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VI

«Est-ce que tu as été malade pendant mon absence?» fit Germain avec une inquiète sollicitude en dévisageant lentement son ami que, pour la première fois depuis son retour, il rencontrait sur le boulevard Montmartre.

«Mais non, pas du tout!»

Fernand avait répondu d’un ton sec, presque colère.

Germain n’insista pas, se contentant de remuer silencieusement la tête et de grommeler entre ses dents:

«Toi, mon gaillard, tu ne me dis pas la vérité.»

Le dessinateur affecta une allure très dégagée, riant fort et haut, ayant l’air de dire:

«Tu vois, au contraire, je n’ai jamais été si gai, si bien portant, si alerte!»,

Et, au fond de lui-même, se demandant, épeuré:

«Ça se voit donc?»

Mais l’autre, tout en cheminant près de lui, causant de choses et d’autres, continuait à se faire un tas de réflexions au sujet des yeux creux et des traits tirés de son camarade.

Certainement il y avait quelque chose, une chose que Fernand ne voulait pas dire, un secret! Diable! diable! diable!

Cependant il ne se trompait pas, cette agitation même, cette télégraphie des nerfs, tout cela avait beaucoup de signification pour lui qui en faisait son étude spéciale. De plus, durant le mois entier qu’avait duré son séjour chez ses parents, Fernand ne lui avait pas écrit une seule fois, pas donné signe de vie. Sur ce point il prétextait maintenant des occupations, des travaux pressés, de la besogne par-dessus la tête.

Germain restait sceptique, tendant les narines comme pour flairer son ami, trouver la vérité. Avec un large haussement d’épaules, il conclut d’un mot qui lui définissait toute la maladie de Fernand:

«La femme! Il y a une femme là-dessous!»

Puis, après une réflexion nouvelle, il ajouta:

«Il faut que cette fois ce soit terriblement grave. Est-ce que mon pauvre Fernand serait sérieusement pincé par une ensorceleuse?–Un amour?»

Jusque-là les deux amis avaient toujours échangé leurs confidences, n’ayant pas de cachotteries et se racontant leurs fredaines galantes, quand ils ne les faisaient pas ensemble.

Fernand, de ce côté, avait eu d’étourdissants succès, grâce à ses nombreuses connaissances dans les théâtres à petites femmes, et à ses relations artistiques. Il avait dessiné quantité de costumes collants pour cabotines et retouché à domicile plus d’un maillot. Mais jamais il n’avait pris au sérieux ces liaisons éphémères, papillonnant à loisir, sans que son cœur fût seulement effleuré. Et cela, justement parce qu’il connaissait trop ce monde, au milieu duquel il avait vécu depuis l’enfance la plus tendre. Les belles filles, habituées à lui, le traitaient effrontément en camarade de plaisir Aucune d’elles n’aurait essayé de jouer la passion avec celui qui les avait vues si souvent mimer cette amorçante comédie aux naïfs et aux ignorants de la vie.

Ils continuèrent à se promener sur le boulevard pendant quelque temps, Germain parlant de la Bourgogne, de ses parents toujours bien portants. Fernand ne sortait pas du chapitre complexe de ses travaux, les exagérant, prouvant qu’il gagnait énormément d’argent, étalant un luxe de détails inhabituel.

Son interlocuteur le laissait aller, cherchant un moyen d’arriver à ses fins. Tout à coup avec une brusquerie bonasse pour mieux masquer l’importance qu’il attachait à sa demande:

«Et du côté des amours, rien de neuf?»

«Rien! Toujours le même train-train,» riposta Fernand, riant bruyamment.

Mais il avait eu une imperceptible hésitation en répondant, et la nuance n’échappa pas au questionneur malin qui le guettait.

«Bon! se dit Germain. J’ai mis le doigt sur la plaie. Cette fois il ne s’agit pas de coureuses de planches. Tôt ou tard je saurai à quoi m’en tenir.»

Il se sépara de son ami en lui criant:

«Au revoir.»

Fernand eut, durant une seconde, la tentation de le rappeler pour tout lui dire. Il se sentait honteux d’avoir un secret pour lui, de lui cacher ainsi qu’une faute cet amour si promptement né et qui depuis un mois le dévorait corps et âme. Pourquoi s’était-il tu? Craignait-il un blâme, une critique? Il savait bien que Germain ne le ferait qu’en se sentant encouragé par lui, et il était décidé à avouer carrément qu’il aimait Hélène avec passion.

C’était vrai; il se connaissait pris cette fois tout entier. Depuis le jour où il l’avait rencontrée au Bas-Meudon, depuis les délices inconnues que cette femme avait su lui faire goûter, il la revoyait constamment, chaque fois plus épris, chaque fois plus passionné, ne voyant plus qu’elle.

Avec cette science de la femme, science d’autant plus terrible qu’elle est innée, pour troubler l’homme, lui faire perdre son sang-froid, l’exciter hypocritement et le chatouiller, sans en avoir l’air, au plus sensible des moelles, Hélène, séduite elle-même par la grande séduction de Fernand, avait tout mis en œuvre pour l’affoler.

Rusée en amour, comme pas une de ses semblables, elle avait habilement joint un semblant d’idéalisme à toute la charnelle sensualité que dégageait son corps magnifique; elle avait occupé le cerveau de Fernand, en même temps qu’elle s’emparait de son être physique.

Elle s’était donnée peu à peu, avec une gradation savante et raffinée de la volupté, ne brusquant rien, ne se cédant que pas à pas, ne découvrant que les uns après les autres ses nombreux talents.

Fernand fut dominé et absolument conquis par elle sans trop savoir comment. Il était incapable de raisonner cette passion qui lui troublait l’esprit, lui inondait les veines de flammes et le jetait pantelant. inassouvi, dans les bras de la dévorante créature.

Elle unissait, par une diabolique invention, l’expression ingénue, candide, presque naïve de ses grands yeux miroitants aux provocations les plus brutales de son corps; et cette contradiction apparente n’était pas le moindre condiment de la volupté qui mordait le jeune homme aux sens, lui faisant croire qu’il n’avait jamais connu le véritable amour.

La puissance d’Hélène consistait beaucoup dans cette chose incroyable, qu’elle parvenait à persuader qu’on l’aimait surtout avec le cœur et le cerveau, quand réellement elle ne se faisait aimer que par l’appétit savamment entretenu, aiguisé et rajeuni de sa chair.

Toute la femme vicieuse était là dedans avec sa profonde perversité, sa ruse éternelle et son besoin inavoué de l’homme.

Germain parti, Fernand s’en voulait de son embarras, de sa gêne, de n’avoir point osé lui raconter son entrevue et ses amours. Après tout, il n’était pas le seul, bien d’autres en étaient là, et certainement, lorsque Durand verrait Hélène, il excuserait la passion de son ami. Il ne savait quel sot accès de pudeur lui avait renfoncé cet aveu dans la gorge, comme si, en aimant, il commettait une action honteuse.

Puis, il eut un geste dégagé, en se disant que Germain apprendrait la chose un jour ou l’autre et qu’en somme, il n’était pas forcé de lui confier tout ce qu’il faisait. C’était bien une révolte d’homme faible, un illogisme d’amoureux, mécontent de lui-même.

La griffe rose d’Hélène était déjà incrustée dans ce caractère de cire, et le dessinateur en gardait l’empreinte. Déjà il devenait son bien, sa proie, sa chose.

La baronne : moeurs parisiennes

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