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Axiome n° 1: Les langues romanes ne proviennent pas du latin classique, donc le latin comme il nous a été transmis dans sa forme écrite. (principe d’oralité)

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Cet axiome est un plaidoyer pour l’oralité de la langue, non seulement dans la recherche scientifique de l’origine des langues romanes, mais aussi quant à leur formation et développement au cours du temps. D’un point de vue méthodologique, ce plaidoyer pour l’oralité implique la reconnaissance du primat de la langue parlée. Les grandes contributions de romanistes à la linguistique générale s’inscrivent dans cette tradition. La théorie du romaniste influent Eugenio Coseriu (1921–2002), qui trouve écho jusqu’aujourd’hui, en est un exemple par excellence. Il a travaillé à transformer la philologie romane en une discipline moderne structuraliste, dont il voyait les fondements dans une théorie de la compétence linguistique et de l’usage de la parole :

Un changement radical de point de vue doit se produire dans l’observation de la compétence linguistique : à l’inverse de Saussure, c’est l’usage de la parole qui est l’élément essentiel du langage pour Coseriu. Il est composé d’une couche biologique et d’une couche culturelle. Culturellement, la parole est d’abord une activité qui repose sur un savoir et qui est produite de manière parlée et écrite. La parole est une activité linguistique générale qui est exercée de manière individuelle (discours) par les représentants d’une même tradition du savoir parler (langues historiques à part). Le produit de cette activité est, de manière générale, la totalité des propos, historiquement la langue abstraite et individuellement le texte. Coseriu en arrive ainsi à un élargissement de la théorie générale de l’usage de la parole.1

À la suite de Coseriu, les romanistes Peter Koch et Wulf Oesterreicher ont développé dans les années 1980 une théorie dans le cadre d’un projet de recherche de l’Université de Freiburg. Elle a engendré un nouvel élan au-delà des frontières de la discipline et quasiment unique pour la linguistique en Allemagne et dans certaines régions d’Europe. Il s’agit de la théorie de l’oralité que les fondateurs caractérisent eux-mêmes par le binôme « langue de proximité et langue de distance ». La proximité et la distance doivent être comprises comme deux dimensions du comportement communicatif et ne se résument pas à la description d’une seule langue.2 Koch et Oesterreicher définissent la proximité et la distance dans l’activité communicative d’une part au travers des conditions communicatives objectives, d’autre part au travers des stratégies langagières des usagers. Ils créent ainsi une base théorique communicative pour l’oralité du parler qui peut être employée à différents égards. Koch et Oesterreicher eux-mêmes ont mis l’accent sur deux emplois méthodiques. Ils utilisent leur concept de proximité et de distance de la parole dans le but d’élargir le modèle structuraliste de la variété linguistique d’une part. D’autre part, grâce au concept-clé de l’« oralité expressive », ils développent la signification de leur concept pour une théorie du changement linguistique fondée sur la communication.

La mise en exergue de l’oralité et des conséquences méthodiques qu’elle implique est donc fondamentale pour la philologie romane moderne. En regardant de plus près, on peut supposer que les convictions linguistiques et communicatives théoriques qui vont de pair avec elle ont particulièrement facilité le rapprochement entre la philologie romane et des disciplines de recherche encore plus jeunes, comme la pragmatique et la linguistique cognitive.

Mais revenons aux débuts dans le cadre d’une perspective historiographique et demandons-nous dans quelle mesure l’axiome selon lequel les langues romanes ne proviennent pas du latin écrit a été décisif dans la construction d’une théorie historico-linguistique. En nous intéressant à cette question, nous avons affaire – d’un point de vue actuel – à une philologie romane bien moins moderne. Cette dernière se contente jusqu’aujourd’hui d’éviter des points de vue exagérés et des idées fausses. Une erreur de jugement précoce ayant des conséquences pour la discipline fut la recherche de langues d’origine concrètes qui auraient pu représenter une alternative au latin. Au XIXe siècle, deux opinions s’opposent sur ce sujet.

Entre 1816 et 1821, le chercheur François-Juste-Marie Raynouard, alors reconnu de ses contemporains pour son travail sur le provençal, prononça l’idée que l’origine des langues romanes comportait deux volets.3 Dans la Romania centrale et occidentale, la langue originelle qui se forma aurait correspondu dans ses grandes lignes à l’ancien provençal. À l’opposé, le valaque, comme on appelait alors le roumain, se serait construit sur une autre variété romane originelle. Autant la forme occidentale qu’orientale se seraient constituées grâce à des mélanges linguistiques particuliers, un point de vue tout à fait courant à l’époque. Dans la tentative de réfuter cette opinion tout en accordant une origine commune aux langues romanes, les philologues allemands Friedrich Diez et Hugo Schuchardt prirent une place à part. C’est à leurs travaux et enseignements que l’on doit l’établissement d’une philologie romane comme discipline autonome, qui expliqua le développement de toutes les langues romanes à partir d’un latin populaire relativement uniforme, donc d’un latin avant tout parlé, pour lequel le terme de « latin vulgaire », c’est-à-dire latin du peuple, s’est imposé sur le plan terminologique.4

La formule trouvée paraissait simple : les langues romanes ne proviennent pas du latin classique écrit, mais du latin vulgaire parlé. Le problème de cette hypothèse était cependant que la mise en exergue de l’oralité anéantissait de cette manière le concept d’une langue de culture uniforme s’étant construite au cours de l’histoire et qu’on séparait ainsi le latin en une partie écrite normée et une partie orale non normée (du moins non normée uniformément). Cette division ne pouvait cependant valoir pour un concept concevable et valide d’une langue construite dans l’histoire et encore moins dans la vision d’une langue comme organisme, comme elle a été prédominante dans la philologie romane depuis ses débuts et pendant longtemps.5

La philologie romane se sert encore aujourd’hui de l’idée du latin vulgaire parlé afin de déterminer l’origine des langues romanes (cf. la note de bas de page n°2). Mais aujourd’hui, une majorité de romanistes reconnaît que le latin vulgaire est une construction hypothétique, qui peut être qualifiée de reconstruction méthodologique et descriptive abstraite se référant ainsi à la méthodologie des études indo-européennes précoces. Quoi qu’il en soit, le concept de latin vulgaire n’est plus compatible avec l’idée contemporaine d’une définition socio-culturelle et communicative de la langue. Ainsi, il est même ouvertement rejeté aujourd’hui par certains6 ou n’est simplement plus mentionné dans des présentations historico-linguistiques.7 Mais il n’est pas si simple de le rejeter ou de le bannir de la philologie romane,8 car la discipline a construit sa légitimité sur la base de prémisses qui ont vu le jour en relation avec la construction théorique du latin vulgaire. Afin d’expliquer cette idée, il est opportun de s’intéresser aux conséquences du second axiome.

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