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VI
ОглавлениеM. Sanson examine ensuite et critique cette méthode qui consiste à chiffrer exactement «la quantité, la dose proportionnelle des deux espèces de sang qui coulent dans les veines d’un produit provenant de races différentes et dont la généalogie est bien connue. » Dans cette méthode très-défectueuse, en effet, «on représente la force du mâle par une valeur égale à 1 et celle de la femelle par une valeur égale à 0. On a dès lors, pour le produit du premier croisement, une valeur égale à 0,50, c’est à-dire un demi-sang. A la seconde génération, 0 étant remplacé par cette valeur de 0,50, on a une valeur de 0,75, ou un trois-quarts de sang. En ajoutant ainsi successivement la valeur obtenue à 1, valeur du père, et en divisant par 2, somme des père et mère, eu égard au produit, on arrive d’abord, à la troisième génération, à 0,873 ou sept huitièmes de sang; puis enfin, à la trentième génération, à une valeur représentée par une fraction décimale composée de vingt-neuf chiffres, dont les neuf premiers sont des 9.» Cette façon de procéder, nous le reconnaissons, ne brille pas par sa logique, aussi est-elle blâmée et par M. de la Tréhonnais, fervent adepte de la doctrine du croisement, et par M. Sanson.
Le premier dit, dans la Revue agricole de l’Angleterre, page 238: «On entend tous les jours parler de demi-sang, de trois-quarts de sang, de sept huitièmes de sang, etc. Quelle preuve a-t-on que ces fractions sont exactes? Pour qu’elles le fussent, il faudrait supposer que les deux types reproducteurs ont dans leur sang une égale influence d’atavisme et d’hérédité, c’est-à-dire qu’ils ont leur nature individuelle et celle de leurs familles typifiées au même degré de persistance..... Dans presque tous les cas de croisement, l’un des deux reproducteurs, appartenant à une race plus ancienne, plus permanemment caractérisée, et surtout plus pure, c’est-à-dire avec un atavisme moins altéré dans sa puissance par des croisements avec d’autres races, devra nécessairement donner au produit une plus forte proportion de sa nature et de son tempérament.» M. Sanson se fait du calcul cité plus haut une arme contre nous, et va jusqu’à dire que la théorie si séduisante tout à l’heure du croisement s’évanouit aussitôt. Car il n’est plus possible, dit M. Sanson en premier lieu, de représenter par 0 seulement la valeur de la mère dans la première opération; en second lieu, de diviser par 2 seulement la somme des valeurs, puisqu’elle contient un nouveau facteur indéterminé, qui est précisément la quotité pour laquelle agit la puissance héréditaire de chacun des procréateurs; puis un autre, étranger à ces derniers, lequel se trouve dans les conditions hygiéniques au milieu desquelles s’opèrent la conception et le développement du produit.»
Ce dernier argument, dirigé contre nos doctrines, n’est pas sérieux; il est donc inutile d’y insister. Ce qui résulte pour nous de cette discussion, c’est que la formule mathématique inventée, croyons-nous, par M. Gayot, est fausse, voilà tout! Cette conclusion tirée par M. Sanson, «que l’on ne saurait constituer une race nouvelle avec des produits croisés,» ne sera point admise par tout le monde. On a vu que M. Magne est d’une opinion contraire, et que les faits lui donneraient raison, comme le prouvent les races intermédiaires Dishley-mérinos d’Alfort, les Cotswold-berrichons de M. Lalouël de Sourdeval, et d’autres citées déjà. Mais si, au contraire, on se propose l’absorption complète d’une race dans une autre, il faut, en effet, continuer, sur un nombre indéterminé de générations, l’emploi du sang régénérateur à l’état de pureté. C’est alors seulement qu’on pourra pratiquer avec succès la méthode in and in, sans qu’il soit désormais nécessaire de recourir à des reproducteurs étrangers.
Nous n’admettons. pas davantage que, pour qu’il y ait chance de réussite, il faille qu’il existe entre les deux races qu’un veut allier «certains rapports de taille, de volume, et même quelque identité de formes, » et encore bien moins qu’on ne puisse obtenir même «des produits individuels.» Heureusement, les faits sont là, qui prouvent surabondamment que non-seulement ce n’est point une condition sine quâ non, mais qu’au contraire les croisements entre races très-différentes réussissent parfaitement. Les produits durham-bretons, si fort estimés pour la qualité de leur viande, pour leur précocité et leur facilité à l’engraissement, sont une preuve qu’on peut, par le croisement, même dès la première génération, obtenir d’excellents résultats individuels. Cependant, on peut affirmer qu’il n’y a aucune analogie entre le durham et le breton. Comment admettre d’ailleurs cette nécessité d’identité des formes, dans la réussite du croisement des races, lorsque la ressemblance ne peut même pas servir à classer, à différencier les espèces. «L’âne, dit Buffon, ressemble plus au cheval que le barbet au lévrier, et cependant le barbet et le lévrier ne font qu’une même espèce, puisqu’ils produisent ensemble des individus qui peuvent eux-mêmes en produire d’autres; au lieu que le cheval et l’âne sont certainement de différentes espèces, puisqu’ils ne produisent ensemble que des individus viciés et inféconds. »
Les détracteurs du croisement des races se battent donc le plus souvent, comme on le voit, contre des moulins à vent. Nous touchons d’ailleurs à la dernière objection de M. Sanson. Il revient sur la nécessité de la «prépondérance» du mâle dans l’acte de la génération, pour que la doctrine du croisement soit défendable. Nous ne pouvons découvrir la raison de cette nécessité. En effet, le mâle ne serait-il pas prépondérant, ce qui ne nous paraît cependant pas probable, il faudrait admettre qu’il apporte une part au moins égale, et, dans ce cas, au moyen d’alliances successives entre la race amélioratrice et les produits du croisement, on arrivera forcément à l’absorption de la race locale, dont l’atavisme sera combattu et successivement amoindri à chaque génération. Aussi, avouons-nous ne pas comprendre comment M. Gayot s’élève contre le croisement de l’étalon dit de pur sang avec les races chevalines plus ou moins abâtardies qui peuplent une partie de la France. Serait-il donc d’avis de laisser dans l’avilissement ces animaux, occupant le dernier degré de l’échelle dans l’espèce?
M. Sanson a, toutefois, appris à faire quelque cas des motifs et des idées qui poussent les partisans du croisement à soutenir leurs doctrines. La nécessité de créer des animaux produisant à meilleur compte une plus grande quantité de viande n’est plus niée par le Livre de la Ferme, et l’on est agréablement étonné de voir qu’en terminant, M. Sanson reconnaît qu’il n’entend pas dire «qu’il faille s’abstenir d’une manière absolue des opérations dites de croisement... Ramené à son importance scientifique réelle, dit-il, le croisement est un moyen, un procédé d’exploitation industrielle des animaux qui, à l’exemple de tous les procédés de fabrication, donne des résultats en rapport avec la manière dont il est mis en pratique..... Le problème du croisement, problème purement industriel, se pose donc de la manière suivante: Étant donnée une race locale, avec toutes les matières premières nécessaires à son exploitation plus lucrative que celle que permettent ses seules aptitudes, tirer le meilleur parti possible de ses produits.»
Ainsi donc, vous admettez qu’il est certains cas où nos races indigènes sont devenues insuffisantes, et où les intérêts d’une industrie progressive et intelligente nécessitent que les races ne soient plus conservées intactes. La lumière luit tellement éclatante, que vous ne pouvez plus fermer les yeux; les résultats vraiment merveilleux obtenus par la pratique du croisement dans maints pays vous obligent à reconnaître que «ce procédé industriel» a réussi. Une agriculture en partie transformée, comme celle de certains départements de l’Ouest, par le croisement de leurs races de boucherie avec les races anglaises améliorées; des populations vivant naguères dans la misère et maintenant dans l’aisance, toutes ces considérations, disons-nous, ont cependant fait fléchir votre parti pris. Vous-même, vous avez donné votre sanction au croisement «en le préconisant pour les races ovines de l’Ouest,» que vous recommandez «d’accoupler avec le South-down.» C’est vous-même qui avez la générosité de nous rappeler le conseil donné par vous aux éleveurs de votre pays natal. Cependant, laissez-nous vous dire que vous avez commis là une grande imprudence, car le jour où toute une contrée sera entrée dans cette voie, il ne sera plus possible de retrouver de types purs de la race locale. Et que deviendra alors le principe de l’amélioration des races par elles-mêmes, principe hors duquel vous avez dit précédemment qu’il n’y avait point de salut? Et voyez ce qui arrive! Le paysan, qui, tôt ou tard, finit par se ranger du côté des gros bénéfices, ne veut plus entretenir son ancienne race mancelle à l’état de pureté. Cette dernière n’existe presque plus nulle part, et le moment est proche où une vache mancelle sera montrée par curiosité. De Laval à Angers, de Château-Gontier à Sablé, dans les foires, partout enfin, vous ne voyez plus qu’animaux croisés, Durham-manceaux, Durham-bretons, Mortagnes-dishley Craonais-leicester. Devant cette expérience, le savant le plus entêté de son système est amené à réfléchir, à modifier l’inflexibilité de ses principes, et à faire des concessions à ceux qu’il appelait naguère des «éleveurs ou zootechniciens ignorants, butés à une idée qu’ils ont adoptée sans examen, et qu’ils suivent en aveugles.» Renoncez ussi à nous prouver que, lorsqu’on opère entre races peu distinctes, on aura «à proprement parler de la sélection, c’est-à-dire l’accouplement de deux individus aussi rapprochés que possible par leur constitution physique. » Ne nous dites plus, par exemple, que «le mariage entre le charollais et le durham n’est point à proprement parler un croisement, car pour le coup ce serait «heurter trop directement le bon sens.»
En dehors de la vérité scientifique, que nous espérons avoir démontrée, nous tenons à tirer cette double conclusion, que c’est du croisement de nos races indigènes qu’on doit attendre, d’une part, la prospérité de l’agriculture française, et, d’autre part, le bien-être des classes ouvrières. Produire, dans un temps donné, une quantité double de viande que par le passé, tel est forcément le résultat qu’on obtient en entretenant, comme l’Angleterre le fait, un bétail plus précoce que le nôtre, c’est-à-dire qui, dans moitié moins de temps, arrive à son complet développement et à un engraissement parfait.
M. le baron Paul Thenard, dans un article «sur les races précoces,» que nous trouvons dans la revue scientifique les Mondes, après avoir cherché à démontrer qu’il fallait à chaque peuple, et selon le degré de latitude qu’il habitait, un régime différent, particulier, prétend que, «sous notre climat, l’usage des viandes ultra-adipeuses serait funeste à la santé publique.» Nous ne saurions partager les craintes du neveu du célèbre chimiste; il est encore loin le jour où on pourrait redouter pour le peuple l’abus des viandes adipeuses, voire même ultra-maigres. D’ailleurs, la viande des animaux précoces n’est pas nécessairement adipeuse: elle sera, chez nous, ce que l’engraisseur voudra qu’elle soit, fin-grasse ou seulement demi-grasse. Il faut vraiment n’avoir jamais mangé de roastbeef, de gigot ou de jambon en Angleterre, pour admettre comme «très-spirituel» le propos de la «ménagère» cité par M. Thenard. Les bons mots, tels que ceux-ci, par exemple, ne passeront jamais pour des raisons: «Quant à sa viande (celle de l’Angleterre), dit l’interlocutrice de M. Thenard, véritable diminutif du poisson de l’Esquimau, elle ressemble à une éponge sans goût qu’on aurait trempée dans la graisse: c’est de la mie de pain avec de la chandelle.»
M. Thenard pense que «le régime anglais est le régime esquimau diminué et le régime français amplifié. » Au risque de souhaiter à nos compatriotes une ressemblance quelconque avec les Esquimaux, nous faisons des vœux pour qu’ils mangent beaucoup de viande telle que celle qu’on consomme au delà de la Manche, au risque encore, comme le dit l’écrivain des Mondes, «de rompre cet équilibre entre le système respiratoire et le système digestif, qui est indispensable, et que nous rencontrons si facilement et si heureusement avec le pain et le vin. Hélas! cet équilibre obtenu avec le pain et le vin ne se rencontre pas si «facilement» que M. Thenard le croit. De même que ce n’est qu’aux jours de foires ou de noces que le paysan d’une grande partie de la France mange de la viande de boucherie, de même aussi ce n’est guère que dans ces circonstances qu’il boit du vin à ses repas. Voilà la vérité, et nous disons que tout ami de l’humanité, aussi bien que tout économiste sensé, doit travailler à la solution du problème que nous croyons résoudre par l’introduction des races précoces, afin de mettre fin à une situation indigne d’un pays essentiellement agricole comme le nôtre.
Qu’on cherche ce résultat par un chemin ou par un autre, par la diminution du prix de revient ou par l’élévation des salaires, il faut avant tout que la marchandise existe sur le marché. Eh bien, la viande ne s’y trouve pas en quantité suffisante pour répondre aux besoins de la population. Non, «l’idée de la vie à bon marché » n’est pas une «comédie de circonstance; » c’est une aspiration très-légitime et très-honorable d’économistes plus ou moins heureux dans leurs solutions, voilà tout. Ce mot de comédie nous blesse lorsqu’il vient à propos d’une question de subsistance. Cette comédie n’est que le triste drame qui se joue trop souvent dans la demeure de ceux dont les bras sont les instruments de notre bien-être, bien-être auquel la France doit s’efforcer de convier tous ses enfants.
Nous ne pouvons mieux terminer cette étude qu’en citant les lignes suivantes, empruntées au docteur Bertillon, passage qui résume éloquemment notre pensée sur l’avenir de la zootechnie: «... Il n’y a plus qu’à coordonner l’enseignement, du passé avec la méthode et les données journalières de la science moderne, pour fonder l’art de domestiquer, d’acclimater, de modifier au gré de nos désirs l’organisme. animal. Il est certain que l’homme a créé le chien, probablement le froment, et maintes autres prétendues variétés domestiques, qui méritent au moins le nom d’espèces; il a créé le mulet, le léproïde, et déjà un grand nombre d’autres hybrides dont un bon nombre sont indéfiniment féconds. Il a rendu si mobiles les organismes domestiques, que l’art anglais se charge, en un nombre déterminé de générations, de créer un type de pigeon conforme à la fantaisie d’un demandeur! Qui ne voit que c’est là le commencement d’un art immense, l’art de créer et d’adapter à nos besoins, à nos goûts, à notre domicile, la substance vivante de deux règnes...
«Mais ces difficultés sont accidentelles et temporaires; elles sont bien moindres que celles dont les acclimatements connus ont déjà triomphe par un peu de hasard et par un temps immense. L’art, inspiré par la science, surprend aujourd’hui les secrets de ces triomphes; il supprimera le hasard, il abrége les temps!
«Alors, comme la matière brute nous est déjà soumise, nous sera soumise aussi la substance vivante!»