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CHAPITRE V.
L’ARRIVÉE.
ОглавлениеLORSQUE la voiture est entrée dans la cour des messageries, et que chacun descend de la prison ambulante, dans laquelle il est cahoté depuis plusieurs jours, l’arrivant, comme je l’ai dit ne doit témoigner aucun étonnement. Le bruit dont il est frappé, le mouvement qui l’environne, rien ne doit lui paraître étranger. Un air de stupéfaction ferait rire à ses dépens, allécherait bientôt un ou deux de ces honnêtes industriels, oisifs par calcul, observateurs par métier, qui flairent à cent pas, et reconnaissent, entre cinquante, la figure candide d’un provincial; il ne tarderait pas à avoir à sa suite un ou plusieurs officieux qui, s’il les accueillait, lui fourniraient bien d’autres motifs d’étonnement.
Comme je l’ai dit aussi, il faut bien se garder de croire qu’on a formé une liaison avec ses compagnons de route; qu’on est en droit de leur rendre visite, et de réclamer leurs bons offices. Tel homme qui, pendant plusieurs jours, vous a traité avec politesse, ne vous reconnaît déjà plus en mettant pied à terre, vous a oublié complétement quand il est entré chez lui, ou ne s’en souvient que pour amuser sa famille des ridicules qu’il croit avoir remarqués en vous. Je reviens sur ce point, parce qu’un provincial qui sort pour la première fois de son endroit, pourrait facilement s’y tromper, se faire recevoir avec froideur, par un compagnon de voyage dont il attendrait un accueil favorable et amical, ou, ce qui est pis encore, se jeter à la tête d’aventuriers et de fripons, qui, profitant de son inexpérience, le meneraient loin.
A mesure que les compagnons avec lesquels on a fait la route, se dispersent, on leur doit un salut et quelques mots de civilité. Il est bien de demander galamment pardon aux dames des petites incommodités qu’on a pu leur causer dans la voiture, leur présenter la main pour monter en fiacre, si elles en prennent un, et n’ont personne pour leur rendre ce léger service; après cela, il faut s’occuper de soi.
Quand les hommes de peine descendent les malles et valises, il faut reconnaître la sienne de suite, ne la point perdre de vue, et prendre garde qu’un voyageur commettant une erreur quelquefois volontaire, ne fasse enlever lestement une malle bien remplie et bien lourde, pour ne laisser, à la place, un mauvais coffre qui ne contient que des haillons. Il faut craindre aussi qu’un de ces industriels, qui surchargent le pavé de Paris, ne se présente hardiment comme voyageur, et ne fasse charger sous vos yeux la valise qui vous appartient, et ne disparaisse sur-le-champ. L’administration ne répond pas de ces accidens-là, qui sont rares, mais qui peuvent survenir.
Dès qu’un provincial et un étranger mettent pied à terre, ils sont assaillis de serviteurs officieux, de commissionnaires, qui leur offrent leurs services pour le transport de leurs effets. Si on prend le premier venu, on est exposé à se confier à un fripon qui, au premier détour, enfile une allée qu’il connaît, et qui conduit dans une rue écartée, où il disparaît sans qu’on sache ce qu’il est devenu. Si on a pris ainsi un commissionnaire au hasard, le meilleur parti est de marcher à côté de lui, ou sur ses talons sans le quitter de l’œil, et de le suivre hardiment dans tous les passages qu’il prendra.
Le moyen de ne courir aucun risque, est de choisir pour commissionnaire un homme porteur d’une plaque, sur laquelle est gravé en creux un numéro, et de bien retenir ce numéro dans sa mémoire, jusqu’à ce qu’on soit arrivé à l’hôtel. Pour surcroît de précaution, on peut, avant de lui confier sa malle, le présenter au bureau, et demander s’il y est connu. Quand les employés ont répondu de sa moralité, on n’a rien à craindre.