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DUCLOS,
HOMME DE LETTRES.

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DUCLOS, né en Bretagne, vint assez jeune à Paris; il se procura un accès auprès du maréchal de Brancas, commandant en Bretagne. Le comte de Forcalquier étoit son fils; il étoit homme d’esprit, et sa maison étoit le rendez-vous de tout ce qu’il y avoit de distingué dans la littérature, et des personnes les plus aimables. Duclos ne tarda pas à faire sensation dans cette société; il avoit beaucoup d’esprit, et le genre d’esprit le plus propre à obtenir des succès dans le monde. Sa conversation étoit semée de traits rapides, brillants, et quelquefois ces traits annonçoient un observateur profond. Il connut le monde dans cette société qui rassembloit ce que les divers États ont de plus distingué. Les Considérations sur les Mœurs furent le produit des réflexions que ses liaisons le mirent à portée de faire; et cet ouvrage, qui réunit des observations fines à une grande précision dans l’expression, lui valut une réputation fort supérieure à son mérite réel. Duclos ne s’élève pas au-dessus du cercle de la société de son temps, et ne remonte pas aux premiers principes des actions des hommes et de la morale. Il fut mis cependant au rang des plus grands philosophes et des premiers écrivains. Cet ouvrage, dont on ne sentira pas le mérite dans un autre siècle, eut le succès des vaudevilles qui se chantent partout pendant le temps que leur objet intéresse, et l’auteur fut compté au rang des Voltaire, des Fontenelle, des Montesquieu. Ses écrits ne sont pas du premier ordre: mais il avoit dans la conversation une supériorité marquée. D’Alembert a dit de lui, en style géométrique, que: Dans un temps donné, personne n’avoit plus d’esprit; et cela est axactement vrai. Je suis fondé à croire que Duclos mettoit quelquefois à profit sa brusquerie pour louer avec d’autant plus de succès, que l’éloge avoit l’air de lui être arraché par une irrésistible vérité. L’imprudence de ses propos contre les gens. en place, excita contre lui l’animadversion du Gouvernement, et on lui donna le conseil de voyager, pour le soustraire à l’exil ou à la Bastille. Il parcourut l’Italie, et son voyage a été imprimé. Il baisa la main du pape, et lui dit avec son ton brusquement flatteur: «Saint-Père, c’est ainsi que les Français en usent avec ce qu’ils aiment et respectent le plus: avec les jolies femmes». Comme il avoit débuté dans le monde à une époque où le bel-esprit dominoit et rapprochoit les premières classes, il avoit eu du succès auprès de quelques femmes séduites par sa conversation, et entraînées par la vanité qui leur faisoit mettre du prix à la conquête d’un homme d’esprit. Duclos aimoit le vin, et rarement sortoit de table sans être échauffé. Alors sa conversation n’en étoit que plus brillante; mais aussi il se permettoit les propos les plus imprudens contre les ministres et les gens en place. Je l’entendis un jour dire après dîné, en parlant du Lieutenant de police: «Je tirerai ce drôle-là de la fange pour le pendre dans l’histoire». Duclos, nommé historiographe de France, n’avoit ni le style, ni l’instruction nécessaires pour tracer un grand tableau. Son style a de l’affectation, et l’antithèse est la figure qui domine dans ses écrits. Il avoit un grand fonds d’anecdotes; et, dans les derniers temps de sa vie, il avoit fait le mauvais marché d’abandonner son esprit pour sa mémoire. Duclos avoit de la probité, et joignoit le désintéressement à une sorte d’avarice, qui étoit en lui l’effet de l’habitude de peu dépenser, et de la nécessité où il avoit été d’économiser. Il est mort fort riche pour un homme de lettres, qui n’avoit jamais eu de fortune que celle que ses talens littéraires avoient pu lui procurer. Il n’a jamais vécu chez lui; et comme son bien étoit en argent comptant, la crainte d’être volé lui faisoit prendre des précautions pour qu’on ne sût pas qu’il avoit chez lui de grosses sommes. C’est par cette raison que peu de temps avant de mourir, il emprunta vingt-cinq louis à un de ses amis. Il dînoit tous les jours en ville, et cherchoit toujours à se faire ramener. Ce besoin qu’il s’étoit fait des autres le forçoit, malgré sa brusquerie, à des complaisances et à des ménagements. Il louoit souvent l’esprit de ceux qui lui étoient utiles; et voyant un jour que j’étois surpris de l’entendre parler avec éloge de l’esprit d’un homme qui n’avoit rien de remarquable: «Que voulez-vous, me dit-il, c’est un homme fort obligeant pour moi. Je suis reconnoissant, et fais ce que je puis en lui accordant un brevet d’homme d’esprit».

Portraits et caractères de personnages distingués de la fin du XVIIIe siècle

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