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CHAPITRE VII.
LES RESTAURATEURS.
ОглавлениеAPRÈS avoir pourvu à son logement, le voyageur doit s’occuper de sa nourriture, et sans être gastronome, il doit attacher quelqu’importance au choix d’un restaurant, parce que sa santé dépend du régime de vie qu’il adoptera, et des aliments dont il fera usage.
Il n’y a pas de pays au monde où le voyageur et l’étranger aient plus de facilité pour vivre à leur fantaisie et selon leur fortune que la ville qu’ils habitent en ce moment. Ils y trouvent des dîners à tous prix, et des mets de toute espèce. Ils pourront dépenser depuis quinze sous jusqu’à cinquante francs et plus pour un repas; c’est à eux de consulter leurs goûts et leurs ressources.
Différentes sortes de maisons sont ouvertes à l’appétit public, nous allons les passer en revue. Les tables d’hôte ont cela d’agréable, qu’après quelques jours, on y a fait des connaissances et qu’on y jouit du plaisir de la conversation; mais aussi, les dîners qu’on y prend ressemblent beaucoup a ceux que l’on a faits le long de la route, dans les auberges où l’on s’est arrêté; il faut y enlever les mets à la pointe de l’épée. Un dîneur assis à une table d’hôte, doit avoir un estomac robuste et une mâchoire infatigable. Je plains celui qui mange lentement et a besoin de bien triturer ses aliments; à peine a-t-il goûté d’un plat, qu’il ne reste plus rien des autres. Que sera-ce, grand dieu! s’il est parleur, s’il s’est engagé dans un récit un peu long, ou si, trop attentif à la conversation d’un voisin, il s’est arrêté pour ne rien en perdre; il doit nécessairement dîner par cœur, ou manger les restes.
Dans toutes les tables d’hôte, il y a un officier tranchant chargé de découper et de servir les convives. Si ce soin est pris par le maître de la maison, les parts sont faites avec équité, parce que le maître a intérêt de ne mécontenter personne; s’il est pris par un des convives, celui-ci, qui a l’habitude de la table où il se trouve, s’arrangera si bien, que le meilleur morceau, inaperçu ou enterré sous les autres, lui restera toujours.
Les tables d’hôte sont, en général, mai servies, et toutes celles où l’on offre, par les petites affiches, cinq à six plats pour le prix de trente à quarante sous par tête, sont autant de pièges dans lesquels on ne doit pas tomber, si l’on tient à faire un dîner sain et suffisant.
Il en est cependant qui sont ordinairement tenues par des dames, et servies avec abondance et délicatesse. On y trouve une société aimable qui a tout l’air de la bonne compagnie. On a pour voisines des femmes jeunes, agaçantes et jolies. Le prix n’est pas élevé, et le voyageur inexpérimenté s’étonne qu’on puisse le traiter comme on le fait, pour l’argent qu’on lui demande; il en conclut avec simplicité, que la maîtresse de la maison n’entend pas le métier qu’elle fait, et se ruine par bonté d’âme. Oh! que non, attendez; à peine a-t-on pris le café, que sous prétexte de faire la conversation, on passe dans un salon voisin; des tables de jeu sont préparées, on vous invite à vous y asseoir. Le dîner s’est prolongé long-temps, il est trop tard pour aller au spectacle, que faire? Vous cédez, comptant n’engager qu’une partie modeste à dix sous la passe, comme vous la jouez chez vous. On vous propose un écarté à cinq francs, vous êtes assis, vous ne voulez pas passer pour un homme qui craint de risquer une aussi faible somme, ou qui n’a pas le moyen de la perdre; vous vous laissez enfiler par amour-propre, et vous rentrez a votre hôtel plus léger de quelques centaines de francs. Quant à la maîtresse de la maison, sur laquelle vous aviez à table la bonté de vous appitoyer, elle se retrouve amplement sur le produit du flambeau, de ce qu’elle a pu perdre sur votre dîner.
Les femmes qui tiennent ces sortes de tables, sont toujours, selon leurs habitués, des personnes fort recommandables; l’une est la veuve d’un officier général qui n’a point de pension, l’autre est la veuve d’un préfet injustement destitué et mort de chagrin... etc.; rien de tout cela n’est vrai. La maîtresse de la maison est presque toujours une aventurière, que la police surveille, et dont elle ne peut fermer le repaire; quant à la société qui vous environne, les hommes sont des chevaliers d’industrie, intéressés dans les revenus du tripot, et les femmes des prostituées ou tout au moins des filles entretenues, très-disposées à vous dépouiller de ce que vous avez pu, par une retraite prudente, arracher à la rapacité des joueurs.
Une table d’hôte, quand même elle serait bien tenue et qu’on y serait toujours environné d’une bonne société, a ce désagrément; qu’il faut y arriver à l’heure. Il est vrai que quand on ne dîne pas, on ne paie pas; mais lorsqu’on a pris ses habitudes et qu’il faut les changer, ne fut-ce que pour une fois, on est tout dépaysé. Or, comme un étranger ne peut répondre qu’il aura fini, ou qu’il pourra suspendre ses affaires à telle ou telle heure, il ne convient pas qu’il s’impose une obligation que souvent il ne pourra pas remplir. Il est mieux qu’il mange chez un restaurateur, il dînera-quand il voudra et où il voudra.
Les murs de la Capitale sont couverts d’affiches où l’on offre des dîners à prix fixe. Ces dîners sont quelquefois suffisans, mais le plus souvent ils sont exigus et malpropres; les mets sont mal préparés, les viandes dures et coriaces, les poissons à demi gâtés, l’huile rancie. Pour s’en accommoder, il faut être armé de l’appétit vigoureux d’un jeune étudiant, ou avoir la faim vorace d’un Auvergnat.
On doit choisir un restaurateur, autant qu’on le peut, dans les environs du Palais-Royal: pour quatre à cinq francs on dînera très–confortablement. Si l’on a fait un déjeuner un peu substantiel, et qu’on ne se trouve pas en appétit, c’est un très-sot amour-propre de demander, après le premier plat, un mets auquel on ne touchera point, pour ne pas avoir, aux yeux du garçon qui sert, ou de la dame du comptoir qui fait la carte, l’air de dîner à bon marché. Ni l’un ni l’autre ne pensent a vous, soyez en sûr, si non pour être à votre commandement, et recevoir votre argent. A peine serez-vous sorti, qu’ils ne se souviendront ni de vous, ni de votre dîner.
Prendre la carte à payer qu’on vous présente, y jeter un coup d’œil distrait, la solder et la chiffonner ensuite, n’est pas se donner un air de grandeur, mais faire un métier de dupe. Avant de compter votre argent, il est bien de vérifier si on ne vous demande que ce que vous devez. Non pas que les restaurateurs soient, dans leurs calculs, sujets à caution, mais, comme tous les autres hommes, ils sont exposés à l’erreur: dans une salle où soixante à quatre-vingts dîneurs se pressent et demandent tous à la fois, un garçon peut s’étourdir; une dame à qui on réclame en même temps cinq à six cartes, peut, de son côté, perdre aussi la tête, et vous envoyer la carte de votre voisin, qui a dépensé deux fois plus que vous, ou vous porter des mets que vous n’aurez pas eus. Avant de lâcher son argent, il faut donc s’assurer que le compte est juste.