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III

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«Attends! attends voir un peu là-haut que je t’attrape, mauvaise graine!»

Une dégringolade effrénée avec des bris secs de branches rompues; un galop de souliers ferrés sur la route; toute une envolée de galopins dans un nuage de poussière par les chemins.

Les paysans courbés sur les sillons, les vignerons ployés en deux entre les rangées d’échalas relevaient un moment la tête, d’un mouvement lent et mou, puis se remettaient à la besogne, en grommelant:

«Ça, c’est encore le gars Durand qui fait ses farces, le gredin.»

En effet, dans un pêcher, un pommier, un arbre fruitier quelconque, on avait aperçu un enfant, la culotte en lambeaux, les cheveux broussailleux, arrachant des fruits qu’il jetait en bas à des camarades de son âge, postés sous les branches. C’était le fils Durand.

Jusqu’à dix ans, Germain Durand, lâché comme un poulain sauvage, courait à travers la petite ville de Beaune, rayant les pavés de ses clous pointus, ou rôdait dans la campagne en compagnie de quelques couples de vauriens aussi déterminés que lui sans que son père voulût paraître se préoccuper de cette existence vagabonde.

Il grimpait aux peupliers, se battait à coups de pierres, chassait aux oiseaux, pêchait aux écrevisses, se baignait en pleine rivière, à l’âge où les enfants de sa position ne savent seulement pas se conduire tout seuls. Une fois, il revint la tête fendue, après une bataille; une autre fois il tomba d’un tilleul et se releva clopin-clopant. Mais tous ces petits accidents ne firent que l’aguerrir, et, s’il roula un matin dans la rivière, il dut à ce plongeon involontaire d’apprendre plus vite à nager.

Cette éducation de plein air lui donna une santé de fer, une adresse de singe et une force peu commune, l’habituant à se tirer tout seul d’affaire et à savoir se passer des autres.

A dix ans, on le mit au collège de Beaune; mais, sautant par-dessus un mur, il courut rejoindre dans les vignes ses compagnons de vagabondage.

Le père Durand, qui ne plaisantait pas, coupa court à ces fougasses, en l’envoyant faire ses études à Paris, où il eut pour correspondant un oncle très sévère. Cette fois l’indiscipliné fut maté.–Si loin des siens, désorienté, tout dépaysé, il n’osa s’échapper.

Au collège, ses camarades commencèrent charitablement par rire de ses joues trop rouges et de son teint hâlé, mais ses poings, durs comme les cailloux des routes de son pays, mirent promptement les rieurs à la raison.–Son bon caractère acheva de lui gagner les amitiés. De plus, le goût du travail, l’amour-propre de montrer ce que pouvait faire le petit paysan bourguignon le mordirent de si belle façon aux entrailles, qu’il remporta les principaux prix de sa classe à la fin de la première année.

Désormais le branle était donné, toute son ardeur d’autrefois se transforma en passion pour l’étude. Le collège fut pour lui un endroit attrayant et non plus une prison. Son cerveau s’ouvrit tout grand et se développa. En même temps il cultivait assidûment la gymnastique, l’escrime et l’équitation, ayant conservé sa grande passion d’enfance pour les exercices du corps, auxquels il excellait. Cela entretint merveilleusement sa santé. Ses études, sans être celles d’un aigle des concours généraux, de ces jeunes lauréats élevés à la brochette, furent excellentes en ce sens qu’il n’oubliait plus ce qu’il avait une fois appris.

Lorsque M. et madame Durand avaient ainsi expédié leur fils à un collège de Paris, ils espéraient que Germain, une fois ses examens passés, reviendrait vivre tranquillement auprès d’eux, en surveillant ses propriétés. Ils étaient assez riches pour qu’il fît le gentilhomme campagnard, les bras croisés.

Tout au contraire, les poumons du jeune provincial s’accoutumèrent tant et si bien à l’atmosphère parisienne, qu’il lui sembla impossible de retourner pour toujours au milieu des saines et vivifiantes senteurs de la Côte-d’Or. Il était du reste suffisamment robuste pour s’en passer, et il avait trouvé que le milieu brûlant, toujours en ébullition, de la grande ville, convenait seul à son cerveau.

Lentement, certaines idées, certains projets indécis se levaient dans son esprit, encore flottants à l’état de vapeurs sans formes, mais il comprenait bien que tout cela ne prendrait un corps, qu’à l’expresse condition de travailler en pleine fournaise intelligente et remuante, dans cette serre chaude du cerveau, Paris.

Aussi, dès sa sortie du collège, après avoir bien passé son double baccalauréat, il. entama résolument le droit.

Sa famille, heureusement pour lui, ne contrariant pas cette vocation, continua à lui servir une pension suffisante pour qu’il pût vivre sans privations, sans recourir aux expédients, à Paris. On n’exigeait de lui qu’un séjour de deux mois dans le pays, à l’époque des vendanges.

Germain adorait ses parents, et c’est en les raisonnant très sensément, très posément, qu’il les avait amenés à lui faire cette concession de l’existence complète dans la capitale. Le père Durand, un finaud sous une enveloppe grossière, rendit justice au bon sens de son fils, et reconnut avec lui que la lourde et calme vie de province, cet assoupissement continu du cerveau écrasait la vivacité de l’intelligence et empêcherait ses desseins d’aboutir.

Tranquille du côté de sa famille, le jeune homme poursuivit ses études avec une régularité tenace et acharnée, sans se laisser détourner plus qu’il ne le voulait par les plaisirs de son âge ni par l’exemple des camarades du quartier latin.

Licencié en droit à vingt-deux ans, grâce à cette laborieuse continuité, il s’était courageusement mis à étudier la médecine, se disant que, muni de ce double viatique, il lui serait loisible de choisir une profession, si l’envie lui en venait, et d’aspirer à tout.

Du reste, instinctivement, il roulait de plus en plus dans sa tête le projet de certains travaux littéraires, tout spéciaux, pour lesquels la connaissance exacte de la médecine et des lois ne serait pas inutile. Ses ébauches de rêveries d’autrefois se rapprochaient, prenant un dessin plus net; un classement se faisait dans ses idées, dans sa manière de voir et de comprendre les choses. En attendant l’heure voulue, il continuait à emmagasiner dans les cases de sa mémoire tous les matériaux dont il aurait alors besoin.

Il ne dédaignait pas pour cela de se mêler aux amusements des amis joyeux qui l’entouraient, n’ayant rien d’austère ni de sauvage et ne posant nullement pour le travailleur gourmé, hypocrite; mais il ne fallait pas que ses travaux accoutumés pussent en souffrir, et jamais il ne sacrifiait une étude à ces banales distractions.

A côté de ces heures d’opiniâtre labeur, en dehors des plaisirs communs à tous, il en avait de tout particuliers.–D’étranges curiosités pour les mystères nocturnes de la grande ville le poussaient parfois à. passer ses nuits dans la visite des coins inconnus, des populations bizarres de Paris, tantôt courant les restaurants de nuit pour connaître leurs habitués typiques et leurs soupeuses, tantôt fréquentant les bals de barrière.

Un inspecteur de la sûreté, dont il fit la connaissance, l’emmena avec lui dans quelques-unes de ses expéditions, et lui montra les principaux bas-fonds, les repaires du vice et de la débauche.

Il avait aussi l’inquiète attraction des saltimbanques, causait avec les extraordinaires propriétaires de ces baraques où l’on montre des phoques, des femmes-torpilles, des difformités.–Il serrait la main aux monstres de la foire au pain d’épice, de la fête de Saint-Cloud ou de Neuilly, était lié avec les lutteurs et tutoyait des acrobates.

Sa vigueur bourguignonne le servait à loisir dans ces périlleuses promenades. Ses épaules larges, sa poitrine bombée, ses bras solides inspiraient une crainte salutaire aux quelques bandits qui eussent pu trouver mauvais de le voir ainsi pénétrer dans leurs tanières pour étudier sur le vif leurs mœurs et leur vie. Il aimait ces excursions troublantes dans les milieux dangereux, prenant au retour des notes sur ce qu’il avait vu et entassant les documents sans avoir encore bien arrêté la manière dont il les utiliserait.

C’est à cette époque qu’il rencontra, à la première d’Henriette Maréchal, Fernand Rénal.

Les histoires du jeune dessinateur, en lui parlant de choses qu’il n’avait pas vues, augmentaient ses renseignements particuliers sur Paris, mais il résistait encore à cette séduction aussi bien qu’à l’attrait personnel du fils de l’auteur dramatique, se réservant de l’observer, de ne pas se lier trop vite et de réfléchir.

Dans les premiers jours de leur amitié toute neuve, une camaraderie purement intellectuelle et toute de surface, Germain Durand, dont le caractère était plutôt sérieux et très observateur de nature, résista donc à la soudaine impulsion qui l’avait jeté d’une manière plus irréfléchie qu’il n’en avait l’habitude, dans les bras de Fernand Rénal.

Avec la réflexion, après des causeries plus fréquentes, une assimilation plus générale et plus entière, l’étudiant en médecine s’était demandé si son nouveau camarade était bien réellement sérieux et capable d’amitié.

N’avait-il pas affaire tout bonnement à quelque faiseur d’embarras, s’amusant à éblouir ceux qui ne le connaissaient pas et à jeter de la poudre aux yeux?

Déjà même, durant la fameuse représentation de la Comédie-Française, deux ou trois phrases avaient détonné dans la conversation, le mettant sur ses gardes; c’est pourquoi, une fois rentré chez lui, il avait montré tant de muette réserve dans sa réception.

Puis le feu, l’entrain soutenu de Fernand, qui paraissait parler avec un sincère et franc enthousiasme, l’avaient charmé, le livrant à ces commencements d’amitié qu’il ne cherchait pas à trop encourager. Pouvait-il se fier aveuglément à ce garçon de dix-neuf ans, tout frais échappé du collège, bachelier de la veille, et croire sans contrôle tout ce qu’il lui plaisait dé raconter, avec l’aplomb d’un homme de quarante ans?

Pourtant Germain ne l’avait jamais trouvé en contradiction avec lui-même; peut-être Fernand tenait-il tout bonnement de son père ces véridiques histoires et ces souvenirs si francs.

Ce fut donc d’abord un des gros étonnements, une des muettes méfiances de Germain Durand. Il craignait de ne trouver dans cet ami, plus jeune que lui de quatre ans, qu’un vulgaire exploiteur.

Le nom du père, Alexandre Rénal, une des célébrités de troisième ordre de la scène, fournisseur attitré du Gymnase, du Vaudeville, du Palais-Royal, des Variétés et des Bouffes, n’était même plus une garantie suffisante, l’auteur dramatique étant mort l’année précédente, en juillet1864. Depuis, le jeune homme, vivant seul à Paris, avait eu tout le temps de se perdre.

Germain débuta donc par une réserve polie, ne s’abandonnant pas complètement au charme qu’il goûtait dans la société du jeune homme, se résistant à lui-même pour n’avoir pas à se repentir plus tard d’une faiblesse qui lui eût semblé impardonnable à son âge, avec la gravité acquise de ses idées et de ses prétentions justifiées à l’observation critique et raisonnée.

L’autre venait à lui avec une affection débordante, se donnant tout entier, y allant de toute âme, comme si, devinant instinctivement la résistance, le reploiement du jeune étudiant sur lui-même, il eût eu à cœur de fondre la glace dont s’enveloppait son camarade d’un soir.

Peu à peu, à mesure que les preuves affluaient et que les apparences de cette chaude amitié pour lui se soutenaient avec la même égalité, Germain sentait s’évanouir, les unes après les autres, ses préventions. Il commença à croire qu’il avait rencontré là un de ces véritables amis, dévoués, sincères, sur lesquels on peut compter en tout et pour tout, sans que cette amitié se démente jamais.

Quand enfin il se fut livré, dans un de ces jours de détente que connaissent toujours même les hommes les plus froids et les moins expansifs, il apprit alors le secret des quelques notes discordantes qui l’avaient étonné, surpris et même inquiété chez son futur ami.

Tout provenait de l’étrange manière dont Fernand avait été élevé, éducation littéraire et dramatique toute spéciale, unique peut-être, et due aussi Lien aux circonstances qu’au caractère profondément insoucieux et bohème du père.

En entendant son compagnon causer des acteurs et des actrices célèbres, aussi familièrement que s’il les avait intimement connus, Germain Durand n’avait pu s’empêcher de penser:

«Toi, mon bonhomme, tu es un esbroufeur!»

Quand il connut l’existence de Rénal depuis sa naissance qui avait causé la mort de sa mère, il lui demanda franchement pardon d’avoir pu le soupçonner, et lui avoua toutes les hésitations qui avaient troublé son esprit.

Fernand, avec une sorte d’amusante naïveté, qui le peignait bien, lui apprit ce qu’il savait de son père et de lui-même, détaillant son existence, faite de pièces et de morceaux mal cousus, au milieu d’un monde de convention, manquant absolument de naturel.

–Germain l’écouta attentivement, reconstituant par la pensée ce qui manquait au curieux récit de son ami, se rendant un compte exact de ce que pouvait devenir un garçon charmant, délicat, roulé depuis le berceau dans un milieu d’individus sans scrupules et sans sincérité; il reconnaissait l’immense mérite qu’il y avait à être sorti de là tel que Fernand se montrait, franc, presque naïf et terriblement avide du vrai et du beau.

Son seul défaut consistait à être un véritable Parisien, un peu mou, facile au vice et légèrement gâté par l’assidue fréquentation des femmes de théâtre, mais ayant conservé un cœur d’or et de délicates illusions.

La simplicité même de son récit fut un charme de plus pour Germain qui l’écouta, très ému, faisant malgré lui des comparaisons mentales entre son enfance naturelle au milieu du grand air de la campagne et de la vie simple des paysans, et celle de Fernand passée tout entière entre les portants d’un théâtre, les femmes peintes et les hommes maquillés.

La baronne : moeurs parisiennes

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