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À propos de l’engagement politique

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Jean est connu pour son engagement politique. En ce qui me concerne, depuis la fin de mes études supérieures, progressivement, je me suis désengagé du champ politique. Les évolutions notées au Sénégal depuis le milieu des années 199039 m’ont renforcé dans cette décision. Tout le monde sait que je suis un proche d’Abdoulaye Bathily. Quand il dirigeait la Ligue démocratique, je ne me suis pas engagé politiquement à ses côtés. Il ne me l’a jamais demandé. À l’université de Dakar, c’est notre génération qui a mis sur pied le Syndicat autonome de l’enseignement supérieur dont j’ai été membre jusqu’à la retraite, mais je ne me suis jamais impliqué dans ses instances de direction. J’ai connu les fondateurs de la Rencontre africaine des droits de l’Homme et assisté à la réunion de démarrage de l’association. Ensuite, je ne me suis pas engagé dans son fonctionnement. Quand mon regretté collègue Yoro Fall a créé Options, j’ai publié quelques papiers dans son journal, mais par la suite je me suis retiré de la rédaction. Yoro avait d’ailleurs contacté Jean lors d’un passage à Nairobi, en 1988 ou 1989, pour préparer un ouvrage sur la crise africaine qui, malheureusement, n’a jamais vu le jour.

À la fin des années 1990, j’ai été chargé par le PNUD de préparer le rapport national sur la gouvernance. C’est moi-même qui avais recruté les consultants, rédigé les termes de référence et préparé une première version du rapport provisoire dans des conditions difficiles. Des divergences de vues avec les commanditaires, dans la dernière phase, m’avaient conduit à démissionner. Mon remplaçant n’a pas eu le temps ou les moyens de revoir l’esprit qui avait été à la base du rapport. Lors de la présentation publique de ce document40 par le PNUD, le président Wade s’était emporté publiquement en raison de certains passages du rapport qui ne lui étaient pas favorables. Par ailleurs, je me suis engagé, dès le départ, dans les Assises nationales du Sénégal. Dans la phase finale, j’ai été chargé de la rédaction du rapport issu de cette grande concertation politique41. L’expérience fut très difficile malgré le soutien constant de mon ami et « complice » Gaye Daffé. Mon attention avait été attirée par le fait que, dans un document d’une telle envergure proposant une analyse rétrospective de la vie économique, sociale et politique du Sénégal depuis 1960 rien n’avait été écrit sur les effets dévastateurs connus des programmes d’ajustement structurel. Il a fallu insister pour que cette omission volontaire soit rectifiée. Mais d’autres divergences et tiraillements avec deux dirigeants des Assises nationales m’ont conduit à me retirer de cet exercice. Je n’ai pas été étonné par la qualité médiocre du produit qui a ensuite été publié alors que nous disposions de documents de qualité rassemblés au sein des Commissions des Assises nationales.

Il ressort de ces éléments que ma trajectoire politique est moins marquée que celle de Jean. Depuis un quart de siècle, je me suis surtout impliqué dans ce que Jean appelle un « activisme éditorial », domaine dans lequel je ne dépendais de personne. Je n’ai jamais sollicité ou obtenu des ressources publiques pour soutenir cet engagement éditorial qui n’a pas été sans conséquence sur ma carrière. Mais je ne le regrette pas du tout.

En ce qui concerne Jean, son engagement politique n’a pas été sans conséquence sur sa carrière. Il m’a dit que celui noté au sein du Comité Information Sahel ne fut pas bien apprécié au sein de la direction de l’École des hautes études en sciences sociales, notamment en 1975, à l’occasion de la compétition pour un poste de maître-assistant, qu’il n’a pas obtenu. Il m’a également expliqué que cet engagement l’a également privé, en 1980, d’un poste de MCF en sociologie en coopération à l’université de Dakar. Le poste ayant été carrément supprimé par les responsables français lors de la commission mixte franco-sénégalaise dans la mesure où la candidature de Jean était la seule déposée. Comme il le dit, sa candidature a été rejetée, « pour cause de gauchisme42 ». La question de l’engagement politique est présente dans toute la production théorique de Jean Copans. C’est elle qui structure et oriente ses choix thématiques, comme il le montre dans les lignes qui suivent :

Je me dois d’affirmer d’emblée que l’engagement politique a toujours aiguillé mes choix thématiques, mais qu’il faut comprendre cet engagement non seulement sous l’angle de l’immédiateté de l’action politique, mais aussi sous l’angle des formes variées de l’intervention intellectuelle et universitaire dans trois registres :

a) De la popularisation et de la vulgarisation tant auprès des militants que du grand public.

b) De la pédagogie.

c) Des formes d’écriture et de transmission des connaissances et des réflexions (journalisme43, comptes rendus et chroniques bibliographiques, etc.).

Cette préoccupation a traversé tous mes écrits, depuis le premier, à ma connaissance une très longue chronique bibliographique dans le mensuel d’une tendance trotskyste fin 1964. Mais cette préoccupation a pris plusieurs formes et a même conduit à des choix politiques qui ont pu s’apparenter à des formes de répression universitaire. Et puis, dans la mesure où je me suis consacré à au moins une demi-douzaine de domaines et de thèmes, cela implique de considérer et le fil rouge (évidemment) qui les relie, mais surtout les élaborations spécifiques que chacun de ces domaines implique. Pour me résumer, les réflexions spécifiques ont pu contribuer à une réflexion plus générale, mais cette dernière est toujours le résultat d’un élargissement des réflexions spécifiques et non l’inverse à savoir l’application d’une macro-théorie y compris politique à l’action politique, à la posture morale et au choix empirique localisé.

Les précisions orales qu’il m’a alors fournies, appuyées par sa contribution à l’hommage à Vladimir Romanovitch Arseniev et les notes manuscrites au séminaire déjà évoqué montrent le rôle joué par ses parents dans l’engagement politique de départ, de Jean Copans44 :

Enfance et adolescence dans une famille petite-bourgeoise binationale (française et américaine) marquée par le communisme forcément stalinien de mes parents45 et l’adoption de cette culture sans trop de critique jusque vers mes 20 ans. De l’attirance du politique (lecture de nombreux journaux y compris le quotidien Libération des années 1950 et 1960 qui n’a aucun rapport avec le Libé actuel). Fréquentations communistes, positionnements orthodoxes, lecture des revues communistes et soviétiques et fréquentations des librairies et salons du livre. Mais des ruptures assez brutales et rapides ont été notées à partir du lycée Condorcet : rencontre avec Alain Krivine46, entrisme à la JC à l’UEC, adhésion à la quatrième internationale puis à sa fraction dite pabliste, fascination pour les luttes de libération nationale, lecture de La Révolution trahie de Trotsky

Bref à partir d’un communisme mâtiné de tiers-mondisme d’une part et d’une découverte progressive du marxisme des fondateurs et de la réflexion marxiste des années 1950 et 1960 d’autre part, j’en arrive à l’Afrique noire et à l’anthropologie à la rentrée 1963. Et ce choix sans cesse rectifié et autocritiqué et débattu, ne sera jamais fondamentalement remis en cause. Sauf qu’aujourd’hui errant dans un champ de ruines sans repères il peut paraître présomptueux et même inexact de parler encore d’un champ marxiste, d’une part, et, bien sûr, d’opportunité de l’autre…

Comme il le dit lui-même, le fil conducteur pour comprendre sa pensée, qui n’évolue pas au gré des circonstances, est son activité de chercheur engagé. Cet engagement militant s’est d’abord exprimé en faveur de l’Algérie. En effet, il avait été invité à enseigner, à l’été 1963, à l’université d’Alger, comme « pied rouge » alors qu’il n’avait pas encore obtenu sa licence. Plus tard, il a tout autant refusé, à la fin des années 1970, d’aller enseigner au Mozambique dans le cadre de la « coopération rouge », comme il l’explique dans ses notes de séminaire :

Les relations entre mes camarades trotskystes et la direction du Frelimo m’ouvrent à nouveau la porte pour une coopération révolutionnaire au Mozambique47 que je refuse à la fin des années 1970. Lors de ma visite en novembre 1983, dans un séminaire à Maputo, Meillassoux et moi-même sommes accusés d’être de vulgaires anthropologues bourgeois par mes collègues tout aussi blancs que vous et moi48. Plus tard, lors d’un colloque à Bujumbura, en 1989, j’ai fait pleurer Anna Maria Gentili, historienne italienne, ancienne coopérante rouge49, en rappelant ces comportements stalino-bureaucratiques.

En conclusion, comme il me l’a souligné à Dakar en novembre 2019, il a toujours refusé de collaborer de l’intérieur avec ces régimes dits socialistes50. Notre point commun est l’engagement dans les publications, l’édition, « l’activisme éditorial ». Jean a été présent de manière active dans plusieurs comités de rédaction de revues : « Je suis un homme de périodiques, de journaux ou de magazines aux périodicités variées et de revues académiques » (Copans, 2010). Mais c’est dans les Cahiers d’Études africaines qu’il a le plus manifesté ce statut d’homme de revue.

Les zones critiques d'une anthropologie du contemporain

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