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VII

Germain mit près d’un mois à découvrir la femme qui tenait ainsi son ami. Il lui fallut user de ruse pour y arriver.

Fernand se cachait, dissimulant, fuyant même son ancien camarade. Il entrait peu à peu dans cet amour comme dans quelque bourbier insondable et tenace. La vase lui fermait la bouche; les yeux ne voyaient plus: l’abîme l’engloutissait doucement et sûrement.

Peu à peu Germain remarqua une étrange ressemblance entre toutes les silhouettes féminines que le dessinateur donnait aux journaux illustrés, toujours la même figure, grande, superbe de formes; un soupçon vague l’agita: il pressentit un danger. Cette femme, il lui semblait la reconnaître, l’avoir déjà vue.

Il s’attacha secrètement à cette piste, jusqu’à ce qu’un jour un portrait plus serré de dessin, plus précis, achevât de lui ouvrir les yeux. Il n’en pouvait douter, ce devait être elle, celle qu’il devait le plus redouter pour Fernand Rénal, Hélène Beurot!

Elle!–C’est qu’il la connaissait depuis longtemps et savait tout ce que cette âme et ce corps de fille contenaient de danger pour un garçon impressionnable, ’bouillant et mou, comme l’était en même temps le jeune artiste.

L’honnêteté lui faisait un devoir de prévenir son ami, de le mettre en garde contre cette femme, dont le vice savant et la troublante perversité l’effrayaient pour le bonheur et le repos de Fernand.–D’un autre côté, n’était-il pas déjà trop tard, ne risquait-il pas, sans rien changer aux relations des deux amoureux, de rompre ainsi une amitié à laquelle il tenait beaucoup?

Il savait bien qu’entre un ami dévoué et une maîtresse perfide, l’homme n’hésite jamais, sacrifiant absurdement le sérieux au frivole, l’amitié à l’amour, aveuglé et fasciné.

Un jour, n’y tenant plus, il risqua pourtant cette question, d’un air moitié souriant, moitié troublé:

«Et ta folle passion?»

Fernand devint très grave:

«Mon cher Germain, jamais un mot là-dessus, je t’en prie, au nom de notre bonne amitié.– J’aime.»

Il n’y avait rien à répliquer. Le jeune docteur secoua la tête, serra chaleureusement la main de son ami et lui dit:

«C’est convenu.»

En lui-même il s’apitoyait:

«Cette farceuse va me tuer mon pauvre Fernand!»

Par un accord tacite ils n’abordèrent donc plus jamais ce chapitre; mais comme Fernand souffrait trop de ne plus voir Germain aussi souvent qu’auparavant, il désira faire connaître sa maîtresse à son ami, rapprocher ces êtres qui, à eux deux, lui tenaient le cœur et l’esprit.

Germain accepta, et un dîner les réunit tous trois, un soir de juin, chez Ledoyen, aux Champs-Elysées.

Le docteur ne s’était pas trompé; c’était Hélène Beurot, plus belle, plus séduisante, plus femme que lorsqu’il l’avait vue autrefois. Celle-ci, ne l’ayant jamais remarqué, ne le reconnut pas.

Fernand, heureux, radieux d’avoir réuni les deux êtres qu’il aimait, fut d’un esprit étourdissant. Germain, avec une secrète pitié, le regardait, souffrant de cette gaieté, de cette insouciance; mais il était trop tard, rien ne pouvait plus détacher cette goule humaine de celui auquel elle s’était attachée, avide de sang et de fraîche jeunesse.

Elle avait une manière terrible de lui dire: «Je t’aime, Fernand,» qui l’inondait d’un trouble lâche, d’un irrésistible énervement.

Lui, la croyait, ne sachant pas de quels fumiers, de quels sucs morbides avait été engraissé et nourri ce beau corps souple de couleuvre; d’où sortaient ces lèvres de sang, cette chair blanche d’une si attirante sensualité, qui mettait dans tout son être un semblable frisson de plaisir et séchait sa gorge d’une soif inextinguible d’âpres baisers.

Il ignorait le bouge paternel où l’enfant avait roulé, le milieu crapuleux et infâme où cette fleur vénéneuse avait poussé.

Rien ne lui avait été révélé; ni les débuts dans les premiers essais du vice, dès douze ans, avec les voyous du faubourg; ni les recherches curieuses et bestiales de cette fillette précoce, déjà forte pour son âge, habituée à tout par la dangereuse promiscuité du logis, où tous, pêle-mêle, enfants et parents, couchaient ensemble.

D’autres esprits sont plus lents, plus paresseux, moins tournés au mal; au contraire, celui d’Hélène en avait l’épouvantable divination. Elle comprenait tout, connaissait tout, et, gamine, le cerveau dévirginisé, guettait les filles qu’elle voyait rire avec des hommes dans les soirs douteux du boulevard extérieur, sous les promenades plantées d’arbres. Elle se dissimulait dans l’ombre, les regardant se bousculer avec des gestes équivoques, les écoutant se lancer des mots crus et d’ordurières invitations à la tête, se salissant au spectacle de ces attouchements publics et éhontés.

Puis les parents étaient morts à l’hôpital; l’enfant, recueillie par une chiffonnière, était entrée dans un magasin comme apprentie.

Ce fut pis encore. Elle débauchait ses compagnes, même plus âgées qu’elle, leur apprenant ce qu’elles ignoraient, pétrie dans le vice comme dans une pâte naturelle. Un sang impétueux brûlait ses veines et elle alla si loin qu’un jour sa patronne, lassée, la chassa.

A quinze ans, sans argent, sans gîte, elle se trouva sur le pavé de Paris, en plein cœur de l’hiver.

Germain savait tout cela. En fouillant les faubourgs, dans ses promenades fructueuses de chercheur, il avait remarqué ce type d’enfant rencontré au milieu d’une famille pourrie. Il avait noté sur un calepin ce nom d’Hélène Beurot, sans oublier l’interrogatoire, fait par l’inspecteur de la sûreté qu’il accompagnait dans cet intérieur immonde.

Elle l’avait stupéfié par son aplomb. Il avait écouté. sans se montrer, n’osant croire à une perversité si précoce, le cœur serré, à la fois révolté et ému.

Mais ce n’était là qu’une enfant, et il ne s’en serait peut-être souvenu que légèrement, sans une deuxième rencontre.

Il avait assisté à la prise de possession de la société par cette fille, à son entrée dans la vie parisienne. Cela, il s’en souvenait toujours.

Ce tableau d’une nuit d’hiver à la Maison-Dorée lui était resté au cerveau avec tous ses détails, toutes ses nuances, de telle sorte qu’il n’en avait oublié aucune particularité. Cela remontait aux premiers jours de janvier1866, quelque temps après les débuts de sa liaison avec Fernand Rénal, à une époque où l’amitié ne les unissait pas encore comme aujourd’hui.

La baronne : moeurs parisiennes

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