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ANNETTE LAÏS
VII.
ANNETTE LAÏS

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Annette Laïs! Ce nom tintait encore dans l'air autour de moi quand je m'éveillai le lendemain matin, dans une chambre d'excellente tournure, commodément meublée, et dont les deux belles croisées donnaient sur les jardins de l'hôtel. De mon lit, je pouvais voir les arbres en pleine feuillaison que la brise matinale balançait. Je devais tout avoir à Paris, même des arbres.

Et je me disais:

«Les gens de Vannes se figurent qu'il n'y a point d'arbres à Paris. Je ne connaissais pas à Vannes d'acacias si grands ni de si gros tilleuls. Nos braves du Morbihan connaissent tous Paris à la façon de l'oncle Bélébon.»

Justice du ciel! ce souvenir de l'oncle Bélébon, qui avait tout l'esprit de la famille, me sembla dater du déluge. Vincent disparaissait pour moi à des distances incalculables. Je voyais mes deux tantes Kerfily-Nougat et Kerfily-Bel-Œil perdues tout au bout des lointaines perspectives du passé. Un siècle s'était écoulé depuis mon départ de Bretagne.

Pauvre bonne mère! Elle avait Charlot et Mimi qui devaient bien l'empêcher de me regretter! Et mon père! Ah! celui-là je l'entendais:

«A la soupe, saperbleure! Bon appétit, bonne conscience! Depuis mon dernier repas, je n'ai rien mangé! Apportez le potage, que je le mette dans mes bottes.»

Et ma sœur, jolie, mais un peu maussade; et le prudent abbé Raffroy, et ma pauvre vieille Renotte, vaillante comme un grenadier…

Annette Laïs! Ce nom inconnu me revenait comme ces tyranniques refrains qu'on voudrait chasser et qui vous obsèdent. Notez qu'en dehors du nom, il n'y avait rien pour moi; celle qui le portait ne m'inspirait ni intérêt ni curiosité. Je n'étais même pas comme ma cousine de Kervigné, qui avait envie de la voir.

«J'ai ordre de savoir si M. le chevalier prend du chocolat ou du café, prononça la belle voix du baryton Laroche à ma porte entre-baillée.

– Du café, répondis je, et envoyez-moi mon Breton.»

Laroche referma la porte.

Il fallut cela pour me rappeler ce qui aurait dû être ma préoccupation principale: ma conversation avec la présidente. Je n'aurais point su dire pourquoi j'avais répugnance à tourner mon souvenir de ce côté. Mes aventures du soir précédent se présentaient à moi comme une histoire à la fois biscornue et invraisemblable. Il y avait déception: j'avais compté sur une tante, et cette cousine, qui venait de passer ses vingt-huit ans, m'apparaissait ce matin sous une forme fantastique. Il n'y avait pas jusqu'à son bouquet violent qui n'eût pour moi odeur de fleurs fanées. Je ris pourtant un peu en songeant à Laroche, sa camériste, et aux entreprises intestines du président, mais j'aurais mieux aimé ne pas rire.

Joson Michais arriva avec ma tasse de café au lait. Il était tout blême.

«Quoique çâ, me dit-il d'une voix qui avait déjà perdu quelque chose de son redoutable mordant, comment que nous en vâ, dâ matin, monsié el chevâlier!

– Es-tu malade, Joson? lui demandai-je.

– Point d'en tout, éj'ne mens point.

– As-tu bien dormi dans ton écurie?

– Ah! dame, assez tout de même; c't'etchurie-là est plus plaisante qu'un logis.

– Qu'as-tu donc?

– Ej'vâs vous dire: ej'mennuie dans c'te Pâris, pour sûr et pour vrai, ah! mais dame oui!

– Mais tu ne l'as pas vu encore, ce Paris.

– Quoique çâ!»

Il tournait son grand chapeau entre ses doigts, et je vis qu'il pleurait.

«Ecoute, lui dis-je, si tu t'ennuies encore dans une semaine, je payerai ton voyage de retour.

– En vous remerciant, monsié el chevâlier, mais je n'ai point affaire d'argent, c'est la vérité. Lâ déligence an'me vâ pas plus que l'grand bourg. A vous ervoir tout de même, ah! dame, ej'men vâs!

– Attends à demain, tu auras des lettres pour ma famille.

– A vous ervoir! â vous ervoir!»

Il coiffa résolument son chapeau de Plouharnel et se sauva comme s'il eût craint d'être retenu par la force. Celui-là pouvait donner des renseignements sur Paris à l'oncle Bélébon. Je m'étonnai de ne pas rire; j'avais le cœur serré au point d'envier le sort de ce pauvre garçon qui s'en allait.

Aussitôt levé, je demandai ma cousine; mais il n'était pas jour chez elle. On me dit que le président était à l'hôtel; je voulus le voir; il travaillait, et sa porte était murée. Je sortis, afin de jeter un coup d'œil sur Paris. J'allai au hasard, longeant des rues interminables qui me semblèrent habitées par des pauvres et plus laides que les rues même de Vannes, la ville la plus laide de l'Europe. Une de ces rues, dont l'écriteau portait le nom de Sèvres, me conduisit tout droit à la campagne, au travers des fortifications qu'on achevait. Du haut du terre-plein, je vis un assez beau paysage, gâté par des usines. Le coteau de Meudon, qui riait au loin sous sa couronne de verdure, me parut comme un rempart élevé entre les tristesses suburbaines et la joie des vrais champs. Paris a ainsi, de tous côtés, sa hideuse enveloppe, qu'il faut percer pour y entrer comme pour en sortir. On pourra bien élargir les splendeurs de Paris, mais ce cercle navrant s'élargira de même. Quand Paris gigantesque ira jusqu'à Meudon, Meudon mettra une cheminée cylindrique à son château, qui crachera cette fumée noire, grasse, puante et salissante, haleine de l'industrie.

Je ne songeais pas à cela, je ne songeais à rien. Je n'éprouvais pas le mal du pays comme mon pauvre Joson, mais j'étais las, et mon intelligence subissait une sorte d'engourdissement. Parmi cette atonie, une guêpe bourdonnait, un refrain radotait, un son de cloche tintait sa note odieuse et monotone; tout cela, c'était un nom revenant avec l'absurde obstination d'un rêve de fiévreux, quoique je n'eusse pas la fièvre. Annette Laïs! me disait ma tête.

Je chassais ce nom comme on écarte une mouche, et, comme la mouche entêtée, il revenait précisément à la place d'où je l'avais chassé. L'exactitude de cette comparaison est frappante: ce nom me démangeait; j'aurais voulu le tuer.

C'était une belle et pure matinée; le ciel n'avait d'autre voile que ces insultantes vapeurs incessamment lancées par la toux chronique des usines. Je regardai encore une fois le paysage circulaire, ce lointain amphithéâtre de coteaux souriants, au devant desquels Saint-Cloud épanouissait sa corbeille de verdure. La Bretagne était au delà.

Le long de la Seine, vers Sèvres, un homme marchait sous le soleil. Son pas était joyeux. Je reconnus le grand chapeau de Plouharnel. Bon voyage, mon pauvre Joson! Dieu soit avec toi sur la route, Breton qui vas vers la Bretagne!

Quand je rentrai, on déjeunait. Laroche, en livrée, servait à table. Le président se leva et me tendit la main.

«Mon jeune ami, me dit-il, pardonnez-moi de ne vous avoir point attendu. Nos heures d'audience sont inflexibles comme vos heures de marée là-bas. Je suis fâché de ne m'être pas trouvé à la maison hier pour vous souhaiter de tout mon cœur la bienvenue. Les devoirs de ma charge ne sont pas seulement au Palais…»

Aurélie cligna de l'œil, en me regardant, et je faillis en être déconcerté. Le regard d'Aurélie voulait dire: Après le palais, il y a Annette Laïs.

«Mon cousin, répondis-je cependant, je vous remercie pour moi, et je vous apporte les compliments de mes parents.

– Mes aînés, mon enfant, dit M. de Kervigné en se rasseyant. Dans votre prochaine lettre, vous leur direz mille choses affectueuses de ma part et vous ajouterez que vous êtes chez moi comme chez vous.

– N'est-ce pas qu'il a une figure fort intéressante! dit ma cousine.»

Ce fut au tour de Laroche de cligner son œil maraud. Il me sembla surprendre entre son maître et lui un vague sourire d'intelligence. Il y a eu des favoris assez adroits pour appartenir en même temps au roi et à la reine: témoin Manuel Godoy, prince de la Paix. Je regardai mieux ce Laroche, qui avait décidément une admirable tête de coquin, et qui me parut d'humeur à manger aux deux râteliers.

Au jour, ma cousine Aurélie avait passé vingt-huit ans depuis plus longtemps que le soir; néanmoins elle portait assez bien une toilette du matin très jeune, et ses odeurs renouvelées répandaient un frais parfum de jasmin. Cela m'avait pris aux narines, dès le seuil. Elle me tendit la main et pesa dessus de manière à mettre mon front à portée de ses lèvres.

«Je suis déjà sa petite mère, dit-elle au président.

– Il ne faut pas perdre de temps, répliqua celui-ci d'un accent très simple, sous lequel la raillerie ne montrait qu'un tout petit bout d'oreille.»

Mais Laroche ponctua cette réponse par un rire silencieux. Ma cousine ne pouvait le voir. Une pensée qui était en moi à l'état latent se formula dès ce moment: Laroche était mon ennemi. Je n'entends pas exprimer par ce mot seulement une prédisposition malveillante; ce n'eût pas été une découverte. Laroche était mon ennemi mortel.

Quoiqu'en eût dit ma cousine, le président n'avait pas l'air beaucoup plus âgé qu'elle. C'était un homme très laid, très froid et très distingué. En lisant plus tard, dans la Notre Dame de Victor Hugo, le portrait de Claude Frollo, j'ai eu comme une vague saveur de ma première impression à la vue du président de Kervigné. Ce n'est pas ici une ressemblance, c'est une sorte de reflet. Le président n'avait ni l'ampleur ni la profondeur de la création du poète, mais c'était, en petit, l'alliance de l'austère travail avec la préoccupation sensuelle. L'un excite l'autre, cela est certain. La passion jaillit plus brutale du sein même de la fatigue intellectuelle. Il y a du feu au fond de ses orbites creusées par la morsure de la lampe; sons ces fronts pâles et dépouillés, la cervelle est rouge; ceux-là n'aiment pas avec leur cœur, peut-être: ils aiment avec toute la révolte de leurs nerfs hérissés.

Je ne sais pas si Frollo vit encore: nous ne sommes pas si grands que cela; d'ailleurs le génie sculpte un bronze à la taille de sa pensée. Mais regardez autour de vous, et vous verrez partout glisser dans l'ombre de nos soirs ce reflet de Frollo dont je parle. C'est l'argent de Frollo rapetissé qui tinte dans les poches de toutes nos comédiennes; ce temps-ci fait volontiers la monnaie du passé; la monnaie du grand Frollo circule depuis cinquante ans, et pullule, et se dédouble; elle forme dans notre civilisation un clan de malades chez qui le vice est une noire infirmité.

Nous sommes le siècle névralgique. Il a fallu parvenir, on n'a pas eu le temps d'être jeune. Nous sommes le siècle négateur: nul ne réfugie plus son angoisse dans la foi. Molière n'écrirait plus Tartufe, Tartufe borne son hypocrisie à changer d'habit à la brune et prie franchement ses collègues de ne le point reconnaître, à charge de revanche, si ses collègues et lui viennent à se rencontrer en quelque lieu douteux.

De là naît ce fait redoutable: l'orgie n'est plus la jeunesse qui passe, et qui demain va réagir contre sa propre démence. L'orgie est chauve ou coiffée de cheveux gris. Elle est sage, elle ne fait pas de bruit, elle paye ses dettes aux familles déshonorées. Les fils de Frollo, je vous l'ai dit, sont des malades qui prennent froidement un bain de vice comme on subit une douche d'eau froide.

Cependant, il ne faut pas crier cela sur les toits. Soyez discrets. Frollo n'aime pas qu'on tâte le pouls de sa frénésie. Je n'ose pas vous dire toutes les robes qu'il porte, je n'ose pas vous laisser deviner surtout du haut de quelle tribune il me foudroierait, s'il m'entendait.

J'en connais de bien plus malades que mon cousin le président de Kervigné. Mon cousin était un homme de milieu et de modération, mettant un mors à sa fringale et arrangeant ses affaires de cœur comme un dossier. Sauf l'esprit qu'il avait et la rare distinction de ses manières, sa vie ressemblait aux soirées que les notaires passent au bal masqué avec un nez de carton et une femme de plâtre.

Il était magistrat dix heures par jour et travaillait avec fureur; le reste du temps, il était je ne sais quoi, il avait son faux nez, il faisait aller les arts.

Pendant le déjeuner, on ne parla que de la famille de Bretagne; mon cousin fut bienveillant et charmant. Il m'engagea à prendre une quinzaine pour voir Paris, après quoi je devais être présenté au ministre.

«Comment trouvez-vous mon mari? me demanda Aurélie quand nous fûmes seuls.

– Il réalise l'idée que je m'étais faite d'un magistrat éminent, répondis-je.

– J'entends comme homme, insista-t-elle.

– Comme homme?.. répétai-je avec un peu d'embarras.

– Venez voir le jardin,» dit-elle en riant et en me prenant le bras.

Comme nous descendions, elle ajouta d'un ton de mignardise qui devait lui aller fort bien autrefois:

«Avons-nous pensé à petite maman?

– Ma cousine… balbutiai-je.

– Pas beaucoup. Nous avons dormi comme un loir.

«Je vais te dire, René, reprit-elle en changeant de ton brusquement. Tu es de la Bretagne et trop neuf pour deviner ces choses là. Avec moi, vois-tu, ton éducation va se faire sans que tu t'en aperçoives et tu seras déjà un petit homme quand tu entreras à la chancellerie. L'expérience, mon cousin, c'est tout ce qui reste aux pauvres vieilles qui ont passé vingt huit ans.»

Elle s'arrêta pour me donner le temps de protester. Je le fis de mon mieux: mais, au grand soleil, Aurélie avait réellement trop d'expérience. Elle s'appuya nonchalamment sur mon bras et poursuivit:

«Malgré l'énorme différence d'âge, j'aurais aimé mon mari. Ma nature délicate et tendre a besoin d'un attachement solide, et mes principes… tu dois comprendre. Mais M. de Kervigné m'a froissée. Ils sont comme cela. M. de Kervigné avait une femme toute jeune, toute mignonne, car, voilà quatre ans, René, tu aurais pris ma taille entre tes dix doigts; des dents, des cheveux, un teint. Enfin tout cela est parti, j'en puis bien parler, parti plutôt par le chagrin que par les années, car j'ai bien souffert, mon enfant, ah! oui, j'ai bien souffert!

Son mouchoir, plus odorant qu'un paquet d'héliotropes, essuya ses yeux où il n'y avait point de larmes. Ce geste fut dessiné avec précaution pour ne pas enlever la peinture.

«Souffert le martyre! reprit-elle d'une voix entrecoupée; des nuits sans sommeil, des jours où l'idée du suicide traversait vingt fois ma cervelle. Si je n'avais pas eu mes principes, René… Mais j'appartiens, moi aussi, à cette noble terre, dernier asile de toutes les croyances. Je me suis souvenue que j'étais Bretonne, j'ai appelé à mon secours la prière et la sainte résignation..»

Elle se laissa tomber sur un banc de gazon, et me fit signe de m'asseoir auprès d'elle.

Ma cousine Aurélie ne lisait pas les mêmes livres que ma tante Bel-Œil, mais elle profitait abondamment des livres qu'elle lisait.

«La prière a relevé ma force, continua-t-elle, la résignation… Tiens, petit, s'interrompit-elle, quand tu es seul auprès d'une jolie femme, il ne faut pas te camper comme un saint de bois. As-tu peur d'être mordu? On s'approche, on se penche gracieusement, si le mouchoir tombe…»

Elle laissa tomber son mouchoir que je m'empressai de relever.

«C'est bien, mais après?» me dit-elle.

Je lui tendis le mouchoir, et j'eus un coup d'ombrelle sur les doigts avec cette explication didactiquement formulée:

«C'est selon les personnes. Avec moi, qui suis ta petite maman, tu pouvais effleurer le mouchoir de tes lèvres. Tu n'as donc jamais lu d'histoire de pages et de châtelaines, René?

– Si fait, ma cousine, dans les livres de ma tante Bel-Œil.

– Cette pauvre Bel-Œil! Ce doit être bien gothique, ses livres! C'est un peu une ménagerie, dis donc, René, toutes ces bonnes gens-là? Mais partons d'un point. Dans le monde, chaque fois que tu te trouves auprès d'une jeune femme, tu dois lui faire la cour sous peine de passer pour un homme mal élevé. Tu comprends?

– Oui, ma cousine.

– Appelle-moi donc petite maman.

– Oui, petite maman.

– Ça ressemble davantage aux histoires de pages et de châtelaines. Quand je dis faire la cour, c'est en tout bien tout honneur. A Paris, on a des mœurs comme en Bretagne. Tu causes, n'est-ce pas, de la pluie ou du beau temps, le sujet de la conversation ne fait rien. J'ai connu des messieurs qui entament tout de suite après avoir dit:

«Bien le bonjour!» Cependant, il vaut mieux bavarder. L'occasion vient en bavardant, comme l'appétit en mangeant. J'espère que tu n'y entends pas malice? Quand je dis l'occasion, c'est tout bonnement pour baiser le bout de cinq jolis doigts? Essaye!»

J'obéis docilement.

«Pas mal. A chaque jour sa leçon: c'est assez pour aujourd'hui. Ah! chevalier, si tu savais comme j'aurais besoin d'une affection jeune et pure pour raviver ma pauvre âme!

– Si vous me permettiez… commençai-je, avec deux belles plaques de pourpre sur les joues.

– Pas mal! répéta Aurélie. Mais la leçon est achevée, tu sais? Nous parlons raison. A ton âge, on regarde les femmes de vingt-huit ans comme de vieilles sempiternelles.

– Mais pas du tout! protestai-je.

– Si la leçon durait encore, je te dirais qu'il faut baiser la main ici, absolument. C'est indiqué et même…»

Elle m'écarta de la pointe de son ombrelle, et prit un ton sérieux pour ajouter:

«Dis-moi comment tu aimerais ta châtelaine, beau page?

– De tout mon cœur.

– C'est trop peu.»

Elle se reprit à rire, et vraiment je la trouvai jolie.

«A genoux, bambin! s'écria-t-elle. Tu n'as pas deviné cela. On se jette à genoux et l'on répond: Comme un fou!

– Comme un fou!» répétai-je agenouillé.

Je sentis sa lèvre qui brûlait mon front; mais elle se leva en éclatant de rire. Laroche était au bout de l'allée.

«Laroche! appela-t-elle, Laroche!»

Le baryton se dirigea vers nous d'un air mélancolique. La main potelée mais vigoureuse d'Aurélie m'empêchait de me relever.

«On n'est pas en sûreté avec ce mauvais sujet-là, dit-elle quand Laroche fut à portée. Aide-moi à lui donner le fouet.»

Je sentis le valet me toucher par derrière. Je n'avais pas compris où elle en voulait venir. D'un bond, je fus sur mes pieds et Laroche roula, les jambes en l'air, dans un massif de lilas. Il se releva pâle de rage.

Mme de Kervigné était pâle aussi.

«Un petit lion! murmura-t-elle, pendant que ses yeux brillaient.

Puis, avec une froide bonté:

«Il ne fallait pas toucher le chevalier, Laroche. Le chevalier vous fait présent de deux louis pour le mal qu'il aurait pu vous causer. Qu'on attelle! Le chevalier me conduit au sermon, ce matin, et ce soir au théâtre.»

Laroche ne me regarda pas et s'éloigna consterné.

Annette Laïs

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