, s’établit sur les bords du Tibre. Il s’y fixa en 1485 et ne les quitta plus désormais.

Le train de vie de tous ces prélats ou grands seigneurs n’est pas difficile à restituer. Un luxe raffiné s’y mêlait à des divertissements bruyants: à des banquets dignes de l’ancienne Rome, à des ameublements somptueux, faisaient pendant des exercices violents; la chasse passionnait plus d’un membre du Sacré Collège. Les représentations théâtrales pouvaient, somme toute, passer pour les moins profanes de ces fêtes.

Nous attachons-nous à la physionomie des rues, Rome était alors ce qu’elle a été, dans ses lignes générales, jusqu’à ces dernières années: une agglomération de vastes terrains vagues, jalonnés par quelques ruines, de palais grandioses, qui avaient peine à s’isoler (tel le palais de Saint-Marc, édifié par Paul II), et de ruelles tortueuses. Un grand nombre de demeures avaient, à coup sûr, gardé leur tournure de forteresse: des mâchicoulis, des créneaux, en couronnaient le faîte. Heureusement des cortèges somptueux venaient à tout instant animer et embellir un cadre, somme toute, encore si sévère.

En terminant cette notice préliminaire, je dois indiquer les principales sources imprimées dont je me suis servi pour le pontificat d’Innocent VIII. Ce sont, avant tout, le Journal d’Infessura, dont nous possédons enfin, grâce à l’initiative de M. Tommasini, une bonne édition critique, et le «Diarium» de Burchard publié dans son intégrité par M. Thuasne.

Un auteur florentin du XVIe siècle, Francesco Serdonati, a composé en 1595 une vie d’Innocent VIII, qui n’a toutefois vu le jour que longtemps après. Les fondations artistiques du pape y sont énumérées en quelques lignes (p. 79, 81).

Parmi les ouvrages généraux sur l’histoire de la Papauté et sur celle de la ville de Rome, il est à peine nécessaire de rappeler ceux de mes regrettés amis Alfred de Reumont et Ferdinand Gregorovius, ainsi que le savant travail du professeur L. Pastor, dont le troisième volume vient de voir le jour.

Les arts à la cour des papes Innocent VIII, Alexandre VI, Pie III (1484-1503)

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