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IV

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«Ah! ah! ah! Regarde-le donc! Est-il drôle!»

Toute sautillante, les pieds nus dans ses pantoufles rouges, en chemise de batiste et en jupon blanc, une petite femme mince, au minois chiffonné, avec des cheveux rebelles simplement relevés tous ensemble et mordus par le peigne sur le sommet de la tête, tenait serré contre elle un enfant.

Celui-ci, chatouillé par la caresse satinée des bras nus, collait ses lèvres roses sur la peau fraîche et parfumée, cachant sa petite figure dans les rondeurs de la poitrine.

Près du lit en désordre, dont les rideaux s’enroulaient du bout avec les couvertures et les draps, une baignoire, pleine d’une eau moirée par les savons et les parfums, servait d’Océan minuscule à des bateaux de papier à moitié sombrés. Une robe à volants traînait dans un coin, en compagnie d’un corset de satin dont le lacet s’accrochait au pied d’un fauteuil. A l’espagnolette de la fenêtre pendait par les brides un chapeau à plumes.

Continuant de rire, comme à une bonne plaisanterie, elle interrogeait le petit:

«Hein! tu aimeras aussi les femmes toi, comme papa!»

Soudainement l’enfant se reculait farouche, sourcils froncés, repoussant de toutes ses forces la poitrine qu’il venait d’embrasser:

«Papa n’aime que moi!»

De l’autre extrémité de la chambre, un homme, les cheveux noirs, de jolies moustaches frisées, en manches de chemise et en pantalon de flanelle, se retournait, très grave, cessant de griffonner sur son coin de table entre un pot de pommade et une boîte de poudre de riz, et affirmait:

«C’est vrai!»

Là-dessus une voix criarde, aiguë, toute changée, ne conservant plus rien de sa gaieté première, lui ripostant par une volée d’injures. Et toujours le refrain calme de l’écrivain:

«C’est vrai!»

L’enfant courait à son père, heureux de s’enfermer entre ses grands bras, grimpant à cheval sur son genou et disant tout bas:

«N’est-ce pas, mon cher papa?»

Avec l’effroi de cette aigre colère de femme qui éclatait à ses oreilles.

Enfin, après un dernier gros mot, la porte claquait, secouant les vitres, et tous deux restaient seuls à s’embrasser.

Tel était le tableau d’intérieur le plus lointain, dont Fernand Rénal eût conservé le fidèle souvenir, quand, plein de cette douce et inquiète curiosité qui pousse chacun à fouiller les émotions fraîches des années d’enfance, il remontait dans son passé.

Avait-il quatre ans, cinq ans? Comment s’appelait cette femme?–Qui était elle?–Rien de tout cela ne lui était resté. Mais une rougeur violente lui montait aux joues depuis qu’il comprenait que son père ne craignait pas de le mêler à ses petits levers de débauché, le laissant courir à travers ses vices et ne respectant pas sa candeur d’enfant.

Les souvenirs de ce genre abondaient, avec quelques variantes dans le tableau, des cheveux blonds ou bruns, des toilettes simples ou tapageuses, des visages glabres d’acteurs en quête d’un rôle, des figures grimaçantes de chasseurs de pièces de cent sous, tout un défilé de jeunes femmes qui l’embrassaient, d’hommes qui le faisaient jouer, tandis que le père, tantôt dans un coin, tantôt dans un autre, écrivait, écrivait toujours, cherchant ses plumes au milieu des épingles à cheveux et des fausses nattes, repoussant un flacon d’odeur ou une cuvette pour retrouver son encrier.

Toujours il croyait se revoir enfant, dans cette chambre tiède aux senteurs capiteuses de loge d’actrice, où on le laissait courir au milieu des plus intimes vêtements féminins traînant à la débandade sur les chaises et sur les fauteuils.

Lui, appelait carrément ces femmes par leur nom de baptême ou leur sobriquet, n’ayant jamais appris à dire maman, n’ayant jamais connu sa mère. Les folles s’en amusaient comme d’un jouet, d’un petit chien ou d’un petit chat familier.

Au milieu de tout cela dominait la haute stature de son père, avec ses puissantes épaules, sa forêt de cheveux noirs frisés en boucles, ses moustaches qu’il aimait à effiler d’un geste coutumier, son rire bon enfant; son père dans sa belle et forte jeunesse, de trente-cinq à quarante ans, paraissant bâti pour vivre centenaire et portant déjà au flanc les germes invisibles de la maladie de cœur qui devait le foudroyer en pleine vigueur, en plein talent, à cinquante ans, au moment même où il pouvait se croire arrivé.

Mais cette catastrophe avait été singulièrement avancée et précipitée par la vie folle d’Alexandre Rénal, un viveur dans toute la force du terme, ne se reposant jamais, dormant une nuit sur deux, toujours sur la brèche, toujours travaillant et s’amusant.

Resté veuf tout jeune, après dix mois de mariage, Alexandre Rénal avait immédiatement porté sur son fils toute l’adoration qu’il avait pour la mère, si bien qu’il lui semblait impossible de se séparer de cet enfant et qu’il le traînait partout avec lui depuis l’âge de quatre ans.

Il n’allait presque jamais au théâtre, soit dans la journée pour des répétitions de ses pièces, soit dans la soirée pour voir jouer celles de ses confrères, sans emmener Fernand.

Le petit bonhomme, très doux, très caressant, d’une figure ravissante, était adoré de tous. On était accoutumé à voir sa pouponne personne dans la loge du père, les soirs de première, et Alexandre Rénal avait la folie de cet enfant le suivant partout.

Il le conduisait dans les coulisses, au milieu des décors, des portants et des jolies femmes, lui faisant respirer cette odeur de gaz, d’huile et de poudre de riz qui est l’atmosphère des foyers et des couloirs de théâtre comme l’encens est celle des églises.

Personne ne s’était trouvé là, assez hardi ou assez franc, pour dire à ce père idolâtre qu’il aimait mal son fils et faisait fausse route.

Les jeunes actrices jouaient avec le fils de l’auteur à la mode comme avec une poupée, le cajolant, le gâtant, le bourrant de bonbons, soit par intérêt pour se faire bien venir du père, soit par plaisir, avec ce vieux fond d’amour maternel, que contient tout cœur de femme, même chez les moins dignes de la maternité. Il pouvait se vanter d’avoir été littéralement bercé et élevé sur les genoux des plus jolies filles du théâtre.

Quand il entra au collège, ce fut une désolation; mais toutes les sorties le ramenaient au théâtre et tout était prétexte à sorties.

Chez son père, c’était toujours la même chose, de sorte que Fernand ne trouvait aucune différence entre le logis paternel ou le théâtre.

Il grandit ainsi, sans qu’autour de lui on parût s’en apercevoir. Les mêmes familiarités l’accueillaient que lorsqu’il était gamin; les femmes, à moitié nues ou en maillots indiscrets, ne semblaient pas se préoccuper des désirs intenses que leurs baisers, leur libre accueil et leur laisser aller éveillaient chez ce grand garçon mince et distingué, à la charmante figure fière, décidée. A l’âge où ses camarades étaient restés des collégiens, Fernand devenait un jeune homme.

Grâce à la largeur d’idées, ou plutôt à la dangereuse inconséquence de son père, il avait ainsi appris la vie par un côté d’un parisianisme raffiné, qui ne sert généralement pas d’école aux enfants.

Un tel début dans la vie eût pu le perdre complètement, le corrompre profondément; mais une chose inattendue le sauva du vice, en absorbant toutes les heures, tous les instants qu’il pouvait dérober au travail classique, ce fut un amour passionné pour le dessin, l’envahissante vocation de l’art.

Même au milieu des coulisses, entre les figurantes demi-nues des pièces à femmes et les provocantes étoiles des opérettes, il ne songeait qu’à une chose, les représenter soit sur son album, soit sur une feuille quelconque de papier.

Machinalement, sans y attacher une trop grande importance, Alexandre Rénal encouragea son fils dans cette voie, lui faisant suivre les cours de l’École des beaux-arts, dès la fin de sa seconde, à seize ans, une fois son baccalauréat ès lettres, passé plus tôt, dans l’ardent désir de se livrer tout entier à sa passion.

Ses progrès furent extraordinaires,–non pas dans le sens de la grande peinture, à laquelle il ne sembla pas viser,–mais surtout pour enlever rapidement en croquis sommaires une silhouette exacte et amusante.

Personne ne l’égalait dans l’art particulier de trousser en quelques coups de crayon ou de pinceau une fine Parisienne, pincée dans son corsage, drapée dans un costume de féerie, ou un joli monsieur du boulevard, le chapeau sur l’oreille, la rose à la boutonnière, puant de chic et de genre.

A côté des caricaturistes et des faiseurs d’illustrations à la mode, il venait de créer un genre, de trouver un chemin original et neuf, surtout par la manière dont il rendait ce qu’il voyait.

Le papa, émerveillé à la vue de ces petits bonshommes qui avaient l’allure de ses pièces et qu’il comprenait bien mieux que les grandes machines des maîtres, vanta tant et si bien son fils dans les journaux illustrés de sa connaissance, qu’il lui en facilita l’accès. A dix-huit ans l’enfant commençait à écouler à peu près tout ce qu’il faisait, à des prix fort raisonnables: il trouverait plus à gagner ainsi qu’en se lançant dans la peinture.

Il venait de débuter brillamment dans une feuille très parisienne, qui avait voulu essayer ce jeune artiste, quand son père mourut subitement.

Ce fut une douleur atroce, qui longtemps l’écrasa sans courage et sans force; jamais il n’avait prévu un pareil malheur et la catastrophe le surprenait en plein bonheur. Il ne lui restait que des parents très éloignés qu’il ne connaissait pas et qui avaient toujours fait froide mine à son père: cette famille ne comptait pas.

Cependant son père ne lui avait laissé qu’une très modeste fortune, quatre mille francs de rentes environ, et il lui fallait compléter ce revenu insuffisant à Paris. Le travail l’absorba, au point de faire diversion à ce terrible chagrin, et il commençait à songer avec une mélancolie plus adoucie à l’irréparable perte qu’il avait faite, quand le hasard le mit en présence de Germain Durand.

Dès la première rencontre celui-ci lui fut tout à fait sympathique. Il trouva dans cette nature calme, raisonnée et sérieuse le complément de son esprit un peu frivole et tout parisien.

Entre eux ce fut désormais une de ces amitiés qui ne finissent qu’avec la vie. Sans cesse on les voyait ensemble; Fernand initiant Germain à quelques-uns de ces mystères de l’existence parisienne, dont l’étudiant se montrait particulièrement friand; Germain pondérant les idées évaporées et les envolées fiévreuses du dessinateur, ou bien, d’autres fois, le remontant dans les moments de lassitude, secouant cette mollesse originelle, héritage du père coulé dans les veines de l’artiste.

Il l’emmena avec lui en Bourgogne, le retrempant au milieu du grand calme de la campagne, le brisant de fatigue dans ses promenades laborieuses à travers les interminables coteaux du pays. Souvent il l’entraînait dans quelque partie de chasse peu fructueuse, où l’on attrape plus de coups de soleil que de pièces de gibier, et où l’on se repose au bord du chemin, entre deux crus renommés, en grappillant quelque lourd raisin noir, de ces grains serrés et juteux qui s’appellent, en bouteilles, du Pomard, du Volnay, du Beaune.

Tous deux revenaient de là les joues cuites, les jambes lasses, mais le cerveau reposé, remis pour de longs mois.

Les années se succédèrent dans cette amitié parfaite; Germain terminant sa médecine et se faisant recevoir docteur, bien qu’il fût absolument résolu à ne pas exercer; Fernand, à force d’illustrations, ayant déjà à vingt-deux ans un nom connu et un crayon recherché par toutes les grandes feuilles à gravures.

Certes, avec des études plus poussées et plus sérieuses, il fût devenu quelqu’un parmi les peintres de la jeune école qui faisaient leur trouée à cette époque; mais la facilité avec laquelle il gagnait de l’argent, la masse énorme de travaux qui lui étaient demandés, l’empêchèrent toujours d’aborder la peinture proprement dite. Il se contenta de devenir à peu près inimitable dans son genre, perfectionnant sa manière, en s’astreignant à ne travailler que d’après nature.

Il arriva ainsi à une vérité qui, jointe à un brio étonnant, à une fougue d’allures et à une crânerie personnelles, fit de lui le seul dessinateur capable de reproduire d’une manière bien vivante et bien originale le chic du Parisien et de la Parisienne. Les journaux se le disputaient.

Dans les premiers mois de l’année1870, Fernand Rénal arrivait donc à ce moment de la vie où tout vous réussit.

Il travaillait à force, s’amusant à sa guise, sans préoccupations d’aucune sorte, lorsqu’un amour étrange, inattendu, lui entra en plein cœur comme un coin de fer, achevant de prouver combien il y avait encore d’ingénuité dans ce joli Parisien, pour lequel les plus ravissantes actrices n’avaient eu que des sourires et de grisants accueils. Ils les avait aimées toutes, n’ayant de préférence marquée pour aucune, se laissant aller, croyant connaître l’amour, et ne connaissant que le plaisir, un mirage de l’amour.

Malheureusement pour l’homme faible et sensuel, il existe des femmes dont l’approche est un affolement auquel il ne peut résister, le contact une terrible ivresse, et dont la peau paraît avoir sur lui la magnétique influence de l’aimant sur le fer.–Fernand allait rencontrer une de ces femmes.

La baronne : moeurs parisiennes

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