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NOTICE
SUR M. DE MEILHAN.

Table des matières

M SENAC DE MEILHAN, intendant du Hainaut, à l’époque de la révolution, et auteur de plusieurs ouvrages. estimés, étoit fils de M. Senac, premier médecin du roi Louis xv, homme très-habile dans son art, et qui a laissé plusieurs bons Traités, dont le plus remarquable est une Description des maladies du cœur. Avant de paroître à la cour, M. Senac avoit été médecin du maréchal de Saxe; il le guérit d’une maladie dangereuse pendant la guerre de1745; et comme l’Europe avoit alors les yeux fixés sur ce grand général, et que la France avoit placé en lui tout son espoir, cette cure ne pouvoit manquer de donner beaucoup de célébrité au médecin assez heureux pour le sauver. Le Maréchal, obligé de reprendre le. commandement avant d’être rétabli, emmena.

Senac à l’armée; et lui trouvant autant d’agrément dans l’esprit que d’habileté dans son art, il s’en séparoit le moins qu’il pouvoit. On raconte, à ce sujet, qu’étant allé visiter les travaux du siège de Tournay, il se fit conduire en carrosse, avec lui, jusqu’à la queue de la tranchée, et lui dit, en descendant, de l’attendre, qu’il ne seroit pas long-temps. Le médecin, qui avoit la vue longue, s’aperçut qu’il étoit à portée d’une batterie ennemie dont les canonniers se disposoient à tirer; il en fit l’observation au Maréchal, qui lui répondit: «Eh bien, levez » les glaces». Ce mot s’est conservé: on aime les plaisanteries des grands hommes; on leur trouve une grâce particulière, parce qu’on leur sait gré de descendre à notre niveau; surtout une saillie dans le danger, est la preuve d’une force d’âme qui produit toujours sur nous une impression agréable, comme tout ce qui relève la nature humaine dans notre opinion.

Senac soigna le maréchal de Saxe dans sa dernière maladie? et c’est à lui qu’il dit en mourant: «J’ai fait un beau rêve». Jamais en effet, depuis Alexandre, le plaisir et la gloire n’en produisirent de plus brillant.

Pendant long-temps Senac jouit, à Versailles, de la considération que lui donnoient sa place de premier médecin, et son crédit personnel auprès du roi, qui lui accordoit une estime particulière. Il fit entrer de bonne heure son fils, qui fait le sujet de cette Notice, dans la carrière administrative: c’étoit la marche ordinaire des familles qu’un subit accroissement de richesses ou la faveur du prince faisoit sortir de la bourgeoisie. On étudioit en droit, on étoit reçu dans une cour souveraine, et au bout de quelques années on achetoit une charge de maître des requêtes qui coûtoit cent mille francs. Les intendants de province se prenoient dans ce corps; et lorsqu’ils montroient du talent pour l’administration, ils devenoient bientôt conseillers–d’état, et même ministres; car, depuis plusieurs siècles, les rois, laissant à la noblesse les emplois militaires et les grandes charges de la cour, ne confioient guère qu’à des magistrats les différents département ., même ceux de la guerre et de la marine Louis xiv en avoit fait un principe de gouvernement; et lorsque, sous ses successeurs, on s’en est écarté, la légèreté du maréchal de Belle-Isle, les ordonnances désastreuses du comte de Saint–Germain, l’ignorance présomptueuse du banquier génevois, bien plus funeste encore que celle du financier écossois, ont dû le faire vivement regretter,

M. Senac de Meilhan (c’est sous ce dernier nom qu’il est plus connu) se fit remarquer, dès son entrée dans le monde, par un esprit brillant et par son goût pour les plaisirs; mais comme de toutes ses passions, l’ambition fut toujours la plus forte, il ne négligea jamais l’occasion d’acquérir des connoissances utiles, et de cultiver la société des personnes qui pouvoient lui procurer de l’avancement. Ainsi, dans sa jeunesse, il passa de la société ou plutôt de la cour de madame de Pompadour à celle de M. de Choiseul et de madame la duchesse de Grammont sa soeur. Les anecdotes qu’il raconte prouvent qu’il fut assez avant dans leur confiance. Ce fut autant par leur crédit que par celui de son père, qu’il devint successivement intendant d’Aunis, de Provence et du Hainaut. Il montra, dans ces différentes provinces, du talent et de la capacité.

Dans le grand monde, où il étoit fort répandu, on aimoit mieux l’entendre dans un cercle que de l’admettre dans l’intimité. Son commerce passoit pour être peu sûr, et d’ailleurs la tournure satirique de son esprit lui attiroit beaucoup d’ennemis, tandis que ses prétentions en tout genre lui donnoient peu de partisans: il cherchoit plus à briller qu’à plaire; mais les succès d’un amour-propre aussi exalté coûtent cher, ils sont tou jours acquis aux dépens de la bienveillance générale, qui ne s’accorde qu’à la bonhomie. Ce qui prouve l’étendue et la finesse de son esprit, c’est qu’avec une vanité ridicule il ait pu faire des observations si justes et si délicates sur le cœur humain, et qu’il soit devenu si savant dans l’art difficile de connoître les hommes. Sa figure, quoique expressive, étoit désagréable, il étoit même complètement laid, ce qui ne l’empêchoit pas d’ambitionner la réputation d’homme à bonnes fortunes, et de se vanter de ses succès auprès de quelques femmes perdues. Au reste, son ambition s’étendoit à tout; il vouloit passer à la fois pour un écrivain supérieur, pour l’être le plus séduisant et pour un excellent administrateur, capable de diriger les finances d’un grand empire. Cette dernière prétention, surtout depuis son ouvrage sur le luxe et les richesses, qui contient véritablement des idées neuves et lumineuses, paroissoit assez fondée, et l’opinion publique le désigna deux fois pour la place de contrôleur général; mais il n’avoit d’autre appui à la cour que M. d’Angivilliers; celui-ci avoit hérité de la confiance que le roi avoit eue en M. de Vergennes, son ami. Cette influence, assez grande quoique peu connue, ne balançoit pourtant point l’ascendant de la reine, qui, à l’instigation de l’abbé de Vermont, son conseil secret, portoit au ministère l’archevêque de Sens. D’un autre côté, M. de Meilhan s’étoit fait un ennemi redoutable dans la personne de M. Necker, dont il avoit réfuté une opinion; et, ce qui étoit le plus fâcheux pour lui (car l’orgueil ne pardonne jamais ces sortes d’offenses), il avoit eu complètement raison. Malgré tous ces obstacles, telle étoit la rareté des gens à talents, qu’il pou voit espérer d’arriver tôt ou tard au ministère, objet de tous ses vœux. Mais la révolution, à laquelle il ne voulut point prendre part, mit un terme à sa carrière politique. De bonne heure, il passa dans le nord de l’Allemagne, et de là en Russie, où l’impératrice Catherine, qui avoit lu avec plaisir ses ouvrages, l’invita à se rendre. Elle vouloit lui faire écrire les annales de son empire et sa propre histoire. Dans ce dessein, elle l’acueillit avec une grande bonté, et s’empressa de l’admettre dans sa société intime; mais elle ne fut pas, à beaucoup près, aussi contente de l’homme que de l’auteur. Elle trouva que tout son esprit ne rachetoit point de graves inconvénients: une plaisanterie de mauvais goût, quelquefois peu de souplesse, et Souvent trop peu de retenue; enfin une teinte de pédanterie mal déguisée sous une légèreté d’emprunt. Cela n’étoit pas étonnant. M. de Senac avoit, toute sa vie, fréquenté le grand monde, mais il n’en étoit pas moins homme de robe. Comme tel, il n’avoit pas, il ne pouvoit pas avoir l’habitude du commerce des princes; l’étiquette de la cour de France s’y opposoit. Les magistrats ne voyoient jamais la famille royale autrement qu’en cérémonie; ils ne mangeoient point avec elle; ils n’alloient ni aux chasses, ni aux petits voyages, seules occasions qui pouvoient faire naître la familiarité. Il paroît que leur exclusion de la cour remonte au temps de Catherine de Médicis. On fit alors un règlement pour interdire aux conseillers du parlement de venir au Louvre. Les motifs en sont remarquables, «parce » qu’ils faisaient les magistrats au milieu des » courtisans, et qu’ils revenoient faire les » courtisans parmi les magistrats». J’ignore qui rédigea ce règlement, mais c’étoit à coup sûr un homme qui avoit de la sagesse et du goût; du moins exprima-t-il une vérité utile d’une manière piquante; car la gravité des fonctions qu’exercent les gens de robe doit leur inspirer une circonspection et une retenue qui ne sauroient s’accorder avec la légèreté que le monde exige: en vain même cherchent-ils à l’acquérir, ils ne font que perdre la considération due à leur état, et ne gagnent que des ridicules. D’ailleurs il est certain que, pour réussir auprès des princes, il faut le concours indispensable de plusieurs choses qui se trouvent rarement ensemble: de la gaîté, de la réserve, un tact sûr, et l’habitude des cours; il faut encore de la facilité sans bassesse, ne pas repousser les avances souvent indiscrètes de ces grands personnages, et cependant ne pas oublier leur rang alors même qu’ils l’oublient, car la mémoire leur revient bien vite; enfin, ne jamais dépasser, dans les plaisanteries, les bornes d’une raillerie délicate qui effleure sans blesser. Tout cela ne se devine point, et ne s’acquiert que par l’usage.

L’impératrice de Russie, qui joignoit les agréments de l’esprit à la force de caractère, savoit apprécier tous les charmes de la société, dont l’aisance et la mesure sont les bases nécessaires. Elle avoit reçu à sa cour des hommes aimables de tous les pays: le prince de Ligne, les comtes de Ségur, de Cobentzel, de Steding. Ce n’étoient pas de tels courtisans qu’elle pou voit avoir besoin de réprimer, comme il arriva un jour au Grand Frédéric, qui, dans un souper où ses généraux commençoient à s’émanciper, leur dit: «Taisons-nous, messieurs, le roi pour» roit nous entendre». La réprimande est assurément aussi douce qu’ingénieuse, mais il vaut encore mieux n’en avoir pas besoin. Elle cessa donc d’admettre dans son intimité M. de Meilhan; mais elle lui conserva son traitement de six mille roubles. Dans le commencement du règne de son successeur, dont il redoutoit les caprices, M. de Meilhan partit pour Vienne; il y est mort en 18o3. Il étoit né à Paris en1736.

Il a laissé plusieurs ouvrages estimés, dont voici la liste: Io. Les Mémoires de la princesse palatine Anne de Gonzague. Paris, in-8o, 1786. 20. Considérations sur le Luxe et les Richesses, in-8o, 1786. 3o. Considérations sur l’Esprit et les Mœurs. Londres (Paris), 1787, in-8o. 4o. Traduction des Annales de Tacite, in-8o, 1790. 5o. Des Principes et des Causes de la Révolution françoise. Saint-Pétersbourg, 1792, in-8o. 6o. Du Gouvernement, des Mœurs et des Conditions en France avant la Révolution. Hambourg, in-8o, 1795. 70. L’Émigré, roman historique, 4vol. in-8o.

On a encore réimprimé à Hambourg, en 1795, les Considérations sur l’Esprit et les Mœurs, en2volumes in-12, sous le titre d’Œuvres philosophiques et littéraires.

Portraits et caractères de personnages distingués de la fin du XVIIIe siècle

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