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Information, surinformation et besoins des organismes

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Dans son «Traité de documentation» (1934), Paul Otlet évoquait l’explosion de l’information et la nécessité de l’organiser et de la documenter, par le biais de «procédés nouveaux», qui consistaient en la création de fiches, de systèmes de classification et de mise en réseau de l’information.2 Dans son souci d’organiser le monde et d’assurer l’accès à l’information au plus grand nombre, bien qu’il traitait avant tout de documentation (et non de records), il avait non seulement anticipé l’arrivée d’Internet, mais aussi lancé l’idée d’un «bureau sans papier». La même année, aux Etats-Unis, avec la fondation des Archives nationales fut créée la notion d’«Information Lifecycle Management», base fondamentale du Records Management, prévoyant le repérage, la conservation ou l’élimination des documents. Dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale (1947), le président Truman chargea la commission Hoover d’endiguer l’inflation des documents administratifs par la création d’un service de gestion des documents dans chaque agence fédérale, ainsi que par la création d’une division de Records Management aux Archives nationales. En identifiant les documents selon leur stade de vie, à savoir les «actifs», «semi-actifs» et «inactifs», il était désormais possible d’éliminer les documents périmés.3

Les années 1950 marquent les débuts de l’utilisation des ordinateurs au sein des administrations et les années suivantes se caractérisent par une croissance spectaculaire de la production de documents électroniques, qui s’imposent dans les années 1990. Or la diffusion de l’informatique et sa banalisation, tant au niveau professionnel que privé, a un effet pervers: cette dématérialisation, loin de déboucher sur l’idéal rêvé d’un «bureau sans papier», participe à en augmenter la masse. Le réflexe de l’impression demeure ancré dans les habitudes, un «clic» n’a pas la même portée ou la même valeur que la signature d’un document, l’obstacle étant avant tout culturel. En outre, la multiplication des supports de l’information et de leurs provenances multiformes, ainsi que leur mise en réseau planétaire, font que notre société est aujourd’hui non plus une ère d’information, mais de surinformation. Les données nous parviennent de façon non structurée et de sources parfois difficilement identifiables. Tout l’art d’une bonne gestion de l’information consiste alors à l’organiser et à l’évaluer.

Simplifié à l’extrême, le Records Management a pour tâche de permettre de retrouver les documents, et donc l’information pertinente, nécessaire à l’accomplissement des missions d’un organisme, dans un minimum de temps et en mobilisant le moins de force possible, c’est-à-dire d’assurer une gestion rapide de l’information, efficace et au meilleur coût. Les notions de préservation et d’accès étant liées, il convient aussi de régler le problème de l’accès versus la protection des données, de même que leur sécurisation, même si peu d’organismes sont conscients des dangers découlant de la perte de ses records vitaux.4

A ces arguments «traditionnels», on peut ajouter deux facteurs de nature sociétale pour expliquer le recours indispensable au Records Management. Le premier concerne les contraintes réglementaires qui constituent l’environnement quotidien des organismes. L’exemple des Etats-Unis, où les procès civils et demandes en dommages et intérêts atteignent des sommets, illustre les dérives possibles d’une société judiciarisée. Dans un tel contexte, il faut pouvoir prouver que l’on a agi en conformité avec la loi, au risque, sinon, de devoir en répondre au tribunal. Le second concerne la croissance des phénomènes de mise en réseau et d’intégration professionnelle dans et hors des organismes, qui nécessite une standardisation. Sans système réfléchi et réglementé, les organismes risquent de perdre pied dans notre «e-société» et d’être submergés dans le chaos informationnel.5

Pour répondre à ces besoins, qui ont évolué avec l’arrivée de nouveaux outils technologiques et méthodes de travail, ce sont les pays anglo-saxons qui ont été les plus actifs. Entrée en vigueur en 1996, la norme australienne AS 4390 a eu un impact considérable et a mis l’accent sur la production (ou réception) documentaire dans le cadre d’une activité, le document étant envisagé dans sa valeur probante, dans ses dimensions administratives, fiscales et légales (sa valeur primaire).6 Ce succès conduit, en 2001, à sa généralisation et standardisation par l’Organisme international de normalisation, après quelques remaniements (afin de la rendre compatible avec divers droits nationaux). La première édition de la norme ISO 15489 «Information et documentation – Records Management», fut ainsi lancée le 3 octobre 2001 à Montréal, lors d’un congrès de l’Association of Records Managers and Administrators.7

Selon cette norme, le Records Management est défini comme «champ de l’organisation et de la gestion en charge d’un contrôle efficace et systématique de la création, de la réception, de la conservation, de l’utilisation et du sort final des documents, y compris des méthodes de fixation et de préservation de la preuve et de l’information liées à la forme des documents.»8 En outre, elle met en avant quatre critères minima, supposés garantir la qualité informationnelle d’un record: l’authenticité, la fiabilité, l’intégrité et l’exploitabilité.9 Ces éléments sont d’autant plus importants dans un univers électronique, où tout document est aisément reproductible, et donc falsifiable. Dans ce sens, la traçabilité, notamment par le biais de métadonnées, est une notion essentielle pour assurer la transparence des activités d’un organisme, notamment d’un point de vue juridique.10 A ces quatre critères, les notions de durabilité et mise à disposition, ainsi que de sécurité et crédibilité peuvent être ajoutées, comme l’a suggéré Peter Toebak, en s’inspirant de la norme ISO 14721 sur l’archivage des données.11

Le cadre théorique qui entoure le Records Management paraît bien étoffé et solide, entre la littérature grise et les normes internationales, sans compter le nombre de cours, conférences et workshops proposés. Malgré cela, le Records Management, bien qu’il s’agisse d’une (jeune) discipline à la mode, est encore loin d’être connue et reconnue et n’est pas un «business as usual».12 Il faut donc avoir à l’esprit que le travail d’un records manager est mal compris, méconnu et que, bien souvent, l’intervention se fera dans un milieu empreint de scepticisme, voire d’hostilité. Un décalage important demeure entre littérature, guides, manuels, cours, formations diplômantes et la situation réelle au sein des organismes.

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