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CHAPITRE III.
LES AUBERGES.

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Table des matières

J’AI peu de chose à dire sur la conduite à tenir dans les auberges, sinon qu’il faut y prendre le temps comme il vient et le dîner comme il se trouve. Il est de mauvais ton de se récrier contre le vin, contre les mets, contre le prix du dîner qui est ordinairement fixé: tout le bruit que l’on fait en pareil cas se perd dans les airs. L’hôte, calme, immobile, est un roc qui a brisé les vagues de la colère de bien des voyageurs, et que n’ébranlera pas la vôtre. Il ne vous connaît pas, il ne vous reverra jamais; l’important pour lui n’est pas que vous trouviez sa cuisine bonne et ses vins délicats, mais que vous les payiez.

A la table de l’auberge on est tenu à des égards vis-à-vis de ses compagnons, et surtout de ses compagnes de voyage; mais on ne doit pas oublier que l’affaire principale pour laquelle on y est assis, est de manger. Il faut donc le faire avec promptitude, parce que le temps que l’on a à donner à cette occupation, qui a bien son mérite, est sévèrement mesuré, que le conducteur est là, que les postillons attèlent, et que l’on va partir.

Il faut donc ne pas se confondre en civilités, et n’être poli que tout juste. On doit surtout redouter ces commis-voyageurs, qui sans perdre un coup de dent, et oublier les meilleurs morceaux, ont toujours quelque histoire facétieuse à dire, quelque sermon burlesque à débiter. Le provincial qui reste devant eux la bouche béante et la fourchette en l’air, s’amuse beaucoup sans doute, mais ne mange pas, et quand il faut partir il se trouve qu’il a dîné de rire, comme les écuyers de Beauce déjeunaient de bâiller.

Si l’on doit craindre de trop écouter, il faut craindre aussi d’en trop dire. La conversation d’un voyageur qui dîne, doit être brève; il ne doit jamais questionner, et si on le questionne, il doit répondre en peu de mots, et n’employer, s’il se peut, que des monosyllabes.

Voici un modèle de dialogue qu’un voyageur fera bien d’étudier.

Un plaisant rencontra un jour un Carme qui, armé d’un grand appétit, prenait sa réfection dans une auberge. Voyant le bon père procéder à cette œuvre avec une véritable dévotion, il entreprit de l’en distraire par une conversation qui lui fît perdre de vue son sujet. Voici comme il y réussit.

Il l’aborde et lui dit, d’un air d’intérêt: Bonjour mon père, êtes-vous du couvent de cette ville?

–Oui.

–Comment est votre couvent?

–Beau.

–Combien y êtes-vous de pères?

–Neuf.

–Votre règle est-elle sévère?

–Non.

–Comment vivez-vous?

–Bien.

–Que mangez-vous?

–Pain.

–Quel pain?

–Bis.

–Quoi de plus les jours gras?

–Chair.

–Quelle chair?

–Bœuf.

–Quelle autre encore?

–Veau.

–Quelle volaille?

–Oie.

–Quel potage mangez-vous les jours maigres?

–Riz.

–Que met-on dedans pour l’accommoder?

–Lait.

–Ce potage, comment est-il?

–Bon.

–Que vous sert-on après?

–OEufs.

–Comment les mangez-vous?

–Cuits.

–De quelle manière?

–Durs.

–Que mangez-vous encore en Carême?

–Pois.

–Quels pois?

–Secs.

–Quand on vous fait de la soupe, que met-on dedans?

–Choux.

–Quels choux?

–Verts.

–Et pour assaisonnement?

–Lard.

–Vous ne mangez pas de fruits?

–Si.

–Et quels?

–Noix.

–Que buvez-vous à déjeuner?

–Vin.

–Quel vin?

–Blanc.

–A dîner?

–Vieux.

–Et de l’eau?

–Point.

–Comment buvez-vous en été?

–Frais.

–Et l’hiver?

–Chaud.

–Quel est le meilleur buveur du couvent?

–Moi.

–Combien videz-vous de bouteilles sans perdre la raison?

–Dix.

Quelque chose que fit le plaisant, il ne put arracher du bon religieux d’autres réponses que celles-ci, et le distraire de l’ouvrage dans lequel son esprit était absorbé.

Si l’on couche dans une auberge, il faut s’attendre, malgré la demande que l’on fait de draps bien blancs de lessive, d’en avoir qui auront déjà servi à d’autres voyageurs, et qu’on aura tout simplement repassés et repliés avec soin. Souvent cela est sans inconvénient, mais aussi cela peut avoir des suites graves. Quand on fait un voyage un peu long, il est donc prudent de porter ses draps et de les faire mettre tous les soirs dans le lit qu’on doit occuper.

Un voyageur qui se respecte, s’abstient de rien dire aux servantes d’auberge qui le servent, quelque gentilles qu’elles soient d’ailleurs. Elles appartiennent de droit aux postillons, aux rouliers, et il ne convient pas à un homme bien élevé d’arriver après tout ce monde-là. D’ailleurs les souvenirs que l’on conserve de ces faciles conquêtes sont quelquefois bien cuisans et bien longs.

Le paravoleur

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