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ANNETTE LAÏS
II.
DINER DE FÊTE

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Tel était le lièvre de ma tante Renotte. Je me suis rarement senti plus mal à l'aise en ma vie. Je peux dire en mon âme et conscience que les libéralités faites à mon frère et ma sœur n'avaient éveillé chez moi aucun sentiment de jalousie. Fort de mon parfait désintéressement, j'eus horreur de paraître complice, et j'essayai d'arrêter ma tante Renotte.

Mais on est entêté à Landevan. La tante Renotte n'avait point d'enfants. Son petit bien, qui devait revenir aux Kervigné, s'évaluait à trois mille livres de rente. Cela lui donnait son franc-parler, quoiqu'elle fût au bas bout de la table. Son geste un peu brutal me ferma la bouche.

«Toi, reprit-elle, tu n'es qu'un innocent. Ton père a son chéviton d'officier là-bas, et je conçois ça; mon neveu Gérard est un beau brin de Kervigné. Ta mère a son gendre et ses petits: ça ne m'étonne pas; mon neveu le marquis est un homme comme il faut et bien conservé pour son âge. Ma nièce Julie a une lourde maison. Mais nous n'avons plus le droit d'aînesse, je suppose.

– Vous! l'interrompit Nougat en la pointant du bout de son couteau, qui embrochait un blanc de volaille, pas de libéralisme!

– Si j'avais autant d'esprit que mon oncle Bélébon, répliqua Renotte, je serais ceci ou cela; mais la politique, je m'en moque! L'église de Landevan n'est pas encore fermée, et je ne m'embarrasse que du bon Dieu. Fourre à Gérard, ma grosse, ça te regarde. Je parle au père et à la mère, je parle à l'abbé aussi, pour qu'il donne un bon conseil. Veut-on faire du chevalier un pataud comme mon neveu Vincent, sauf le respect: Alors, qu'on me le dise: je le mettrai à la charrue.»

Il y eut un moment de silence, après lequel mon oncle Bélébon dit avec rancune.

«Vincent n'a pas l'opulence en partage, mais il n'a jamais rien demandé à sa tante Renotte.

– Et il a eu raison! interrompit la bonne femme; car la tante Renotte ne lui aurait rien donné. La tante Renotte est de la campagne; elle n'en sait pas long, mais par tout pays les cabarets ont la même odeur que Vincent. Je préfère n'avoir pas tant d'esprit et voir plus loin que le bout de mon nez. J'aime ceux d'ici, moi; mon petit avoir est pour eux. Si j'en demande trop, qu'on me dise: Tais-toi. Je voudrais savoir ce que sera le chevalier René de Kervigné.

– Ce qu'il voudra, parbleu! répliqua mon oncle Bélébon.

– Ce qu'il voudra!» répétèrent l'une et l'autre Kerfily.

Ma mère caressait les deux petits. Je ne crois pas qu'elle eût donné à l'incident toute l'attention désirable. Mon père cligna de l'œil en regardant tout autour de la table, et me demanda:

«Voyons, René, saperbleure! que veux-tu être, mon bonhomme?»

On me prenait sans vert: je n'en savais rien du tout.

Je n'étais pas sans m'être fait cette question une fois ou l'autre, le soir en me couchant, mais, je ne me sentais aucune vocation arrêtée. Mon opinion personnelle est que je tiens de ma mère une grande paresse d'esprit. J'ai reçu d'elle la faculté de sentir poussée à un degré presque maladif. Je suis bien réellement, et Dieu me préserve de m'en vanter, un de ces cœurs sensibles dont parlent les romans traduits de l'allemand. Au mois de juin 1842, cette qualité sommeillait encore. Je devais, à cet égard, m'éveiller tout d'un coup, en un sursaut véritablement terrible.

J'avais fait mes études; j'étais bachelier ès lettres depuis deux ans. Mon goût, pendant que j'étais au collége, m'aurait porté vers la marine; mais mon oncle Bélébon avait nettement déclaré à cette époque que je ne possédais point la capacité nécessaire pour entrer à l'école de Brest. On venait de marier ma sœur; on avait battu monnaie un peu; les préliminaires de l'éducation du marin coûtent cher: l'oncle Bélébon fut écouté. Depuis lors, je n'avais plus manifesté aucun désir, car, par le fait, je regrettais peu la mer. Dans mon idée, je me disais parfois: je serai comme mon père.

Or, mon père n'était rien, sinon propriétaire. Et à la manière dont les choses allaient chez nous, ma sœur ayant été avantagée par contrat de mariage, mon frère devant l'être selon toute apparence à la prochaine occasion, je risquais fort d'être un propriétaire sans propriété. Cela m'inquiétait peu. J'avais passé ces deux années à la pêche et à la chasse: deux passions en moi. On m'avait équipé à cet égard très convenablement, et j'étais heureux comme un roi.

Je n'étais ni ambitieux ni romanesque. La lecture, qui met en fermentation la tête des jeunes gens de province, me manquait. Les seuls romans que j'eusse parcourus étaient ceux de ma tante Bel-Œil, et les aventures des cœurs sensibles qui les remplissaient m'avaient prodigieusement ennuyé.

Je n'étais pas tout-à-fait étranger au monde de Vannes. J'allais dans les salons du petit-faubourg Saint-Germain morbihannais. Je regardais avec le mépris convenable la porte grande ouverte de la préfecture où aucune personne comme il faut n'eût daigné se fourvoyer, et qui en était réduite à donner des bals aux épouses de ses employés. Je savais danser et dire à ma danseuse, comme le gendarme de Nadaud: «Le temps est beau pour la saison.» C'était à peu près tout.

Ma sœur la marquise avait dit une fois en parlant de moi:

«Le chevalier sera toute sa vie sage comme une image!»

Cela ne m'avait point blessé, quoique ce fût blessant, dans l'idée de ma sœur la marquise.

Ma sœur la marquise était très fière de la jeunesse orageuse de son mari. Elle avait une sincère piété, sa réserve frisait un peu la pruderie, mais pour ce qui regardait la jeunesse orageuse de M. de Tréfontaines, elle racontait en souriant des histoires à faire dresser les cheveux.

Quand on vit que j'hésitais à répondre, tous les yeux se tournèrent vers moi avec une expression de moquerie. Assurément, je n'avais pourtant point là d'ennemis.

«Eh bien! chevalier? me dit ma sœur.

– Allons, ajouta mon beau-frère, que veux-tu être, mon ami René?

– Que veux-tu être?» répéta la voix d'oiseau de ma tante Nougat.

Et tous ensemble:

«Que veux-tu être? que veux-tu être?»

Le rouge me montait au front. Plus on m'interrogeait, moins je savais.

«Saperbleure! dit mon père à ma tante Renotte, voilà! On ne peut pourtant pas deviner!

– Il veut être amiral! piqua mon oncle Bélébon.

– Ou maréchal de France! copia Bel-Œil.

– Ou garde des sceaux?» enchérit Nougat.

Dans cette voie de facile imitation, chacun dit son mot plus ou moins obtus.

«Chevalier, demanda Julie, ne pencherais-tu point plutôt pour un évêché?

– Bravo! s'écria Renotte vaillamment. Voilà un beau bout d'oreille, ma petite!»

Julie devint plus rouge que moi et ne dit plus rien.

«Qu'y a-t-il donc? interrogea enfin ma mère.

– Toi, ma bonne, lui répondit Renotte, tu reviens de Pontoise, selon ton habitude. Il y a que je passe ici pour folle, selon mon habitude aussi. Mais, M. l'abbé n'a encore rien dit; je tiendrais à voir un peu la couleur de ses paroles.»

M. Raffroy n'aimait pas beaucoup à se prononcer; son plaisir était d'être d'accord avec tout le monde, mais quand on l'acculait au pied du mur, il parlait toujours en honnête homme.

«Ma foi, dit-il, je suis d'avis que chacun ici a la même envie; le bien de notre jeune ami. Cause-t-on sérieusement? Mme la comtesse m'a entretenu souvent du sujet qui nous occupe. A dix-neuf ans, selon moi, il est grand temps de se décider.

– Assurément, assurément,» murmura ma mère.

Elle eût peut-être ajouté quelque chose, mais les enfants s'emparèrent d'elle de nouveau.

«Assurément, assurément, répéta ma tante Renotte, moi, ma bonne, je dis que, si Julie te donne une troisième poupée, tu perdras la tête tout à fait, et qu'il n'y aura plus de place pour René à la maison. M'écoutes-tu, monsieur de Kervigné?

– Parbleu! repartit mon père.

– Tu fais bien. Il y a donc que l'an dernier, les Kervigné de Paris ont pris les bains de mer à Lorient. Il faisait froid: la présidente est venue me voir pour passer au moins un jour sans grelotter dans la vase. Elle a trouvé mon petit manoir gentil, à ce qu'il paraît, car elle a fait venir son président, et ils sont restés chez moi six semaines. Quant à ça, je les ai traités de mon mieux. Le président est brave homme, la présidente est encore jolie et coquette à faire pitié, mais bonne femme. Tâche d'écouter, mon Bélébon; l'esprit est de se taire quand quelqu'un parle; toi, Nougat, à ton assiette?

– Elle est d'un commun? eut le malheur de murmurer Bel-Œil.

– Tu dis? s'écria ma tante Renotte. Ton petit zieu n'est pas commun, toi, ni ton grand non plus. Garde-m'en de la graine, s'ils fleurissent. Ça vaudra cher à Landevan? Je sais bien que personne ne s'intéresse à mon grand nigaud de René, mais c'est égal, j'en ferai quelque chose toute seule, c'est décidé. Il y a donc que j'ai écrit de ma bonne encre aux Kervigné de Paris, voici un mois, pour leur dire de quoi il retourne ici…

– De quoi il retourne? répéta mon père qui fronça le sourcil pour tout de bon.

– Ne te fâche pas, toi, on t'aime, et quand on parle de toi, c'est plein la bouche. Seulement, tu es coiffé de ton aîné; ça ne fait pas la jambe du cadet. Laisse aller? Il y a donc que la présidente m'a répondu au nom de son mari comme quoi elle était bien reconnaissante de ses vacances à Landevan et du beurre frais, et des crêpes et du cidre doux. Je lui en mettais toutes les semaines en bouteille, qui moussait mieux que du champagne. Et que Landevan est joli comme un amour, à ce qu'elle dit…

– Ces femmes de la capitale, grommela Bélébon.

– Gratte-toi si ça te démange, mon oncle, mais la paix! Voilà le fin mot; le président fera entrer mon neveu René chez le garde des sceaux, lui donnera le logement et la table, le poussera dans le monde et obtiendra, malgré le bureau, toutes les facilités pour qu'il puisse faire son droit: Ça te va-t-il, monsieur de Kervigné?

– Dame!» fit mon père.

Il regarda tour à tour ses deux conseillers, l'oncle Bélébon et l'abbé Raffroy.

L'oncle Bélébon était absurde, égoïste, prétentieux, mais non point méchant. Il avait intérêt, pour ses petites affaires personnelles, à opérer le vide autour de mon père et de ma mère.

»Dame!» répéta-t-il.

Et M. Raffroy:

«Dame!»

Mon père, ainsi édifié, posa son couteau et sa fourchette. Il repoussa en arrière sa perruque frisée à l'enfant, qui pendait trop sur son front, et dit avec autorité:

«Je mettrai quelqu'un que je sais bien à la porte, si je ne peux pas obtenir qu'on serve le pomard en même temps que le médoc. Saperbleure! chez moi, les domestiques ne sont pas les maîtres! As-tu entendu ce qu'on a dit pour le chevalier, madame?

– Voici notre petit Charles qui parle couramment, sais-tu? répondit ma mère. Dis à ton bon papa: »Cha'ot aimé gâteaux,» amour.

– Cha'ot veut pas!» repartit mon neveu.

Ma mère l'embrassa avec transport.

«Ce sera, dit sèchement ma sœur la marquise, le premier Kervigné qu'on aura vu dans les bureaux.

– Il y a longtemps qu'ils ne vont plus à la croisade!» prononça la tante Renotte entre ses dents.

Puis avec éclat, et en accompagnant son invitation d'un énorme coup de poing qu'elle me donna dans le dos.

«Et toi, innocent, parleras-tu?

– Ah! s'écria l'oncle Bélébon, c'est bien heureux que la poudre soit inventée!

Vincent eut un gros rire. Cela ne lui réussit pas. Ma tante Renotte lui lança un revers de main qui, au contraire, réussit à miracle. Ma tante Nougat avait la bouche pleine, mais ma tante Bel-Œil protesta, en disant.

– Cela ne se fait pas dans la bonne société.

– Ah! soupira le marquis en se penchant vers elle, vous qui avez de si belles manières, ma tante!»

Elle leva son meilleur œil vers le ciel et mon beau-frère ajouta:

«Cet odieux rustre de Vincent a encaissé le soufflet tout de même!»

C'était une consolation.

Mais que faisais-je et que pensais-je au milieu de cette discussion orageuse dont j'étais le sujet? Je crois bien me souvenir que j'essayais de planter mon couteau debout en équilibre sur mon assiette et que je n'y pouvais point réussir.

L'idée d'aller à Paris ne m'était pas encore venue. Les jeunes gens qui ont beaucoup lu connaissent Paris d'avance, mais moi, je ne m'étais fait de Paris qu'une image très vague et qui n'avait éveillé en moi aucun désir. Le désir naquit à l'instant même où se montrait la possibilité de le satisfaire. C'est ma nature. Je n'ai rien rêvé à long terme. Je ne suis pas poète. L'amour lui-même qui a rempli ma vie ne s'est allumé en moi qu'à son heure et s'est éveillé d'un seul coup. Je doute qu'un poète eût aimé comme je l'ai fait. L'amour des poètes s'exhale un peu au dehors; le mien fut comme la fournaise qui concentre en elle-même ses ardeurs.

J'en étais encore à l'équilibre de mon couteau quand on apporta, en grande cérémonie, le nougat médicamenteux de ma tante et un édifice de pâtisserie sur les quatre faces duquel on pouvait lire le nom de Julie entouré de guirlandes. Cela fit diversion. Les toasts recommencèrent et chez nous, ce n'était pas un petit débit. J'eus une bonne demi-heure pour réfléchir. Ma tante Renotte seule m'examinait; les autres avaient oublié déjà l'incident.

«Une chanson, tonton Bélébon! demanda mon père.

– Combien je préfère la romance!» insinua Bel-Œil.

Mais une imposante majorité réclamait la chanson.

Mon oncle Bélébon était un de ces chanteurs qui parlent la musique comme faisaient les comédiens au fort temps du vaudeville. Sa voix était un baryton rocailleux et tremblotant qui ne sortait point par sa bouche, mais par son nez. Ayant tout l'esprit de la famille, il entendait malice aux choses les plus simples et vous lançait des regards d'intelligence en disant le deri dera ou malonlanla, latourlarira. Il se leva, il prit son verre, et, la main sur le cœur, il commença:

On dit qu'aux noces de Thétis

Tous les dieux s'assemblèrent;

Junon, Pallas, Cérès, Iris

Et Vénus s'y trouvèrent.


Sur le mot Junon, il cligna de l'œil à l'adresse de ma mère qui faisait danser Mimi, la sœur de Charlot; Pallas fut pour Bel-Œil, Cérès pour Nougat, Iris pour une maigre cousine qui nous venait de Pontivy aux jours solennels. Au mot de Vénus, il salua profondément ma sœur la marquise.

«Il est charmant!» déclarèrent toutes ces dames.

Je ne sais pas ce que Bel-Œil aurait donné à cette heure pour filer un roman, traduit de l'allemand, avec un cœur sensible. Son petit zieu et son grand zieu peignaient la langueur de son âme. Elles sont bien à plaindre, ces tendres natures. Au moins, Nougat aimait ce qui ne lui résistait point.

A la fin de sa chanson, mon oncle Bélébon, couvert d'applaudissements, réclama le silence d'un geste à la fois noble et gracieux.

«Voici la vingt-deuxième fois, dit-il en homme sûr de son succès, remarquez ce nombre, marquis, mon neveu, vingt-deux, les deux pigeons! voici la vingt-deuxième fois que nous fêtons la naissance de Vénus, à qui cet oiseau était consacré par la fable. Il y a vingt-deux ans, tu étais un brin d'amour, madame, et Kervigné, ah! le polisson!»

Ici, bravos et rires.

«… Ah! le polisson! le p, p, p, p, p-polisson! (Explosion de gaieté.) Il y a vingt-deux ans, les deux pigeons étaient mariés depuis quatre printemps. Mon neveu Gérard avait l'âge de Charlot, cher ange.

– Cha'ot s'embête! proclama ici mon neveu distinctement.

– Quel amour!

– Où va-t-il chercher ces choses-là? dit ma mère en pleurant de joie.

– Cha'ot veut monter sur la table, ajouta l'amour.

On l'y mit aussitôt et il cassa du premier pas trois verres et une bouteille.

«Il fera des siennes comme son grand-père!» s'écria mon oncle Bélébon qui ne savait à quoi raccrocher son discours.

Julie bâillait, pauvre femme; elle regrettait en outre pour son ménage tous ces objets cassés. Mon beau-frère le marquis peignait la résignation. Quand il venait chez nous, il était décidé à tout: c'était le roi des gendres.

«Ecoutez papa! cria Vincent Bélébon comme braient les ânes. Ecoutez papa, nom d'un cœur!

– Vous voyez bien que le garçon n'est pas sans intelligence! dit mon oncle tout attendri. Pour en revenir, Vénus et l'amour… les ris et les grâces… les deux pigeons et l'occasion de cette date qui est gravée dans tous les cœurs… Je propose la santé…

– Des deux pigeons? l'interrompit ma tante Renotte

– Saperbleure! décida mon père, je t'ai vu bon, mon oncle, mais pas aujourd'hui.»

Tonton Bélébon se rassit consterné. Les verres se choquaient tout de même. Ma tante Renotte me tira les cheveux par derrière et me demanda:

«Veux-tu partir, oui ou non, ma chatte?

– Oui,» répondis-je.

Sa voix de stentor couvrit aussitôt le brouhaha général.

«Regarde un peu voir par ici, monsieur de Kervigné, dit-elle, nous avons à te causer. René veut partir après-demain matin pour aller chez son oncle de Paris.

– Saperbleure! s'écria mon père qui était sincèrement échauffe, ça m'est bien égal!

Ma sœur la marquise se pinça les lèvres; elle n'avait pas grande idée de moi. Mon oncle Bélébon haussa les épaules et dit:

«Celui-là dans la capitale! Il manque donc de badauds là-bas?»

Ma mère lâcha les deux petits et me regarda étonnée. Elle avait par hasard entendu.

«Toi, fils René, tu veux partir!» murmura-t-elle.

Sa voix, plus émue que je ne l'aurais espéré, fut couverte par celle de mes deux tantes, qui crièrent à la fois, savoir, Bel-Œil:

«Le bonheur n'est pas au sein des villes!»

Et Nougat:

«En route, mauvaise troupe!»

Mon père ajouta:

«Messieurs et dames, redîner demain pour le départ du chevalier! Bon appétit, bonne conscience, saperbleure! Il ne faut pas que le garçon nous quitte comme un enfant trouvé! Viens m'embrasser, mon bonhomme, et qu'on serve le café chaud!»

Annette Laïs

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