Читать книгу Études sur les animaux domestiques - Guy de Charnacé - Страница 3
ОглавлениеA MM. LES MEMBRES DU COMICE AGRICOLE DE CHATEAU-GONTIER.
C’est à vous, Messieurs et honorés collègues, que je dédie ce travail, à vous dont la mission est de guider les pas de nos cultivateurs dans la voie des améliorations, à vous, qui avez su favoriser, par d’efficaces encouragements, par de beaux et utiles exemples, la production animale de notre arrondissement, à vous, qui, presque tous avez contribué individuellement à porter au loin la réputation que s’est acquise, comme pays d’élevage et comme producteur de grains, le département de la Mayenne.
Si notre beau pays n’a pas été un des premiers à arborer le drapeau du progrès, si la moitié de nos champs, aujourd’hui couverts de riches moissons, étaient encore, il y a trente ans, livrés aux genets et aux ajoncs, on peut dire qu’une fois en route, nous avons fait de longues étapes, rattrapant bientôt les plus avancés et les dépassant même sous certains rapports.
C’est qu’en effet, il est des époques dans la vie d’un peuple, où, en dépit même des changements politiques qui sembleraient devoir arrêter le développement de la richesse, tout concourt, au contraire, à en favoriser l’essor. Les agitations du moment peuvent, il est vrai, paralyser pour quelque temps les forces d’un pays; mais lorsque des principes de vie actifs et puissants assurent la prospérité d’une nation, les événements jugés lés plus funestes par certains esprits enclins au découragement tournent souvent au plus grand avantage de la masse. N’avons-nous pas vu, par exemple, nos provinces de l’ouest si longtemps arriérées, malgré la fertilité de leur sol, ressusciter tout à coup à la fortune par le seul fait de la création des routes dites stratégiques et devenues, à l’encontre de la volonté qui les avait décrétées, de véritables routes agricoles, où circulent à cette heure la vie et la richesse d’un peuple qu’on ne songeait cependant guère à favoriser? C’est ainsi que depuis quelques années nos athlètes politiques, tour à tour, vainqueurs et vaincus, sont venus apporter aux diverses industries de leur pays le secours d’intelligences qui, sans cesse à la recherche d’aliments nouveaux, ont imprimé au capital un mouvement fécond.
Qu’importe, en effet, que toute une jeunesse ait, pendant un temps, abandonné la vie publique, si elle est venue vivre au milieu de populations qu’elle a enrichies et éclairées? Car, comme le disait en 1845 un savant agronome, l’illustre homme d’État d’un pays voisin, le comte Camille de Cavour:
«Il est difficile d’évaluer avec juslesse le bien que peut produire une famille riche ou simplement aisée au milieu d’une population de cultivateurs pauvres et ignorants. Ce bien a peu d’éclat, nul retentissement, et il n’est pas couronné par les académies; mais pour cela il n’est pas moins immense. Il est si facile à un propriétaire éclairé et fort de gagner l’affection et le respect de tout ce qui l’entoure, qu’il peut sans trop de peine acquérir une influence morale bien plus puissante et - plus estimée que celle toute matérielle que les possesseurs du sol devaient jadis à l’organisation féodale de la société.»
Oui, qu’importe que le soldat des plaines africaines ait remis dans le fourreau sa vaillante épée, s’il dirige maintenant, le soc de la charrue? Qu’importe que l’orateur de nos luttes parlementaires soit descendu de la tribune, s’il suit d’un œil éclairé la marche de ses troupeaux pour en favoriser l’extension et l’amélioration? Qu’importe que le lutteur ait changé d’arêne, si son ardeur le conduit par de nouveaux combats à de nouvelles conquêtes?
Telles sont cependant les vicissitudes éprouvées depuis trente ans par certaines classes de la société et par quelques individualités brillantes, vicissitudes sur lesquelles on a trop gémi, car elles n’ont pu arrêter la marche naturelle des choses dans le chemin du progrès. Bien plus, abandonnant le centre où elles se mouvaient pour se consacrer entièrement à l’exploitation de la terre, ces intelligences, aidées par le capital dont elles disposaient, ont puissamment contribué à la prospérité toujours croissante, constatée de toutes parts aujourd’hui. Cette sorte de renaissance agricole est singulièrement favorisé, il faut le dire, parla sollicitude du gouvernement impérial. La création de la grande prime d’honneur, couronnement heureux des concours régionaux fondés par la République de 1848, le décret qui autorise la dépense de 25 millions pour l’achèvement de chemins vicinaux, l’abolition de l’échelle mobile, les distinctions éclatantes accordées à l’agronome aussi bien qu’au simple fermier, toutes ces innovations ont concouru avec l’aide des efforts individuels à lancer l’industrie agricole dans la voie des perfectionnements. L’impulsion est donnée, l’agriculture est sortie de l’ornière où l’avaient laissée si longtemps plongée l’ignorance de ceux qui la dirigeaient et l’abandon des possesseurs du sol. Elle ne sera plus désormais livrée aux chances de l’empirisme; la science marche chaque jour de conquête en conquête, apportant incessamment à nos travaux le secours de ses découvertes, et son règne est appelé à caractériser une époque nouvelle qu’on pourra désigner sous le nom de période scientifique.
En effet, les comptes rendus des concours régionaux, les rapports des jurys sur les fermes des lauréats, montrent que le capital sagement employé dans l’exploitation du sol n’est pas moins nécessaire à la réussite d’une entreprise agricole, qu’à celle de toute autre industrie; et que partout où il a été combiné avec l’intelligence pratique de la culture, il en est résulté un accroissement de richesse. On a également compris que ce n’était point assez de creuser le sillon et d’y jeter la semence, mais qu’il fallait encore combiner la succession des récoltes, et rendre au sol les principes que la plante lui avait enlevés. C’est l’œuvre de la chimie qui décompose la terre et qui lui prête, selon les lieux, selon les plantes qu’elle est destinée à porter les éléments nécessaires à sa fécondation. Maintenant, c’est la mécanique, c’est la vapeur venant au secours des forces de l’homme et les décuplant. Le corps du travailleur, courbé vers le sol, se relève; son cerveau plus libre se prend à songer; il considère, il réfléchit, il applique, il crée. C’est enfin la zootechnie, c’est l’art de l’élevage, la science qui doit guider l’homme des champs dans le choix des compagnons de ses travaux et dans l’amélioration des animaux dont il attend sa nourriture.
De même que le flambeau de la science éclaire nos industriels dans la création des lignes ferrées, des télégraphes, dans la fabrication des produits manufacturés, de même aussi sa vive lumière pénètre les secrets de la nature; et guide le cultivateur dans ses labeurs. Ce n’est plus seulement aux sueurs du paysan que nous demanderons notre pain, c’est aussi à son intelligence. C’est en avançant dans les nouveaux sentiments ouverts parle génie de quelques-uns, que l’homme trouvera la satisfaction de ses intérêts moraux et matériels.
«Il n’est pas à espérer ni même à désirer, dit M. E. About dans un livre sagement pensé et brillamment écrit, que le travail disparaisse jamais de la terre; mais nous pouvons, avec un peu d’autorité, créer des instruments qui l’obligent pour nos descendants. Il tient à nous d’épargner aux générations futures la fatigue ingrate et continue et l’abrutissement qui s’ensuit. L’intervention des machines dans l’industrie ne tardera pas à supprimer tous ces travaux écrasants qui assimilaient l’homme à un bœuf de labour. L’ouvrier, dans cinquante ans, ne sera plus employé comme force, mais comme intelligence dirigeante: tous les progrès de la mécanique tendent à ce but... Nous pouvons, moyennant un labeur assez rude, déraciner les misères et les vices qui pullulent dans notre pays; mais je n’espère ni ne souhaite l’abrogation de la loi du travail: toute la mauvaise herbe aurait bientôt repoussé, si les cultivateurs se croyaient dispensés de cultiver la terre. Il faudra que nos enfants se remuent comme nous, et nous eussions perdu le sens du bien, la connaissance du vrai et la notion du possible, si nous rêvions de leur préparer une vie toute en loisirs. Ce que nous pouvons souhaiter et obtenir à la longue, c’est que tout homme en naissant trouve la facilité de s’instruire, l’occasion de vivre honnête et les instruments d’un travail utile et modéré.»
Aujourd’hui, nous sommes en marche vers la dernière étape. C’est là que nous trouverons la lumière et le succès en récompense de nos travaux communs. Que chacun de nous travaille dans sa sphère à rapprocher le moment heureux où l’homme arrivera sûrement au bien-être par le travail et l’intelligence. Que tous, propriétaires et capitalistes, savants et praticiens, s’associent donc en vue de la meilleure exploitation de cette terre de France dont le soleil bienfaisant échauffe les entrailles fertiles.
Appartenant à une contrée où le bétail est l’une des principales richesses, j’ai cru que je devais entrer dans l’examen de certaines questions zootechniques et économiques auxquelles sont intéressés producteurs et consommateurs. Je viens donc encore une fois me mettre dans les rangs des soldats de l’agriculture, dont vous êtes, mes chers collègues, une des plus glorieuses phalanges, et apporter dans le champ de la discussion le fruit de mes études. Mon but serait atteint si le comice de ma ville natale accordait au livre que je lui dédie sa sympathique sanction.
GUY DE CHARNACÉ.