Читать книгу Études sur les animaux domestiques - Guy de Charnacé - Страница 10

V

Оглавление

Table des matières

Il ne rentre pas dans le cadre de notre travail, qui n’est autre chose qu’un essai de critique zootechnique, de nous occuper de l’origine des espèces, de la théorie de la transformation graduelle des espèces, ou de celles des créations successives; de discuter le système de M. Darwin, qui suppose l’existence de quelques types originaux, peut-être même celle d’un seul. «Je pense, dit l’auteur anglais, que tout le règne animal est descendu de quatre ou cinq types primitifs tout au plus, et le règne végétal d’un nombre égal ou moindre. L’analogie me conduirait même un peu plus loin, c’est-à-dire à la croyance que tous les animaux et toules les plantes descendent d’un seul prototype. » Il peut y avoir, au point de vue purement scientifique, intérêt à rechercher s’il y a unité ou multiplicité des types originaux de toute espèce; mais, outre que le problème est resté jusqu’ici insoluble, et qu’on en est réduit aux hypothèses, puisque de faits semblables, Buffon et M. Darwin tirent des conclusions toutes contraires, le problème, dirons-nous, n’a qu’un intérêt secondaire dans l’étude purement pratique que nous avons entreprise. Toutefois, qui pourrait dire si, par suite de migrations à des époques antérieures, le croisement n’a pas présidé bien souvent à la formation des espèces et des races? C’est ainsi que M. J. Geoffroy Saint-Hilaire a conclu que les chiens domestiques sont des types de création humaine, résultat du croisement d’un grand nombre d’espèces de chacal. «Dans quelques cas, dit aussi M. Darwin, le croisement des espèces, originairement distinctes, a probablement joué un rôle important dans la formation de nos races domestiques. Lorsque, dans nos contrées, plusieurs races domestiques déjà établies ont été accidentellement croisées, ce croisement, aidé de la sélection, a, sans aucun doute, aidé à la formation de nouvelles sous-races.» Car enfin, après avoir lu le livre de M. Darwin, on n’est pas plus fixé sur l’origine des races que sur celle des espèces. «D’où viennent les races?» dit M. Flourens. «Des variétés de l’espèce, me dira-t-on. Oui, sans doute, mais qui s’en est assuré ? qui l’a vu? qui a pris l’espèce, si je puis ainsi dire, en flagrant délit de variation?»

Acceptant les termes mêmes dans lesquels M. Sanson formule le système qu’il repousse, nous sommes de ceux qui «admettent des races dégradées et la nécessité de les régénérer par le croisement.» Cependant, nous ajouterons: toutes les fois que des conditions de climat et de culture le permettront, car il importe avant tout de préparer le terrain à recevoir la semence. Nous dirons aussi que, pour nous, il n’est pas nécessaire qu’une race soit «dégradée» pour subir un changement de formes ou d’aptitudes; la plupart de nos races continentales ne méritent pas, à proprement parler, l’épithète de dégénérées; elles sont simplement, selon nous, insuffisantes.

Le collaborateur du Livre de la Ferme, entrant ici dans une discussion où nous allons le suivre, prétend que les partisans du croisement «ont imaginé la notion idéaliste du pur sang.» C’est alors que, pour les combattre, il cite la définition de M. Eugène Gayot, qui a voulu établir une différence entre la noblesse et la pureté du sang. «La noblesse s’acquiert, dit-il, elle a ses degrés. La pureté du sang est préexistante et absolue; c’est un principe.» Nous avouons, pour notre part, ne pas admettre la doctrine dont M. Gayot fait un «dogme,» et nous ne comprenons rien à cette phrase mystique: «La pureté est ou n’est pas. Seul, Dieu a pu faire le miracle de laver la tache originelle.» Ce qu’il faut avant tout, selon nous, lorsqu’on fait de la science, c’est la dégager de tout élément imaginatif, de toute formule vague. Déjà, trop souvent, le physiologiste en est réduit aux hypothèses, pour qu’il soit permis d’obscurcir encore l’explication des phénomènes de la nature par le langage du roman. Aussi, repoussons-nous la définition suivante de l’ancien directeur général des haras: «Le pur-sang, puissance vive, active et conservatrice, force inhérente à l’espèce, doit être considéré en dehors de la forme qui le contient. Celle-ci peut varier et revêtir des caractères extérieurs très-différents, sans que le principe qui l’anime cesse d’être parfaitement identique, parce que le pur-sang a pour lui une admirable flexibilité ; c’est son propre. En lui sont toutes les perfections, il est la source de toutes les spécialités. C’est en cela qu’il domine l’espèce, c’est à cause de cela qu’il en est le prototype.»

M. Sanson a fait, sur la définition de M. Gayot, ces judicieuses remarques: «Ainsi, d’après ce qu’on vient de lire, on pourrait croire d’abord que, dans l’esprit de l’auteur, il s’agit de propriétés inhérentes à la constitution physique et chimique du sang, qu’il resterait toutefois à démontrer par l’analyse; il dit en effet que, «physiologiquement parlant, le sang est la source génératrice de toute trace organique;» mais, à travers les obscurités et le manque de précision de son langage élégant, on voit bientôt que le pur-sang est une idée pure, moins que rien, un dogme. Il est impossible à un esprit attentif de comprendre autrement le texte cité. C’est une entité indépendante de la forme, c’est une création de l’imagination, quelque chose comme une âme particulière dont on aurait doué l’espèce, et qu’elle a perdu dans le plus grand nombre de ces incarnations. Seule, la race mère, la race arabe l’aurait conservée et transmise à ses descendants purs, au nombre desquels il faudrait placer les Anglais, dits de pur-sang.... Des esprits clairvoyants et pratiques peuvent-ils, en effet, concevoir un principe d’action indépendant et séparé de la forme, de la matière?»

Pour nous, ces mots pur-sang sont une expression improprement choisie par les Anglais pour qualifier une race qu’ils ont importée d’Orient, et qu’à la suite d’un régime exceptionnel, pratiqué sous un nouveau climat, ils ont complétement transformé. La dénomination de race arabe européenne eût été plus claire, et eût rallié à la nouvelle famille bien des esprits prévenus qui l’ont rejetée longtemps, comme élément améliorateur, par ce seul fait qu’elle venait d’outre-Manche: car où le patriotisme ne va-t-il pas se nicher? C’est donc dans ce sens seulement que nous consentons à faire une distinction entre le pur-sang et la race pure. Autrement, nous n’en admettons aucune. Pour nous, toute race qui s’est conservée pure dans l’état de domesticité, et dont la perpétuation affirme la fixité, mérite aussi bien le titre de race pure que le cheval d’Orient. Nous croyons, en cela, être d’accord avec d’autres zootechniciens, entre autres avec M. Huzard fils. De ce que les Arabes et, à leur exemple, les Anglais, ont imaginé un livre de noblesse où est inscrite la généalogie des membres de la famille dite de pur-sang, ainsi que leurs états de service (en anglais, performances), il ne s’ensuit pas pour cela que les différentes autres races ne présentent pas les mêmes caractères de fixité et de pureté. Les preuves matérielles et authentiques de la pureté de la race manquent, il est vrai, mais la tradition et les faits prouvent suffisamment la pureté de la race, et tiennent lieu, jusqu’à un certain point, d’une preuve écrite.

Nous nous rallions donc à cette opinion confusément exprimée par M. Sanson, «que les conditions propres au cheval arabe, au cheval anglais, sont le fait, comme celles qui caractérisent toutes les races de la même espèce ou des autres arrivées à un haut degré de spécialisation, non point d’une pureté originelle dont la certitude ne repose sur rien, mais bien de la gymnastique fonctionnelle, de l’éducation, qui est la base de tout perfectionnement. Il est non moins clair que la puissance de transmission héréditaire de ces conditions est en rapport avec leur fixité, avec leur constance, mais aussi avec les autres circonstances de la sélection.» Toutefois, nous repoussons cette prétendue doctrine, que M. Sanson attribue aux zootechniciens partisans de l’entité du sang, que «toutes les races dégénérées, c’est-à-dire non races indigènes, sans exception, doivent être amenées à la perfection par ce qu’ils appellent un sang noble.» Non, pour nous, il ne s’agit point de cela, mais bien tout simplement d’amener à un type plus parfait toutes les races qui ne répondent pas à ce que nous attendons d’elles. «L’homme idéal du temps, dit mademoiselle Royer dans la préface de sa traduction du livre de M. Darwin, c’est celui qui produit.» Eh bien! la race animale idéale de notre époque est celle dont les ressources sont en harmonie avec les besoins de notre civilisation. Celui qui arrivera dans le plus court espace de temps à la réalisation complète de cette idée, aura certes bien mérité de l’humanité, quel que soit le procédé auquel il aura eu recours. Aussi, ne pouvons-nous nous associer aux lamentations superflues de M. Sanson, qui déplore qu’on ait étendu l’expression de pur-sang aux animaux de boucherie. Bien au contraire, nous nous félicitons que certains hommes aient eu l’idée d’établir des documents authentiques qui permettent désormais à l’éducateur de nos races bovines de marcher plus sûrement dans la voie des améliorations. Dire d’un taureau et d’une vache durham qu’ils sont de pur-sang, signifie qu’ils sont inscrits au Herd-Book, comme dire d’un cheval qu’il est de pur-sang, signifie qu’il figure au Stud-book. Il n’y a donc rien là qui puisse obscurcir la question.

M. Sanson a la prétention de définir toutes les expressions techniques employées par les élevcurs, et de leur donner un sens que ces derniers leur refusent. Quoique nous n’ayons aucun goût pour les querelles de mots, nous sommes cependant forcés de relever ces définitions, qui peuvent induire en erreur. Ainsi, nous lisons à la page 481 du Livre de la Ferme: «Dans le langage hippique, dire d’un cheval qu’il a du sang, cela signifie qu’il est d’une énergie plus ou moins considérable, et cela se dit des chevaux appartenant à toutes les races; seulement, le pur-sang, en d’autres termes, ainsi que nous l’avons vu, la plus forte somme possible d’énergie ne se rencontre, d’après les hippologues, que chez le cheval noble d’Arabie ou chez l’anglais.» Eh bien! non; dire d’un cheval qu’il a du sang ne signifie pas qu’il -est d’une énergie plus ou moins considérable. Le cheval arabe ou le cheval de pur-sang étant considérés dans toute l’Europe comme le type améliorateur par excellence de nos races légères, l’homme spécial dit, en voyant un de ses dérivés: Ce cheval a du sang! c’est-à-dire qu’il reconnaît, soit dans les aptitudes, soit dans la construction de l’animal, la trace d’un croisement avec le pur-sang arabe ou anglais. De même qu’on dira d’un bœuf amélioré par le durham, qu’il a du sang. Nous n’admettons pas non plus cette opinion des hippologues dont parle M. Sanson, «que la plus forte somme d’énergie ne se rencontre que chez le cheval noble d’Arabie ou chez l’anglais.» De même qu’il existe des locomotives spécialement construites pour remorquer les charges considérables à une vitesse moyenne, d’autres pour monter les fortes rampes; de même aussi il s’en fait pour traîner des poids plus légers et pour courir sur les surfaces planes. Dans la plupart des cas, en hippologie, les mots force, énergie n’ont qu’un sens relatif, et il n’en peut être autrement dans celui qui nous occupe. Le limonier gravissant une côte, attelé à un tombereau de houille, par exemple, déploie tout autant d’énergie que le cheval de course, pressé en arrivant au but par un rival qui lui dispute le prix de la lutte.

M. Sanson nous explique que, s’il insiste «sur la conception du pur-sang,» c’est «parce qu’elle est la base de la doctrine du croisement quand même, qui a passé à peu près intacte dans la zootechnie empirique, avec son langage et ses prétentions.» En effet, le pur-sang, tel que nous l’entendons, c’est-à-dire toute race pure et bien fixée, qu’il s’agisse d’un cheval, d’un taureau ou d’un bélier, le pur-sang, disons-nous, pris comme élément améliorateur, est l’une des conditions premières d’une complète réussite dans l’opération du croisement. Dans la doctrine nouvelle et pour les motifs que nous avons donnés, le croisement doit s’opérer par les mâles, et, ce que l’on se propose, c’est à des degrés divers l’absorption de la race défectueuse dans celle de l’étalon. Mais M. Sanson prétend que «quelque loin que soit poussée cette absorption par une suite de générations croisées, le résultat ne s’en maintiendra poiut s’il est abandonné à lui-même, et qu’il y a nécessité de revenir de temps en temps à la souche amélioratrice.» Nous voyons bien là une assertion; mais sur quels faits est-elle basée? Voilà ce qu’on se garde de nous dire, et, pour celte cause majeure, c’est que les faits manquent. M. Gayot, qui cependant est un des grands promoteurs du croisement des races, qu’il nomme une «œuvre de perfectionnement, » partage l’opinion de M. Sanson. «Une longue série de croisements change de fond en comble la race sur laquelle s’est opérée la croisure; elle la rapproche de la souche paternelle, au point qu’il soit impossible de l’en distinguer extérieurement; mais si l’on abandonnait à elle-même cette race croisée, si l’on négligeait de la retremper par intervalles dans le sang de la race de perfectionnement, on la verrait déchoir peu à peu et retomber à la fin dans un état de dégradation dont rien ne la sauverait.» Nous avons, au contraire, fait voir précédemment comment plusieurs races s’étaient constituées et maintenues, quoiqu’elles dussent leur origine à un croisement entre deux races bien distinctes, telles que les races Orloff et de la Charmoise, les races canines du fox-hound et du pointer, et bien d’autres encore, sans qu’il soit nécessaire de nommer celles qui sont en voie de transformation. M. J. B. Huzard est, en cela, de notre avis, comme on peut le voir dans son livre sur les Haras domestiques. «Longtemps cependant, dit-il, les hommes du plus grand savoir en ces sortes de matières avaient pensé que l’amélioration ne se soutiendrait pas; il a fallu l’expérience pour faire voir le contraire. Il en sera du métissage des races de chevaux comme il en a été de celui des bêtes à laine.»

Nous trouvons, dans la remarquable étude de M. de Laveleye, sur l’Économie rurale en Néerlande, un nouvel exemple d’une race qui s’est constituée par le croisement. Dans le Wilhelmina-Polder, formé depuis 1809 entre les deux îles de Oost et de Zuid-Beveland, en Zélande, M. Van den Bossche, agronome d’un grand mérite, entretient une race de moutons qu’il a créée lui-même. Pour donner à la variété du pays une laine plus fine et plus de disposition à prendre de la chair, il a eu recours au croisement avec le bélier leicester. Cette opération a été commencée en 1858 et poursuivie jusqu’en 1841. A cétte époque, on commença à employer à la reproduction les animaux issus du croisement, quoiqu’ils n’eussent, en réalité, que trois croisements avec le pur-sang. Depuis, M. Van den Bossche n’a plus eu recours au sang leicester qu’exceptionnellement. La famille a d’ailleurs paru tellement fixe à la Société d’agriculture de la Zélande, que cette dernière a donné à la nouvelle race le nom d’Iman, prénom de son créateur. «Dans la Frise, dit M. de Laveleye, on commence à introduire les taureaux durham pour obtenir une race croisée qui, prétend-on, sans donner autant de lait, produit plus de crème et en même temps s’engraisse plus facilement que la race du pays.» Le savant économiste belge ajoute qu’à «l’École centrale de Gembloux, en Belgique, on a obtenu la même quantité de crème des vaches hollandaises, donnant en moyenne vingt litres de lait, et des vaches durham qui n’en donnaient que seize.» «On se trouve si bien du croisement de la race durham avec l’espèce bovine de Zélande, dit encore M. de Laveleye, que déjà M. Van den Bossche vend à de très-hauts prix, aux propriétaires allemands les reproducteurs issus des croisements durham, poursuivis encore à cette heure par cet éminent éleveur. » Mais, jusqu’ici, ce n’est encore que du métissage.

Il est bien certain aussi, comme nous l’avons fait remarquer, qu’on ne connaît pas tous les exemples de races qni se sont formées par le croisement; mais nous ne négligerons certes pas de recueillir les exemples que nous rencontrerons dans l’histoire, afin de fortifier encore, par des faits de plus en plus nombreux, la doctrine que nous défendons. M. Darwin raconte qu’un roi des Indes, Aliber-Khan, grand amateur d’oiseaux, qui vivait vers l’année 1600, avait entrepris, dit un chroniqueur, de croiser les races, «méthode qu’on n’avait point encore pratiquée dans ce pays, et qui les améliore étonnamment.» De même, lorsqu’on étudie, par exemple, l’histoire des races chevalines depuis les temps les plus reculés jusqu’ à nos jours, on voit que presque toutes sont le résultat d’un ou plusieurs croisements successifs. Dans l’antiquité, cette pratique se rencontre à chaque pas, comme on peut s’en convaincre en lisant le très-intéressant travail publié dans la Revue contemporaine, par M. Ch. de Sourdeval. Quant à ces mots, relatifs au produit d’un croisement: «s’il est abandonné à lui-même, » nous nous étonnons de les rencontrer sous la plume de M. Sanson. Est-ce qu’il peut être en effet question, en agronomie, d’abandonner à elle-même une production quelconque? Qui dit domesticité dit soins, régime, sélection. L’objection n’étant pas sérieuse, nous n’y insistons pas davantage. Nous préférons nous rallier à l’opinion du docteur Bertillon, opinion que nous trouvons dans son remarquable article sur l’acclimatement: «J’aurais montré avec M. Rufz, dit le savant anthropologiste, que des types nouveaux et mieux doués peuvent être espérés par le croisement; mais que c’est par la sélection qu’ils sont perfectionnés et fixés.»

A propos d’une note lue par M. Magne à la Société d’agriculture, M. Sanson, dans la Culture, dit que son «honoré maître conteste l’un des principes fondamentaux en zootechnie.» Cette accusation serait bien grave si réellement on pouvait dire que les principes fondamentaux de l’art zootechnique sont définitivement arrêtés; mais on peut avancer qu’en matière de production animale, la science n’est pas encore fondée; elle l’est si peu que les doctrines de M. Sanson sont vivement combattues. La note de M. Magne en est une nouvelle preuve. Nous en sommes encore réduits, si ce n’est à l’empirisme pur, car ce serait contester les résultats acquis autant par la science que par la pratique, du moins à chercher continuellement notre voie. Ce qu’il importe, c’est que, tout en marchant à la conquête de la vérité scientifique, les praticiens ne se ruinent pas. Il faut que ceux qui ont la mission d’éclairer les éleveurs ne perdent jamais le point de vue industriel, afin que leurs conseils, loin d’engendrer des déceptions, deviennent, au contraire, de nouveaux agents de richesse. C’est à cette seule condition que la science peut espérer de fonder son empire. En somme, ce que M. Sanson nomme «principes fondamentaux» n’est autre chose que les opinions personnelles de cet écrivain; par conséquent, chacun est dans son droit en les discutant. Nous n’avons certainement pas la prétention de nous ériger en avocats du directeur d’Alfort, qui trouvera lui-même de meilleures réponses que celles que nous pourrions lui suggérer; cependant, nous ne croyons pas que l’avenir ratifie ce jugement de M. Sanson, que personne ne «sera touché des arguments de M. Magne.» Nous ne pensons pas non plus que toutes choses soient confondues dans son esprit, comme la phrase suivante pourrait le faire croire: «Nous avons essayé, dans le Livre de la Ferme, d’établir aussi clairement que nous l’avons pu la distinction qui doit exister entre le croisement, le métissage et la sélection, aussi bien au point de vue scientifique qu’au point de vue industriel. Dans la dissertation de M. Magne, tout cela nous paraît confondu.» Quant à nous, nous pensons qu’il n’y a pas lieu d’opposer la sélection au croisement. Il est beaucoup plus juste de raisonner comme le fait M. Magne, en n’employant que les deux termes régime et croisement. En effet, la sélection ne peut être considérée comme l’opposé du croisement; elle doit, au contraire, lui venir sans cesse en aide. Qu’on agisse dans un sens ou dans un autre, on doit toujours faire de la sélection, c’est-à-dire choisir les meilleurs reproducteurs, ceux qui réunissent au plus haut degré les qualités qu’on recherche dans l’espèce animale que l’on entretient.

M. Magne répond à cette phrase d’un membre de la Société impériale et centrale d’agriculture, qui résume l’opinion d’un grand nombre de zootechniciens: «Le croisement ne forme pas de races, il les détruit.» Et il ajoute: «Si le croisement ne forme pas des races, quelle peut en être l’utilité ?» Cette question doit évidemment, en effet, embarrasser ceux qui veulent borner le rôle du croisement à la production de métis qui seraient exclus de la reproduction. M. Magne répond à ceux qui ne veulent pas pousser l’expérience au delà du premier et du second croisement ce que nous avons dit nous-même dans le courant de cette étude, à savoir qu’il faudrait conserver pure la race croisante et la race croisée, «ce qui, économiquement parlant, n’est pas possible.» M. Magne repousse également le système, qui consiste dans l’absorption d’une race par l’autre. L’inconvénient qu’il voit est celui-ci: «En le suivant, on arriverait inévitablement, après cinq ou six générations croisées de métis tout à fait semblables, à la race paternelle. » D’après cette phrase, et en tenant compte des opinions qui vont suivre, nous sommes en droit de croire que le savant professeur partage nos idées sur la possibilité de l’absorption complète d’une race dans une autre. C’est un appui précieux pour nos doctrines. M. Magne explique ainsi son objection: «Conçoit-on nos éleveurs de chevaux ne produisant que des chevaux de courses, et les cultivateurs seraient-ils mieux nantis quand ils n’auraient que des bœufs durham, des moutons dishley et des porcs leicester?» Nous n’hésitons pas à répondre que non-seulement nous ne verrions aucun mal qu’il en fût ainsi en ce qui concerne les espèces de boucherie, mais encore que c’est le but que nous conseillons de viser. Quant à la crainte d’arriver, par le croisement répété indéfiniment, à ne faire que des chevaux de course, M. Magne nous permettra de lui dire qu’elle n’est pas fondée.

En effet, et d’abord que faut-il entendre par un cheval de course? Selon nous, le cheval de course n’est point nécessairement un cheval de pur-sang, pas plus qu’un cheval de pur-sang n’est nécessairement un cheval de course. Tout cheval qui est admis sur l’hippodrome est un cheval de course, qu’il s’appelle Monarque ou Colonel, La Toucque ou Bayadère. Ceci n’a pas besoin de démonstration. Il ne nous paraît pas moins évident qu’un cheval de pur-sang n’est pas nécessairement un cheval de course. M. Magne, en employant cette expression de «cheval de course,» a-t-il voulu dire que l’abus de croisement par les mâles de la race pure ne donnerait que des sujets d’apparence légère et mince, tels que ceux que nous voyons apparaître sur la pelouse de Longchamp? S’il en est ainsi, nous répondrons à M. Magne que ce qui fait le cheval de course, c’est le régime, c’est l’entraînement, c’est l’in and in. Élevez des chevaux de pur-sang à la manière pratiquée dans l’élevage ordinaire des chevaux de commerce, et vos produits sembleront tout aussi forts, tout aussi gros que ceux qui s’éloigneraient davantage du type pur. C’est une expérience que nous avons faite. Qui serait capable de dire combien de générations de pur-sang se sont succédé dans telle famille chevaline d’où vous voyez sortir des sujets d’une ampleur remarquable? Parmi les chevaux de chasse d’Angleterre que vous citez, croyez-vous donc qu’il n’y en ait pas beaucoup auxquels il ne manque que d’être inscrits au Stud-Bouok pour être considérés comme des pur-sang? Presque tous les reproducteurs inscrits dans la catégorie des hunter à l’exposition universelle, dans le parc de Battersea, n’étaient-ils pas issus de parents appartenant à la race pure? Et ceux dans la généalogie desquels il y avait quelque mésalliance étaient-ils si différents de leurs voisins que vous eussiez pu affirmer leur bâtardise à la simple inspection de leurs formes? Évidemment non. Nous avions donc le droit de dire que les craintes exprimées plus haut n’étaient point fondées.

Nous arrivons à une proposition importante de M. Magne: «Je ne conteste pas, dit-il, et il est superflu de l’ajouter, la supériorité comme reproduction des individus de race pure sur les métis, surtout les métis des premiers croisements. Il est bien reconnu que les caractères sont d’autant plus fixes et qu’ils se transmettent avec d’autant plus de certitude du père aux enfants que les races sont plus anciennes. Je soutiens seulement que les métis peuvent être employés pour propager leur race et mieux pour en communiquer les caractères à d’autres races. Pour résoudre complétement la question de l’utilité des métis comme reproducteurs, pour confirmer ce que je viens d’avancer, j’ajouterai que les qualités communiquées à des animaux par le croisement des races se conservent aussi facilement que celles qui ont été produites par le régime. Cette proposition, je le sais, trouvera de nombreux contradicteurs, mais c’est parce qu’on ne tient pas compte des circonstances dans lesquelles les animaux se produisent. Les éleveurs s’abusent quand ils croient qu’une amélioration sera fixe parce qu’elle aura été produite par les soins hygiéniques. Rien n’est plus commun que le fait à l’appui de ce que j’avance. Transportez sur les montagnes granitiques du Morvan une famille de bœufs nés dans les herbages argilo-calcaires de Saône-et-Loire ou de la Nièvre, et, si elle ne reçoit que des soins donnés ordinairement au bétail morvandian, elle se transformera en mal, comme la famille qui aurait été produite par le croisement.» C’est précisément ce que nous disions nous-même au début de cette étude.

«Mais d’où provient, continue M. Magne, une opinion si contraire aux faits, quoique si générale? De ce qu’on a souvent voulu communiquer à une race, par le croisement, des améliorations que le régime seul peut produire, et qu’il est toujours arrivé qu’elles disparaissaient rapidement, tandis qu’on voyait que des améliorations de même nature, réalisées ailleurs à la suite d’un grand progrès agricole et d’une distribution plus abondante de fourrages, se conservaient. En présence de ce double effet, et sans en rechercher les causes, on n’a pas manqué de dire que les améliorations produites par le croisement ne se conservaient pas comme celles qui étaient réalisées par le régime. Il suffit d’indiquer l’origine de ce raisonnement pour démontrer qu’il n’est pas fondé. Ainsi, les races métisses se conservent comme les races améliorées par le régime. Améliorez par le régime seul, ou par le régime et le croisement, et vous n’aurez aucune différence dans les résultats. Seulement, en employant le croisement, vous arriverez au but plus promptement; mais, dans un cas comme dans l’autre, les améliorations se conserveront si les animaux sont soumis à un régime semblable à celui qui aurait été nécessaire pour les produire, tandis que, sans cette condition, elles disparaîtront, soit qu’elles aient été la conséquence du régime, soit qu’elles proviennent d’un croisement. Et, si quelques améliorations peuvent se conserver indépendamment de cette condition, c’est-à-dire indépendamment des influences hygiéniques, ce sont celles qui sont produites par le croisement.» Voilà certes une assertion qui pèse d’un grand poids dans la discussion, et qui vient tout à fait à l’appui de nos théories. Voici, d’ailleurs, d’après M. Magne, les améliorations que le croisement produit: «C’est la production, dans le cheval, d’une tête épaisse, carrée, à la place d’une tête busquée, d’une encolure droite à la place d’une encolure rouée; c’est la suppression des cornes et l’accroissement du train antérieur dans le taureau et le bélier; c’est la transformation d’une toison grossière et légère en toison fine et lourde dans les bêtes à laine. Quelles sont celles que nous ne pouvons obtenir que par le régime? C’est l’élévation de la taille, l’augmentation du poids, la production du tempérament, qui constitue la précocité et l’aptitude à prendre la graisse dans le bœuf; c’est l’énergie excessive dans le cheval.» Déjà, en 1843, M. J. B. Huzard avançait son opinion conforme à celle de M. Magne. Voici comment il la formulait en terminant son livre sur les Haras domestiques: «Il n’y a aucune objection parmi celles que j’ai citées relativement au métissage dans l’espèce chevaline, qui puisse, je ne dis pas prouver, mais seulement faire soupçonner, que l’opinion suivante soit fausse, que dans cette espèce les produits d’un métissage bien suivi peuvent rester au point où ils sont parvenus, en se reproduisant par eux-mêmes et sans qu’on soit obligé de recourir à des étalons purs de la race régénératrice.»

Études sur les animaux domestiques

Подняться наверх