Читать книгу Programme des Épouses Interstellaires Coffret - Grace Goodwin - Страница 9
2
ОглавлениеJessica
Attachée sur la table, je ne peux que regarder la gardienne Egara pianoter sur sa tablette d’un air concentré. Je me débats pour me libérer, même si c’est parfaitement inutile. La boîte de réception n’arrête pas de sonner à chaque nouveau message, elle fronce encore plus les sourcils, ses doigts se déplacent à tout allure en mouvements brefs, comme si elle voulait frapper celui avec lequel elle parle à l’autre bout de l’espace.
J’ai appris la patience à la dure durant mes années en tant que soldat, et plus tard, en tant que journaliste d’investigation. Je peux traquer ma proie pendant plusieurs jours sans jamais m’en lasser. Je sais quand il faut attendre et lorsqu’il faut tirer. Dans ce cas de figure en particulier, mon agressivité ne m’apportera rien, même si ma frustration est si grande que je pourrais arracher les liens du fauteuil comme l’Incroyable Hulk.
« Gardienne, je vous en prie, dites-moi ce qui se passe. »
Oui, ça sonne bien. Vive moi.
La gardienne se mord la lèvre inférieure, elle ressemble soudainement à la femme d’une vingtaine d’années qu’elle est au naturel. Ses épaules sont voûtées, comme si elle portait un poids et une lourde responsabilité. C’est peut-être le cas. Il lui incombe de faire en sorte que toutes les femmes—peu importe la raison—soient accouplées de façon satisfaisante et arrivent saines et sauves à destination, quelque part dans l’univers. Elle lève enfin les yeux, je sais immédiatement en voyant son regard sombre que les nouvelles ne sont pas bonnes, du moins celles me concernant.
Une terreur sourde m’envahit.
« Ils vous ont expressément rejetée, contrairement à toutes les autres volontaires en provenance de la Terre. » Elle soupire, j’ai l’impression qu’on vient de m’annoncer que je suis la fille la plus moche de toute la classe. Ouais, la sensation est toujours aussi cuisante. J’ai déjà ressenti ça, plusieurs fois, quand c’est moi qui ait été rejetée. Par des amis, des amants, le boulot, la famille. Je devrais y être habituée mais ce n’est pourtant pas le cas. L’espoir rend stupide. Je ne m’étais pas rendue compte à quel point j’avais envie de rencontrer quelqu’un, quelqu’un qui serait là pour moi, jusqu’à ce qu’on m’envoie balader. Comme d’habitude.
« Un autre transfert est en approche depuis notre Centre de Recrutement des Epouses situé en Asie, le problème n’est donc pas inhérent au système. Pour une raison que j’ignore, vous n’avez pas pu embarquer. Le Prime a envoyé le message en personne. »
Le Prime ? Putain c’est quoi un ‘prime’ ?
« Vous voulez dire mon partenaire ? »
Elle secoue la tête d’un air absent. « Non. Le Prime. Le souverain de leur planète. Le souverain de Prillon Prime. »
Elle a énoncé son titre avant même le nom de sa planète, il m’a personnellement rejetée. Génial.
« Un peu comme un roi ? » Merde alors. Leur souverain refuse que je prenne un partenaire ? Je n’ai jamais rencontré le guerrier avec lequel j’ai été accouplée, il était censé m’appartenir et me voilà interdite de séjour, envolée la petite lueur d’espoir. Merde. Mon espoir s’amenuise et s’évanouit. Ça fait mal.
« Oui. Il règne sur plusieurs planètes, il commande toute la flotte interstellaire, » grommelle-t-elle en détournant les yeux, incapable de soutenir mon regard.
J’ai un mouvement de recul involontaire, ses paroles me donnent la nausée. J’ai été rejetée par le roi extraterrestre de la planète entière ? Je suis si nulle que ça ? Je suis autoritaire et un peu chiante sur les bords. J’ai un caractère bien trempé pour une femme mais quelle femme n’aime pas se frotter à des méchants garçons et les dégommer ? Merde. Le Prime exige une demoiselle raffinée pour son alter ego sur Prillon. Ça doit être ça. Vraiment ?
J’ai l’esprit confus, je lui pose la seule question qui me vient à l’esprit. « Pourquoi ? Ils me prennent pour un trafiquant de drogue ? »
Il vaut mieux que l’accès me soit refusé pour trafic de drogue que pour mon côté garçon manqué.
« Mademoiselle Smith, ils ne vous prennent pas pour un trafiquant de drogue. Ils savent que vous êtes inculpée de trafic de drogue. Pourtant, j’ai déjà envoyé des filles coupables de meurtre. J’ignore ce qui leur prend. »
Elle secoue tristement la tête et appuie sur une série de boutons sur sa tablette. Je sors de l’eau, la lumière douce m’empêche de me concentrer, je m’aperçois alors que je n’ai plus un seul poil sur tout le corps. Les nouveaux implants dans mon crâne me donnent une horrible migraine, ma tête bourdonne, on dirait un bruit de parasites dans un haut-parleur.
Mon corps est à nouveau placé sur le fauteuil d’examen, la gardienne Egara me couvre avec une couverture grise. « Je suis sincèrement désolée, Jessica. C’est la première fois que ça arrive. Je vais envoyer une requête officielle à la Coalition Interstellaire pour savoir ce qui s’est passé. »
Je suis nue et je dégouline d’eau bleutée, la couverture me gratte et je suis toujours attachée à cette foutue table. Est-ce possible que ça soit pire ? « Ça va prendre combien de temps ? » Le bourdonnement dans ma tête augmente.
« Au moins plusieurs semaines. » Sa voix est amplifiée comme si un mégaphone était situé à un centimètre de mon oreille et je grimace.
Elle penche la tête en me voyant grimacer et me laisse un moment, elle revient avec une piqûre qu’elle m’injecte dans le cou. Je tressaille.
La piqûre surprise en valait la peine, la douleur dans ma tête s’évanouit en l’espace de quelques secondes.
« Je suis désolée pour cette sensation pénible. La majeure partie des épouses s’endorment pendant le processus d’intégration des neurostimulateurs. » Elle me regarde d’un air affable, je ne l’ai jamais vue ainsi. Je cligne des yeux devant une telle volte-face, il ne s’agit pas d’inquiétude, mais de pitié. Je ne peux même pas être transférée sur une autre planète sans qu’il y ait un truc qui plante.
« C’est quoi un neurostimulateur ?
– C’est un implant neurologique qui permet à votre cerveau d’intégrer des nouvelles langues et des nouvelles coutumes. D’ici quelques minutes, vous serez désormais en mesure de comprendre et de parler n’importe quelle langue sur Terre. Cette technologie ne concerne que les personnes effectuant un voyage interstellaire, mais vu que vous restez, c’est toujours bon à prendre. »
Je cligne des yeux et essaie d’assimiler ce qu’elle me dit. C’est toujours bon à prendre ? C’est mon lot de consolation, comprendre et parler n’importe quelle langue ? « N’importe quelle langue ? »
Elle hoche la tête, visiblement satisfaite par la technologie, mais perplexe et déçue que j’ai été recalée. « Absolument. Sur Terre ou dans la coalition. »
Puisque je ne pars plus sur une planète de la coalition, j’en ai un peu rien à foutre. J’ai une sorte de super-puce dans le crâne qui va permettre de comprendre les chaînes étrangères ou les étrangers à l’aéroport. Génial. J’en ai toujours rêvé. J’aurais préféré une nouvelle voiture ou un voyage à Hawaii. Ou du fric même.
Le top aurait été d’être transférée et de vivre le rêve de ma vie, le rêve du recrutement avec ces deux hommes vigoureux sur moi, en train de me baiser comme si j’étais la femme la plus désirable qu’ils n’aient jamais rencontrée, je me serais sentie belle. Désirée. Aimée.
Mais non. À la place, j’ai un décodeur à la con dans le crâne.
J’ai échoué avec mes potes journalistes, j’ai échoué avec mes potes flics, j’ai échoué à prouver mon innocence au tribunal, je ne suis même pas digne d’un extraterrestre qui n’aspire qu’à se taper une bonne chatte qui mouille, alors qu’ils acceptent des voleuses ou des criminelles sans même les avoir rencontrées. Des centaines de criminelles ont transité via le Programme des Epouses Interstellaires ces dernières années. Les femmes qui ont été arrêtées et recrutées de tous les horizons. Des toxicos, des traîtresses. Des voleuses, des meurtrières.
Toutes ces femmes ont traversé la galaxie, fondé des foyers et eu droit à un nouveau départ parmi des hommes extraterrestres recherchant désespérément des épouses via le programme. Ces femmes ont été blanchies, ont eu droit à une nouvelle vie.
Et moi ? Non. Ma candidature a été rejetée pour un crime que je n’ai pas commis, je n’ai pas été rejetée par mon partenaire, mais par ce putain de souverain de la planète entière ?
C’est pas mon jour.
« Je fais quoi maintenant ? »
La gardienne Egara baisse la tête et soupire. « Votre enrôlement volontaire dans le programme des épouses a satisfait à toutes les exigences requises pour la peine criminelle. C’est la première fois qu’une personne est rejetée, il s’agit d’une faille qui devra être rectifiée. Je m’assurerai à l’avenir qu’une femme qui soit refusée retourne en prison. Aucune règle n’existe concernant une sentence de substitution, puisque vous avez satisfait à toutes les exigences de la sentence. »
– Vous voulez dire que—
– Vous êtes libre, Mademoiselle Smith. »
Elle soulève la couverture et essuie quelques gouttes du liquide bleu au coin de mon œil, elles coulent sur mes joues telles des larmes.
Je suis libre. Pas de sentence. Pas de prison. Pas d’extraterrestre torride.
« Rentrez chez vous. »
Je ne veux pas rentrer chez moi. Je n’ai pas de maison. Pas de travail, pas d’amis, pas d’avenir. J’étais censée partir à l’autre bout de la galaxie, mes comptes bancaires ont été soldés, ma maison vendue. Lorsqu’une femme quitte la planète dans le cadre du programme des épouses, ses biens sont cédés, comme si elle était morte. Morte et enterrée, sans espoir de retour. Personne ne réclamera mon grille-pain ou mon vieux canapé, je présume que tout partira dans une vente de charité.
Je suis la première épouse renvoyée chez elle comme un chien, la queue entre les jambes, je ne suis même pas digne d’un partenaire extraterrestre.
Et si je franchissais les portes du centre de recrutement et allais faire un tour en ville ? Les sales types qui m’ont dénoncée vont envoyer leurs gros bras terminer ce qu’ils ont commencé. S’ils apprennent que je suis toujours sur Terre, je ne vais pas faire de vieux os.
Je ne suis pas une chochotte. J’ai un sac de voyage, des vêtements propres et de l’argent liquide grâce à un ami qui bosse pour les renseignements à l’étranger, il m’avait conseillé de prendre le minimum vital. J’ai suivi son conseil grâce à Dieu. Je n’ai plus qu’à aller au garde-meuble et recommencer de zéro.
Je suis libre. Célibataire. Malheureuse. Blessée. Désormais libre de mes mouvements… Et de dénoncer notamment une cohorte de gradés et de politiciens véreux.
Ces bâtards fourbes me croient partie sur une autre planète. Ce n’est plus leur problème. C’est sûrement le seul truc de bien qui me soit arrivé aujourd’hui.
Je fais pivoter mes jambes sur le côté de la table et souris, soudain pleine d’allégresse. Je suis peut-être pas assez bien pour une partie de jambes en l’air extraterrestre, mais très calée avec un téléobjectif. C’est mon sniper à moi. Une photo parfaite suffira à ruiner leur réputation, étaler leurs mensonges au grand jour, ruiner leur vie. Si mon appareil était une arme, la liste des hommes à abattre serait longue comme le bras. Si de plus je suis devenue un fantôme, une personne qui n’est plus censée être sur Terre, c’est encore mieux.
Je saute de la table, agrippe la couverture mais me calme lorsque la pièce se met à tourner. La gardienne Egara tend les bras pour me retenir et je lui adresse un signe de tête en guise de remerciement.
Je vais y aller, mais mon côté maso me rend curieuse. Si je dois laisser tomber la chance que m’offrait cette planète, alors je veux savoir. « Il s’appelait comment ? »
La gardienne Egara fronce les sourcils. « Qui ça ?
– Mon partenaire ? »
Elle hésite, comme si elle divulguait un secret d’état, et finit par hausser les épaules. « Prince Nial. Le fils aîné du Prime. »
Je rigole franchement, si j’avais quitté la Terre, je serais devenue une princesse. Accouplée à un prince extraterrestre, j’aurais porté des robes du soir et des chaussures ridicules, mes longs cheveux blonds ne seraient plus lissés en une simple queue de cheval mais rehaussés de pierres précieuses et bouclés, comme l’aurait exigé mon statut royal. Mon Dieu, il aurait fallu que je mette du mascara et du rouge à lèvres, ma peau claire est belle au naturel, sans maquillage.
Une princesse ? Pas question. C’est peut-être pour ça que j’ai été recalée. Je ne suis pas du tout une Cendrillon.
« C’est pas plus mal, gardienne. J’suis pas vraiment une princesse. » Je suis plus à l’aise avec un poignard qu’à manier la langue de bois avec les politiques, plus calée avec un fusil que sur une piste de danse. Ce sont les faits, malheureusement. Le Prince Nial n’a pas perdu grand-chose au change.
À part moi.
Le prince sera peut-être mieux sans moi. Ce n’est pas pour autant que, tout au fond de moi, je n’éprouve rien en repensant à la cérémonie d’accouplement, je rêve parfois de savoir ce que ça fait d’être aimée, désirée, baisée et possédée par ses partenaires.
Le Prince Nial de Prillon Prime, à bord du Cuirassé Deston
Je me dirige vers l’écran de contrôle pour m’entretenir avec mon père, apathique. J’ai l’impression d’être vide, de peser moins lourd qu’un gamin. C’est la meilleure façon d’affronter mon père, ne pas montrer d’émotions.
Il est impossible de retirer les implants cyborg microscopiques implantés dans mon organisme lors de mon séjour dans la Chambre d’Intégration de la Ruche, sans me tuer. Je suis par conséquent considéré comme contaminé, je constitue un risque pour les hommes placés sous mes ordres et le peuple de ma planète. Je suis traité comme un voyou extrêmement dangereux. C’est du moins ce que tout le monde croit. Les guerriers contaminés par la technologie de la Ruche sont carrément exilés dans des colonies pour le restant de leurs jours, ils y effectuent des tâches pénibles. Ils ne se marient pas. Et surtout ils ne deviennent jamais Prime des deux mondes Prillon.
Mon droit d’aîné, en tant qu’héritier du Prime et prince de mon peuple, m’a permis d’éviter l’exil dans les colonies, mais une chose compte plus que tout à mes yeux, et il ne s’agit pas de la personne qui s’affiche devant moi à l’écran.
Je fixe le visage délibérément dénué d’expression d’un homme ayant le double de mon âge. Il me ressemble, en plus vieux, sans implants cyborg. Il est immense, un visage sévère, son armure le fait paraître plus grand que ses deux mètres dix. C’est le Prime des deux planètes peuplées d’immenses guerriers. Il se doit d’être fort. Ses ennemis auraient sa peau au moindre signe de faiblesse.
Je suis son maillon faible. Je suis son voyou de fils, devenu une dangereuse menace cyborg.
« Père. » Je m’incline en guise de salutation, malgré la colère qui coule dans mes veines. C’est peut-être mon parent biologique, mais ce n’est pas mon père.
« Nial, j’ai parlé au Commandant Deston. J’ai rempli le formulaire officiel pour t’envoyer dans les colonies. »
Je serre les dents pour ne pas répondre immédiatement. Je feins l’indifférence. Ainsi, mon statut d’héritier royal du trône ne me prémunit pas contre l’exil. Il n’en a rien à foutre que je sois son fils. Je suis atteint et ruiné par la Ruche, et pas foutu de régner. Ni d’être son fils.
On lui tend une tablette, il lit attentivement son contenu tout en continuant à me parler, sans prendre la peine de me regarder. « Je pars sur le front dans quelques jours pour rendre visite à nos guerriers et évaluer l’état de plusieurs de nos anciens cuirassés. Ton transfert devra être effectif à mon retour. »
J’inspire profondément et essaie d’employer une voix aussi neutre et aimable que la sienne. « Je vois. Et mon épouse ? Elle aurait dû arriver depuis trois jours.
– Tu n’as pas le droit de prendre épouse. Je suis tombé d’accord avec le Conseiller Harbart. Sa fille sera ta partenaire. »
Je ne peux m’empêcher d’agripper le fauteuil devant moi de toutes mes forces.
« Harbart est un ignoble lâche qui voulait m’assassiner, ainsi que l’épouse du Commandant Deston. Pourquoi épouserais-je sa fille ? »
Le Prime arque un sourcil et me regarde d’un air perplexe. « La question n’est plus d’actualité puisque tu … ne peux prendre épouse. Tu n’en prendras aucune. Le transfert de ton épouse terrienne a été annulé bien entendu. Les guerriers contaminés ne peuvent avoir l’honneur de prendre épouse. Tu le sais bien. Elle sera accouplée à un autre guerrier qui n’est pas… »
Il s’interrompt et penche la tête, il me dévisage. Je le laisse me regarder. S’il était un vrai père, il verrait plus loin que les modifications cyborg de la Ruche et comprendrait que je suis toujours la même personne, que je suis son fils. Je suis toujours le prince.
« Qui n’est pas quoi ? »
C’est la première fois qu’il me voit depuis que j’ai réchappé à la Ruche. Les bras croisés, je le laisse examiner la légère lueur métallisée de mon profil gauche, la drôle de couleur argentée de mon iris gauche, autrefois doré. J’ai fait exprès de laisser mes avants bras nus afin qu’il voie le mince grillage de biotechnologie greffé sur la moitié de mon bras et une partie de ma main gauche. Je veux qu’il voie tout, qu’il me voie moi.
Il regarde mon bras avec insistance. « On ne peut pas retirer les implants et les greffes de la peau ? »
Une seule question et tout espoir s’évanouit. Je pensais qu’il s’en ficherait, mais non. Il ne voit que ce que la Ruche a fait, et non plus son fils.
« Le Docteur Mordin a dit que les greffes resteraient à vie. À moins d’amputer le bras.
– Je vois.
– Vraiment, père ? Et vous voyez quoi ? » Il n’a pas vu les autres greffes de la Ruche
recouvrant la moitié de mon épaule gauche, la majeure partie de ma jambe gauche et une partie de mon dos. Je vois à son regard distant qu’il en a assez vu.
Mon père, l’homme que je n’ai jamais aimé mais que j’ai toujours respecté, à qui j’ai essayé de plaire, secoue la tête.
« Je vois un guerrier qui fut un jour mon fils. » Il se rencogne dans son fauteuil et son regard se fait encore plus glacial. « Tu seras rayé des listes des héritiers et affecté sur celles des colonies. Je suis désolé fils. »
« Fils ? Fils ? Vous osez employer le terme de ‘fils’ pour m’annoncer mon exil dans les colonies ? » J’élève la voix. Inutile de rester calme. Ça ne m’a jamais rien apporté.
Il s’avance pour mettre un terme à notre échange mais ma question suivante le fait stopper net. « Et qui sera votre héritier ?
– Tu as de nombreux cousins éloignés, Nial. Le Commandant Deston aura peut-être un héritier avec sa nouvelle épouse. Le cas échéant, je suis persuadé que le peuple reviendra avec plaisir aux anciennes coutumes. »
Les anciennes coutumes…
« Un Combat à Mort ? » Il préférerait voir de valeureux guerriers s’affronter à mort pour obtenir le titre de Prime que de prendre en considération son propre fils ? Simplement parce que la Ruche m’a greffé sa biotechnologie ?
« Que le guerrier le plus valeureux survive. »
Si je pouvais passer à travers l’écran et lui casser la gueule, je l’aurais fait. « Vous préférez voir mourir nos meilleurs guerriers ? »
Cet homme est insensible. Sans cœur, du moins envers moi. Il est ainsi avec tout le monde. Il regarde des hommes courageux combattre pour rien, mourir pour rien, tout simplement parce qu’il est… Si… Cruel.
« Il n’y aura pas d’héritier. C’est comme ça. »
Il n’y a pas eu de Combat à Mort depuis deux cents ans, depuis que notre ancêtre est monté sur le trône. « J’ai de la force, père, mon mental est intact. Inutile de sacrifier nos meilleurs guerriers… »
Je le supplie de sauver les autres. Les plus forts risquent de se porter volontaires, de mourir pour rien, alors qu’ils devraient se trouver sur le front, à combattre la Ruche.
« Tu es contaminé.
– Je connais les systèmes de la Ruche, leurs stratégies. Ce serait idiot de m’exiler dans les colonies. Ma place est sur le front avec les combattants, je pourrais… »
Il m’interrompt à nouveau. « Tu n’es plus personne, tu es contaminé. La Ruche. Tu es mort à mes yeux. »
Je veux argumenter mais la communication coupe à l’autre bout.
Connard. Depuis plusieurs années, il ne s’est pas passé un jour sans que j’éprouve l’envie d’impressionner ce connard ou de le tuer.
« J’aurais dû le tuer, » murmurais-je.
Je fixe l’écran noir durant plusieurs minutes. Il m’a révoqué, je ne parlerai plus jamais à mon père. Ça ne m’affecte pas, c’est terminé. Ces implants cyborg sont peut-être un mal pour un bien. Les choses ont le mérite d’être claires avec mon père, il ne mérite plus que je lui accorde mon attention ou mon temps.
Non. Ces pensées tournent en boucle dans mon crâne, telle une tempête créant d’énormes dégâts. Il a révoqué mon épouse. Ma partenaire. Une belle Terrienne semblable à Hannah Johnson, l’épouse du Commandant Deston. J’avais tellement hâte de découvrir ma partenaire, une femme tout en courbes provenant de cette planète. Hannah est petite mais forte, elle aime tellement ses deux partenaires qu’elle les a suppliés de la posséder en pleine cérémonie d’accouplement.
Les implants de la Ruche m’ont donné un avantage ce jour-là, un secret que je n’ai partagé avec personne. J’ai enregistré toute la cérémonie dans mon système. Je l’ai visionnée tant de fois dans mon esprit, j’ai regardé inlassablement de quelle manière une humaine aime qu’on la touche, sa façon de se cambrer, les bruits qu’elle fait quand ses partenaires l’embrassent, la touchent, la baisent. J’ai envie de ça moi aussi. J’ai envie d’une partenaire comme ça, j’ai regardé l’enregistrement jusqu’à ce qu’il soit imprimé dans mon âme. Je l’ai appris. J’ai mémorisé la moindre seconde de leur cérémonial d’accouplement.
Je la ferai hurler, comme eux. Je la ferai frissonner, elle me suppliera de la pénétrer.
Mon cousin, le Commandant Deston m’a fait l’honneur de me convier à la cérémonie. Je les ai vus, lui et son second, Dare, baiser Hannah comme des sauvages. Leur épouse humaine a adoré leurs attentions, elle les a suppliés de continuer, elle regardait ses guerriers comme si elle ne pouvait vivre sans eux, comme s’ils lui étaient vitaux.
Ça me rappelle ma propre cérémonie au centre de recrutement. Le rêve dans lequel je m’accouple à ma partenaire. Les hommes sont exigeants, dominateurs, et dévoués. On m’attribue ma partenaire dans ce rêve, je sais ce qu’elle attend de moi. Et de mon second.
Je veux vivre la même connexion que dans ces deux cérémonies, j’y ai droit.
J’ai une partenaire. Une femme a été recrutée et m’a été attribuée. Lors de cette cérémonie d’accouplement torride. La compatibilité du Programme des Epouses Interstellaires avoisine les cent pour cent. Il existe bel et bien une femme pour moi, ça ne fait aucun doute. Je n’ai pas de second, pas de trône et aucun avenir, mais je m’en fiche. La seule chose qui compte—la seule personne qui compte— est cette terrienne, ma partenaire. Mon père a annulé son transfert. Ça ne remet pas en cause le lien qui nous unit. J’ai encore plus envie d’elle. Je ne la refuserai pas. Je me demande ce qu’elle a dû penser de moi quand elle a appris qu’elle avait été rejetée. Sa peine doit égaler la colère qui monte en moi, suite à l’intervention de mon père.
Mon connard de père ne va pas me refuser ma partenaire. Elle ne fera pas les frais de ses manigances.
Elle est innocente.
Elle est à moi.
Si le centre de recrutement n’avalise pas son transfert, j’irai tout simplement la chercher sur Terre et la ramènerai.