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CHAPITRE III.
IDÉE GÉNÉRALE DE PARIS.

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Table des matières

LE voyageur approche de Paris, et avant de l’y introduire, je crois qu’il est de mon devoir de lui en donner une idée générale. Quant à la connaissance particulière il l’acquerra lui-même; puisse-t-il ne la pas payer trop cher: c’est ce que je cherche a lui éviter par mon livre.

Paris est la réunion de tous les contrastes: à côté de l’excessive opulence, on y trouve la plus affligeante misère; à côté du luxe le plus éblouissant se rencontre la plus triste nudité; des masures sont adossées à des palais.

L’étranger qui, sur les lectures et sur le rapport que lui ont fait des voyageurs soigneux de dissimuler la partie honteuse de leurs remarques; l’étranger, dis-je, qui se figure que cette capitale de la France et du monde civilisé ne renferme dans son enceinte que des gens riches, heureux, sans cesse occupés de leurs plaisirs, et toujours en contemplation devant les chefs-d’œuvre qui les environnent, s’en fait une très-fausse idée. Ces monuments somptueux qu’il regarde avec tant d’admiration et d’enchantement, ne sont pour ceux qui les voient tous les jours, qui les possèdent, et ne seront bientôt pour lui-même, qu’une masse de pierres arrangées avec simétrie et suivant quelques règles d’architecture; les plaisirs qui semblent naître sous les pas des Parisiens, ne s’achètent, et il l’apprendra à ses dépens, qu’au poids de l’or, et cet or il faut l’acquérir par le travail ou de toute autre manière.

Un séjour de quelques semaines aura bientôt désenchanté l’étranger; et quand il aura vu combien la vie du Parisien est occupée et remplie, combien le besoin de gagner lui impose de courses et de démarches, il commencera à comprendre qu’il n’habite pas tout-à-fait un pays de Cocagne.

Que dira-t-il quand il verra des jeunes gens, forts et vigoureux, consumer leur journée à déplier et replier des étoffes, pendant que, devant leur porte, passe une femme courbée sous une botte, et chargée d’un fardeau sous lequel ploierait un cheval. Quelle réflexion fiera-t-il quand on lui apprendra que des hommes fabriquent et vont essayer à la pratique, les corsets de nos élégantes, lorsque des femmes font de leurs mains, cette partie de notre habillement dont une pudique anglaise ne doit pas même entendre prononcer le nom, et que Louvet, dans son roman de Faublas, a nommé le vêtement nécessaire? Que pensera-t-il, quand on lui fera voir?.... que Paris est la ville des contrastes, comme je l’ai dit au commencement de ce chapitre, et que le travail y est aussi sévèrement imposé que partout ailleurs?

Les hommes arrivés de tous les pays, et qui forment le fond de la population de la capitale, viennent unir aux contrastes qui mussent de la différence des positions, sociales, celles qui ressortant de la figure, de la couleur, du langage et des inclinations natives. De la il résulte qu’il n’y a point à Paris de caractère fixe, ni de physionomie dé. cidée. Le Parisien de pure race, noyé dans les flots d’étrangers au milieu desquels il circule, n’est plus reconnaissable aujourd’hui: il a tant emprunté des uns et des autres, qu’il ne conserve rien de lui-même, qu’il est impossible de le bien définir; et le mouvement continuel de va et vient, qu’éprouve la population dont il fait partie, tend sans cesse à le dénaturer encore davantage.

Aux contrastes dont je parle plus haut, il faut encore unir ceux qui tirent leur origine de la présence ou de l’absence de principes religieux et de vertus morales: il faut donc s’attendre à rencontrer à Paris des hommes actifs, laborieux, sobres, tempérans, et des hommes paresseux, nonchalans, dissolus, débauchés. Il en est qui ne veulent devoir leur existence qu’a un travail honnête, et une foule qui la demandent à une industrie criminelle: vingt mille se lèvent tous les matins sans savoir comment ils dîneront, et à la fin de la journée, tous, les uns par force, les autres par adresse, ont conquis leur dîner. A cette occasion, j’emprunterai au spirituel auteur de l’Ermite de la Chaussée-d’Antin un passage qui peint parfaitement la classe la moins redoutable de ces nombreux industriels.

Voici comment s’exprime mon auteur: «Croira-t-on qu’il existe dans cette grande capitale une classe assez nombreuse de gens qui ne possèdent pas un sou, qui n’exercent aucune profession, qui n’ont ni parens ni amis, dont la conduite n’a rien de légalement répréhensible, et qui trouvent cependant le moyen de mener une vie assez douce? Voici la solution de ce singulier problème. L’nomme que nous prendrons pour type de l’espèce dont il est question, sort de chez lui de fort bonne heure: une pièce d’estomac de batiste, bien blanche et bien plissee, supplée à la chemise qui lui manque; une cravate noire lui donne un air militaire dont il peut tirer parti au besoin; le drap de son habit, vu de près, laisse un peu à découvert le travail du tisserand; mais, à tout prendre, il est proprement vêtu; il peut, sans être désagréablement remarqué, se présenter partout: c’est le point important. On l’a pris à témoin, la veille, dans un pari dont la perte entraîne un déjeuner au Rocher-de-Cancale, a la Porte-Maillot, ou sous la rotonde du Palais-Royal: il s’y trouve naturellement invité, et ne manque jamais d’arriver le premier au rendez-vous. Vers quatre heures, il entre dans une maison de jeu, examine attentivement la figure et la contenance des joueurs, et s’attache de préférence à l’étranger que la fortune favorise. Un joueur qui gagne dîne bien, et n’aime pas à dîner seul: notre homme accompagne le ponte heureux chez le restaurateur, s’assied a table avec lui, et dîne a ses dépens. Le dîner fini, il court au café Minerve, rendez-vous général des claqueurs dramatiques: il y a toujours quelque pièce nouvelle, quelque reprise, ou quelque rentrée d’actrice: notre homme est particulièrement connu du chef de file, à qui les billets sont prodigués dans ces jours solennels, il en obtient deux, court dans les galeries du théâtre, et propose à un provincial une entrée gratis que celui-ci accepte avec reconnaissance. Placés l’un auprès de l’autre, l’habitué raconte à son voisin toutes les anecdotes de coulisses, lui dit le nom de chaque acteur, lui apprend quel est l’amant de chaque actrice, et lui fait l’histoire des chûtes et des succès de l’auteur qu’on joue. L’offre d’un bol de punch ou d’un riz au lait, après le spectacle, ne saurait payer tant de complaisance: on se sépare très-satisfaits l’un de l’autre, avec promesse de se revoir le lendemain, et la connaissance intime commence, de la part de l’officieux désœuvré, par l’emprunt d’un ou de deux écus de six francs, qui servent à payer une quinzaine de la mansarde qu’il occupe rue Saint-Jean-de-Beauvais.»

Mais pendant que je converse avec le voyageur, la voiture qui l’amène a franchi la barrière, est entrée dans Paris, et le voilà au but de son voyage.

Le paravoleur

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