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PRÉFACE.

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IL n’y a pas long-temps encore qu’un provincial qui se disposait à venir à Paris, surtout s’il était d’une ville éloignée, faisait presque autant de préparatifs qu’un pélerin qui se dispose à passer en Palestine, et à visiter les lieux saints: il dressait l’acte authentique de ses dernières volontés, entendait une messe solennelle, recevait les derniers sacremens, et, le long de la route, récitait les prières des agonisans. Telle était la frayeur qu’inspirait Paris autrefois, telle était l’idée qu’on avait des périls qu’y courait un étranger, que, dans une famille, on regardait comme perdu celui de ses parens qui osait en entreprendre le voyage, et en braver le séjour.

Cette terreur, qui nous paraît aujourd’hui ridicule, était cependant fondée, et reposait sur des traditions et des souvenirs qui dataient du bon vieux temps, si préconisé de nos jours; du bon vieux temps qu’on cherche tant à nous ramener, pour l’édification de ce siècle maudit, si diaboliquement éclairé par la raison, les sciences et la philosophie. Nos bons grands-pères se souvenaient d’avoir entendu dire à leurs grands-pères, qui eux-mêmes le tenaient des leurs, qu’il fut une époque où l’amusement des jeunes seigneurs de la cour, voire des princes du sang royal, était de se porter nuitamment sur le Pont-Neuf, et là, l’épée au poing, d’attaquer en nobles coupe-jarrets les passans qui se trouvaient attardés, de les dépouiller de leurs manteaux; et quand ils osaient faire quelque résistance, de les percer de coups, et d’en jeter les cadavres dans la Seine.

Ils savaient, nos bons grands-pères, que sous le règne de Louis-le-Juste, dont on vient de relever la statue à la place Royale, pour la plus grande gloire de Richelieu, son ministre et son maître, et pour la satisfaction personnelle des membres obscurs de la famille de ce nom; ils savaient, dis-je, nos bons grands-pères, que Paris, livré à une horde de malfaiteurs et de brigands, tous attachés par la domesticité aux premières familles du royaume, était un théâtre permanent de meurtres, assassinats, violences et voleries; que la maison d’un citoyen était forcée toutes les nuits, et que, malgré les arrêts du parlement, les plaintes du Roi lui-même, la capitale de Sa Majesté Très-Chrétienne offrait à un homme paisible un asile beaucoup moins sûr que les grandes routes, lorsqu’elles étaient, de nos jours, parcourues dans tous les sens, par ces preux qui faisaient la guerre aux diligences en faveur de la bonne cause.

Nos bons grands-pères, j’en reviens toujours à eux, avaient donc raison de ne penser à Paris qu’en tremblant, et de regarder comme bien aventuré l’homme téméraire qui osait s’enfermer dans son enceinte. Mais, ce que ne savent pas ceux qui ne se nourrissent que de traditions reculées, et qui datent de loin, c’est qu’à ce siècle un peu turbulent succéda un siècle doux, poli, chaste, chaste surtout, dont le neveu de Louis XIV et son arrière-petit-fils furent les deux flambeaux. Ils ne savent pas, ces braves gens, que depuis que les grands seigneurs n’assassinent plus, le métier est décrédité, et que ceux qui l’exercent sont saisis par la justice, qui les pend le plus vite et le plus haut qu’elle peut; ils ne savent pas, enfin, qu’à Paris, la vie d’un homme est aussi en sûreté qu’ailleurs, pourvu qu’il ne tombe pas entre les mains de la faculté.

Je dis, ils ne savent pas, et j’ai tort, car ils savent aujourd’hui. Depuis la révolution, il est tant venu d’hommes à Paris, qui sont retournés sains et saufs dans leur village, qu’on a fini par comprendre que cette ville n’était pas tout-à-fait l’antre du lion, ou la caverne de Cacus, et que, si l’on y entre, on en sort parfois. Dès-lors la province s’est aguerrie, si bel et si bien, que de toutes parts il arrive à Paris une nuée de gens qui, il y a soixante ans, n’auraient pas même osé parler de ce terrible voyage sans avoir la chair de poule.

On a raison de ne rien redouter; mais on aurait tort de ne rien craindre. Le règne de la violence est passé, les assassins ne sont plus; mais celui de l’adresse a commencé, et les industriels sont là: une guerre permanente de ruses existe entre celui qui possède et celui qui n’a rien, et le provincial, qui vient à Paris pour y jouir de quelques jours de plaisir, est exposé à des attaques si vives et si répétées, que c’est un grand bonheur s’il échappe sans laisser sur le champ de bataille une bonne partie de ses plumes.

C’est pour lui que j’ai composé ce petit livre. Je veux qu’il puisse parcourir Paris de nuit et de jour sans tomber dans aucun piège; je veux qu’il rentre sous le chaume paternel candide et pur comme il en est sorti; je veux, enfin, qu’il retourne chez lui sans être corrompu, et surtout sans avoir été volé.

Sans avoir été volé...., c’est beaucoup! car, pour en venir là, il faudrait qu’il ne fît rien faire au tailleur, qu’il ne fréquentât point les restaurateurs, qu’il n’assistât point à la représentation d’une pièce de la nouvelle école, qu’il n’achetât point les œuvres de M. Victor Hugo, qu’il ne Sans avoir été volé;... allons, cela ne se peut pas. Eh bien! qu’après n’avoir été volé que le moins possible.

Pour cela, je le prends dans son village, au milieu de ses dieux domestiques; je lui montre les précautions qu’il doit prendre, avant son départ, pour assurer le repos de sa maison pendant tout le temps que durera son absence. Je monte en diligence avec lui, je prends place à son côté, et lui sers de Mentor, pendant le voyage plus ou moins long qu’il entreprend. Dans les auberges, je partage son dîner, je couche le soir dans sa chambre et ne le quitte pas un instant, que je ne l’aie déposé sain et sauf dans la cour des messageries.

Arrivé à Paris, l’honnête provincial dont j’entreprends l’éducation devient plus que jamais l’objet de ma sollicitude. En effet, c’est sur le terrain glissant qu’il va fouler, qu’il a le plus besoin d’un guide et d’un appui. Je m’attache à lui; je lui indique ce qu’il doit faire dans chacune des circonstances où il se trouve; je le conduis par la main; je lui dis à chaque pas: Garde à vous! S’il trébuche, je le soutiens: je lui dévoile les ruses que les filoux de toute espèce emploieront contre lui. Certes, on n’en peut faire davantage: s’il est volé après cela, ce n’est pas ma faute, et je puis avoir la conscience nette.

Quand je lui dé voile les ruses que les filous emploieront contre lui, je n’ai pas la prétention de les lui dévoiler toutes. Il est des secrets de métier que tout le monde ne connaît pas; ceux-là, je suis forcé de les taire, et pour cause: j’indique du moins ceux qui mont été révélés par les maîtres; quant aux autres, il faudrait, pour les bien posséder, avoir passé quelques années au bagne, et tout le monde ne peut pas, comme M. Vidocq, se vanter de cet honneur-là.

Quoique je sois forcé de convenir que mon travail est incomplet sur un certain point, je suis assuré que sur tous les autres il est aussi étendu qu’il a besoin de l’être, et que l’étranger qui, sans s’attacher au ton frivole de cette préface, l’étudiera, et en mettra les maximes en pratique, s’en trouvera bien pour sa bourse, son honneur et sa santé.

Le paravoleur

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